La vérité vous rendra libre et... débrouillez-vous avec ça !
Cette parole de l'Évangile de Jean, chapitre 8, versets 31-32 est très célèbre :
Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »
Maintenant, quant à savoir ce qu'est cette vérité, c'est une toute autre histoire. Dans l'Évangile de Jean, chapitre 18, quand Ponce Pilate demande à Jésus ce qu'est la vérité, Jésus ne réponds rien.
33 Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? »
34 Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? »
35 Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
36 Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
37 Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
38 Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.
39 Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? »
40 Alors ils répliquèrent en criant : « Pas lui ! Mais Barabbas ! » Or ce Barabbas était un bandit.
Ceci dit, le silence de Jésus peut se comprendre.
Lorsque le mental est au repos, alors la Vérité a une chance de se faire entendre dans la pureté du silence. (Sri Aurobindo – L'Heure de dieu)
Avec les mots on peut parfois comprendre, mais c'est seulement dans le silence que l'on sait. (Paroles de la Mère – Volume 2)
Parce que la vérité n’est pas linéaire, mais globale, et qu’elle n’est pas successive, mais simultanée, elle ne peut pas s’exprimer en mots : elle doit se vivre. (La Mère – Agenda du 3 avril 1954
Si ces paroles ne nous donnent pas la réponse sur ce qu'est la vérité, elles nous donnent des pistes sur comment la découvrir par nous-mêmes.
Pourtant, la partie intellectuelle impatiente en nous qui aspire à comprendre n'est évidemment pas satisfaite. J'ai donc demandé à Grok de me sortir une compilation des phrases du Nouveau Testament où le mot vérité apparaît... et malgré les très nombreuses références, je me suis aperçu qu'il y avait très peu d'explications sur ce qu'est la vérité ; il y a plutôt beaucoup d'affirmations que Jésus est la vérité, que la parole de Dieu est la vérité... mais pas vraiment d'explications. En ce sens, nous restons sur notre faim.
Alors si le Nouveau Testament ne nous donnes pas de réponse satisfaisante, pouvons chercher ailleurs. Par exemple dans le Véda puisqu'il y est question de ce monde de vérité découvert par les rishis védiques, un monde qui existe en soi, tout à fait réel comme notre monde matériel existe, et qui est régit par ce qu'ils ont appelé la Conscience-de-Vérité que Sri Aurobindo appelait la Conscience supramentale et que Mère appelait parfois la Conscience d'harmonie.
Le point intéressant est que depuis la connexion de la Conscience supramentale avec la conscience terrestre du 29 février 1956, la Mère a souvent répété par la suite que ce monde de vérité était devenu tout proche du nôtre, presque en doublure du nôtre et qu'il infusait de façon constante ses vibrations de vérité.
Quelle est cette vérité qui nous rendra libre ? Et comment le fera-t-elle ? Il se pourrait que ce premier aspect contienne la réponse collective à ces questions, mais cela nous emmènerait trop loin, et pour le moment, restons en à l'aspect individuel.
Dessin de Mère – 1956
Puisque Sri Aurobindo et Mère ont abondamment parlé de la vérité dans leurs œuvres, nous pouvons aussi rassembler les indications qu'ils ont pu donner. Il se trouve qu'ayant terminé les Lettres à Dilip, j'ai repris ma lecture des Essai sur la Guîtâ que je n'ai jamais terminé. Et voici que dans le premier chapitre du livre deux, page 361 dans le PDF ci-dessous, j'ai trouvé ce passage où Il ne s'agit pas encore de la vérité de notre être, mais de la vérité de notre devenir... et c'est déjà un début de réponse à notre question.
Dans les lignes précédentes Sri Aurobindo parle de notre nature inférieure, la prakritri dans le langage du yoga, notre nature mentale, vitale et physique, avec les trois principes qui leur correspondent, les principe satviques, radjasiques et tamasiques, et les 5 sens. Et puis il continue et nous explique que notre nature inférieure, notre ego, n'est pas nos seule nature et que nous avons une autre Nature, supérieure et divine
Ouvrons une parenthèse. Combien de fois nous nous sommes demandés "mais qu'est-ce que je vais devenir ?" ou "qu'est-ce que nous allons devenir ?" Quand nous nous posons une question, et c'est très légitime, peut-être faudrait-il la poser... au bon endroit. Il se trouve que, dans ce paragraphe, Sri Aurobindo nous explique, ou nous révèle, que c'est notre Nature supérieure et divine qui contient la clef... de notre devenir.
Mais il y a autre chose, il y a un principe plus élevé, une nature de l’esprit, parâ prakritir me. Il y a une suprême nature du Divin qui est la source réelle de l’existence cosmique, sa force créatrice fondamentale et son énergie effective et dont l’autre Nature, inférieure et ignorante, n’est qu’un dérivé et une ombre obscure. Dans cette suprême dynamis, le Purusha et la Prakriti sont un, la Prakriti n’étant que la volonté et le pouvoir exécutif du Purusha, le fait de son être — non une entité séparée, mais lui-même en tant que Pouvoir.
Cette suprême Prakriti n’est pas simplement une présence du pouvoir de l’être spirituel immanent en les activités cosmiques. Car alors elle ne pourrait être que la présence inactive du Moi qui imprègne tout, immanent en toutes choses ou les contenant toutes, imposant d’une certaine façon l’action universelle mais sans être lui-même actif. Pas davantage cette suprême Prakriti n’est-elle l’avyakta des sânkhyens, le primordial état non manifesté de semence de l’octuple et active nature manifestée des choses, l’unique force productrice originelle de la Prakriti à partir de laquelle évoluent ses nombreux pouvoirs instrumentaux et exécutifs.
Il ne suffit pas non plus d’interpréter cette idée d’avyakta dans le sens védântique et de dire que cette suprême Nature est le pouvoir involué inhérent à l’Esprit ou Moi non manifesté d’où vient le cosmos et en lequel il retourne. C’est cela, sans doute, mais beaucoup plus que cela ; car cela, c’est seulement l’un de ses états spirituels.
C’est l’intégral pouvoir-conscient de l’Être suprême, Chit-Shakti, qui est derrière le moi et le cosmos.
Dans le Moi immuable, la suprême Prakriti est involuée en l’Esprit ; elle est là, mais en nivritti ou rétention de l’action ; dans le moi mutable et le cosmos, elle s’exprime dans l’action, pravritti. Là, par sa présence dynamique, elle développe dans l’Esprit toutes les existences et apparaît en elles comme leur nature spirituelle essentielle, la vérité persistante derrière le jeu de leurs phénomènes subjectifs et objectifs. Elle est la qualité et la force essentielles, swabhâva, le principe du moi de tout leur devenir, le principe inhérent et le pouvoir divin derrière leur existence phénoménale.
L’équilibre des gunas n’est qu’un jeu quantitatif et tout à fait dérivé, qui se développe à partir de ce Principe suprême. Toute cette activité des formes, tout cet effort du mental, des sens, de l’intelligence de la part de la nature inférieure ne sont qu’un phénomène, qui ne pourrait aucunement exister sans cette force spirituelle et ce pouvoir d’être ; il en provient et n’existe qu’en eux et par eux.
Si nous demeurons dans la seule nature phénoménale et que nous voyions les choses d’après les seules notions dont elle nous imprègne, nous ne parviendrons pas à la vérité réelle de notre existence active.
La vérité réelle est ce pouvoir spirituel, cette divine force de l’être, cette qualité essentielle de l’esprit dans les choses ou plutôt de l’esprit en lequel sont les choses et d’où elles tirent tous leurs pouvoirs et les semences de leurs mouvements.
Que l’on atteigne cette vérité, ce pouvoir, cette qualité, et l’on arrivera à la loi réelle de notre devenir et au principe divin de notre vie, à sa source et à ce qui la sanctionne dans la Connaissance, et non pas seulement à son processus dans l’Ignorance.
N'est-ce pas admirable ? Certes, ce n'est sans doute pas très facile à lire, et plus encore à comprendre vraiment, mais reconnaissons aussi que c'est une extraordinaire source d'inspiration pour nourrir notre méditation. Et puis, peut-être qu'en lisant plusieurs fois, tranquillement, le mental au repos, ce n'est pas si difficile d'avoir au moins quelques prémonitions de ce que cela veut dire.
En tout cas, c'est toujours plus facile que de tenir en équilibre sur la tête ou que de trouver quelque chose qui fonctionne dans l'Union européenne ou quelque chose de vrai dans la bouche d'Emmanuel Macron... 😀
Saluons encore l'extraordinaire densité de connaissance que nous partage Sri Aurobindo car il ne s'agit-là que d'un seul paragraphe, il y a encore tout le reste du chapitre, et du livre, et des autres livres.
Maintenant, reconnaissons qu'il serait tout à fait injuste de reprocher à Jésus de ne pas avoir répondu quelque chose comme cela à Pilate – diffuser la connaissance n'était pas sa mission, ou en tout cas, pas cette connaissance-là. Il est évidemment davantage venu pour semer l'amour du prochain que la connaissance.
Ceci dit, l'amour c'est bien joli, mais sans la connaissance il peut s'enflammer, devenir hystérique, fanatique, et d'ailleurs, c'est au nom même de l'amour que les pires crimes ont parfois été commis. Et même sans aller jusque-là, l'amour sans la connaissance peut vite être dévoyé, perverti, déformé... et c'est ce qui se passe constamment. Dans sa Synthèse des Yogas, Sri Aurobindo explique merveilleusement bien comment la voie des œuvres, de la connaissance et de l'amour sont absolument indissociables.
Et puis, je me suis dit aussi que c'était il y a 2000 ans... et que le niveau d'éducation était tel que cela pouvait expliquer que le Nouveau Testament ne donne pas plus d'explications. Pourtant cet argument n'est pas vraiment valable en ce sens, que les textes sacrés de l'Inde sont encore plus anciens, et il n'y a pas besoin d'avoir fait un doctorat en religions comparées pour s'apercevoir que le contenu métaphysique et philosophique est plus dense dans le Véda, les Upanishad et la Bhagavad-gita – pour ne prendre que les écritures que j'ai pu découvrir au travers des explications de Sri Aurobindo – que dans la Bible.
Le rejet des Évangiles apocryphes par "l'Église officielle" est peut-être une explication à la pauvreté des explications, mais je ne suis pas assez compétent pour juger de la pertinence de ce point, c'est juste une hypothèse que j'ai vu circuler.
Oh ! Et puis zut ! 😀... Le christianisme a eut 2000 ans pour donner aux peuples la connaissance de la vérité et regardons notre état d'ignorance spirituelle, et celui de la population. Faudra-t-il leur faire crédit encore pendant 2000 ans ?
Dessin de Mère – 1956
D'il n'y a pas de vérité...
Un mot sur cette idée qu'il n'y aurait pas de vérité, que toute vérité serait relative, que chacun aurait sa vérité etc... ce sont des idées que nous avons tous entendu, et si ce n'est pas tout à fait faux en ce sens qu'il y a une vérité particulière en toute chose – même en ce qui nous paraît complètement biscornu – cela n'est pas satisfaisant et c'est en contradiction avec les paroles de Sri Aurobindo et de Mère qui attestent qu'il y a une Vérité, et que cette vérité, nous pouvons la découvrir. Encore faut-il savoir comment, ou en avoir au moins une idée, ou quelques idées.
S'il y a une vérité derrière la multitude, la vérité d'un minerai, n'est pas la vérité d'une fleur, n'est pas la vérité d'un animal, d'un être humain, etc. il y a aussi une vérité dans l'unité de toute chose.
Cette idée qu'il n'y a pas de vérité, est peut-être une vérité qui arrange bien les paresseux, car cela les exempte d'avoir à chercher...
Notre quête ne pourra s'arrêter que lorsque nous aurons trouvé...
À la recherche de la vérité...
Sri Aurobindo nous donne une première indication...
La vie nous enseigne que tout, dans ce monde, trahit toujours l’homme : seul le Divin ne le trahit point, s’il se tourne entièrement vers le Divin. Ce n’est pas parce qu’il y a en vous quelque chose de mauvais que vous recevez des coups : tous les êtres humains reçoivent des coups, car désirent des choses qui ne peuvent pas durer et les perdent, ou s’ils les obtiennent, elles les déçoivent et ne peuvent les satisfaire. Se tourner vers le Divin est la seule vérité dans la vie.
Sri Aurobindo – Lettres sur le Yoga – 21 avril 1933
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Et pour aller un peu plus loin et conclure cet article, nous pouvons trouver dans La vie divine, La Synthèse des Yogas ou Essai sur la Guîtâ cette idée que le suprême mystère de notre incarnation, de notre réalisation divine, tourne autour, non seulement de la découverte du Divin, mais de notre soumission au Divin ; avec cette nuance supplémentaire – cela m'a beaucoup surpris en le lisant – que cette suprême soumission au Divin était aussi la garante de notre suprême liberté, la condition même de notre suprême liberté. Alors nous pouvons commencer à comprendre un petit peu mieux cette parole énigmatique : la vérité vous rendra libre.
Maintenant, chaque fois que nous avançons d'un pas, cela ouvre sur de nouvelles questions. Quand nous avons à peu près compris l'idée, il nous reste le plus important, voir comment cela peut se réaliser sur le plan pratique. Et là, nous nous sommes collectivement confrontés à trois difficultés qu'il nous faut résoudre :
1. Le Divin, nous ne savons pas trop ce que c'est – nous avons toutes sortes de projections fausses – et nous ne l'aimons pas trop, cela ne nous intéresse pas beaucoup. Si nous l'aimions vraiment, nous le rechercherions davantage. Or, imaginons un sondage général de population sur le sens de la vie, le but de la vie, avec des vraies réponses. Combien vont répondre que le but de la vie est de trouver le Divin, de réaliser le Divin ? Une personne sur un million ? Sur cent mille ? Sur 10 000 ? Et même pour nous, combien d'années avons-nous mis pour enfin nous dire que c'est vraiment quelque chose de TRÈS important ?
Il conviendrait donc de découvrir ce que l'on entend par "le Divin".
2. La soumission, nous n'aimons pas beaucoup ça non plus. L'idée même hérisse le poil de la plupart des gens, nous ne la comprenons pas très bien. Le mot anglais choisi par Sri Aurobindo est le mot anglais surrender est plus juste car il contient une nuance de don de soi. L'idéal serait de savoir à quel mots sanskrits pensait Sri Aurobindo lorsqu'il parlait de soumission.
Il s'agirait cette fois de nous réconcilier avec l'idée de soumission, de don de soi, et de comprendre comment la pratiquer concrètement.
3. Et puis, dans notre société du zapping, des distractions et du flux constant d'informations qui nous tombent dessus, il se pourrait que nous soyons vite découragés par une quête qui peut demander des années. Si nous n'avons pas le courage, l'endurance, la persévérance, la volonté d'aller jusqu'au bout... cela risque d'être un peu compliqué.
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Maintenant, toutes les difficultés sont faites pour être surmontées, et peuvent l'être si nous avons une volonté suffisante. Et puis, si la plupart des gens ne sont pas intéressé par cette aventure, c'est leur affaire, car en définitive, nous sommes seuls avec nous-mêmes et seuls avec le Divin... et en ce qui nous concerne – et si nous le voulons vraiment – rien ni personne en ce monde ne peut nous empêcher de découvrir la vérité de notre être...
Si nous le voulons vraiment...
C'est une question de sincérité. C'est le pouvoir de la sincérité.
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En attendant notre réalisation de cette vérité divine, tout au long du chemin nous pouvons cultiver cette invitation de Mère :
Avant de mourir, le mensonge se lève dans toute sa puissance. Mais les gens ne comprennent que la leçon de la catastrophe. Faudra-t-il qu’elle vienne pour qu’ils ouvrent les yeux à la Vérité ? Je demande un effort de tous pour que cela ne soit pas nécessaire. Seule la Vérité peut nous sauver : la vérité dans les paroles, la vérité dans l’action, la vérité dans la volonté, la vérité dans les sentiments.
Note de Mère du 26 novembre 1972