De la puissance du silence... (1)
Combien de fois au cours de notre vie, et notamment depuis la crise Covid, avons-nous voulu essayer de mettre en garde nos amis – sans grand succès – contre les diverses formes de propagande gouvernementale ? Je me suis souvent dit que si notre parole était impuissante à éveiller, nous pourrions peut-être essayer un moyen plus puissant que la parole : le silence.
Nous avons sans doute remarqué, par exemple lorsqu'il est demandé une minute de silence, que souvent, c'est déjà trop fort, des gens se sentent mal à l'aise, d'autres se mettent à trépigner sur place, à s'agiter, à pouffer... et ne peuvent pas s'empêcher de chuchoter quelque chose à leur voisin.
Ces quelques extraits des œuvres de Sri Aurobindo-Mère nous inviteront peut-être à nous réconcilier avec le silence.
Sri Aurobindo – Lettres à Dilip du 22 août 1935
Quant au calme et au silence, il n'est pas besoin du supramental pour les obtenir. On peut y parvenir même au niveau du Mental Supérieur, qui est juste au-dessus de l'intelligence humaine. J'ai acquis ces choses en 1908, il y a 27 ans, et je peux vous assurer qu'elles étaient suffisamment solides et merveilleuses sans avoir besoin de supramentalité pour les renforcer !
Là encore, un calme qui "ressemble à un mouvement" est un phénomène dont je ne sais rien. Un calme et un silence qui soutiennent et produisent l'action, je connais, et c'est ce que j'ai obtenu : la preuve étant qu'à partir d'un silence absolu du mental, j'ai été rédacteur en chef du Bande Mataram pendant quatre mois et écrit six volumes et demi de l'Arya, dans parler de toutes les lettres, tous les messages, etc. que j'ai rédigé depuis.
Si vous dîtes qu'écrire n'est pas une action, ni un mouvement, mais seulement quelque chose qui leur ressemble, une jonglerie de la conscience, eh bien, à partir de ce silence et de ce calme, j'ai eu une activité politique vraiment ardue et pris ma part dans l'entretien d'un Ashram qui possède, au moins pour les sens physiques, une apparence solide et matérielle ! Si vous refusez d'admettre que ces choses sont matérielles ou solides (ce que, bien sûr, vous pouvez faire d'un point de vue métaphysique), alors vous atterrissez tout droit dans l'illusionnisme de Shankara, et je vous y laisserai.
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La seule façon d'établir un silence constant dans son mental . . . [c'est] de s'ouvrir à des régions supérieures et de laisser cette conscience supérieure, cette force, cette lumière, descendre constamment dans le mental plus inférieur et prendre possession de lui. Et là, quand c'est comme cela, ce mental inférieur peut rester constamment tranquille et silencieux, parce que c'est cela qui agit, et qui remplit tout l'être. On peut agir, écrire et parler sans que le mental soit actif, avec cette force venant d'en haut, pénétrant dans le mental et se servant de lui, et le mental lui-même devient simplement un instrument passif. (Entretien de Mère du 22 septembre 1954)
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Il n'y a rien de ce que le mental peut faire qui ne puisse être mieux fait dans l'immobilité du mental et la tranquillité libre de toute pensée. Lorsque le mental est au repos, alors la Vérité a une chance de se faire entendre dans la pureté du silence. (Sri Aurobindo – L’Heure de Dieu)
[Voilà qui interroge notre confiance, notre obéissance et notre sincérité. Croyons-nous mieux savoir que Sri Aurobindo ? Si la condition pour que la Vérité (V. majuscule) ait une chance de se manifester en nous repose sur un repos silencieux de notre mental, cela vaudrait peut-être le coup de trouver comment amener dans notre mental ce silence salvateur ?]
Lettres à Dilip du 12 septembre 1935
Je suis heureux d’apprendre que j’ai réussi à vous faire aimer, quelque peu la Paix et même à vous rendre presque capable d’envisager le Silence sans horreur. C’est quasiment une réussite supramentale, et pourtant, vous n’êtes pas disposé à croire au Supramental ni en moi ! Néanmoins ce que je veux vous rappeler, c’est que cette paix et ce silence intérieurs ne sont pas nécessairement un passage vers le Nirvana et rien d’autre. J’ai montré par mon propre exemple (et il en existe d’autres) que cela peut être une transition et un support pour une inépuisable et infaillible activité de connaissance, de production et de bien d’autres choses.
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La Mère – Agenda du 25 septembre 1965
Satprem : J'aurais envie de te poser une question, et c'est lié à ce que tu disais tout à l'heure, quand tu avais cette fièvre, que tu étais allongée sur ton lit et qu'au-dessus, disais-tu, c'était une Paix merveilleuse, immuable – quel est le pouvoir de cette Paix, quel est le pouvoir de ce Silence ? Quand on monte au-dessus, on entre dans une espèce de grand silence, qui est gelé, qui est partout, mais quel est le pouvoir de ce silence ? Est-ce que ça fait quelque chose ?
C'est ce que les gens cherchaient autrefois quand ils voulaient sortir de la vie : ils se mettaient en transe, ils laissaient leur corps immobile, et puis ils entraient là-dedans, et puis ils étaient parfaitement heureux. Et les Sannyasins qui se faisaient enterrer vivants, c'était comme cela ; ils disaient : «Maintenant, j'ai fini mon travail (ils faisaient de belles phrases), j'ai fini, j'entre en samâdhi», et ils se faisaient enterrer vivants ; ils entraient dans une chambre, ou n'importe, puis on fermait, et puis c'était fini. Et c'est ce qui arrivait : ils entraient en transe, et leur corps au bout d'un certain temps, naturellement se dissolvait, et eux, ils étaient dans la Paix.
Mais Sri Aurobindo dit que ce Silence est puissant.
Puissant, oui.
Eh bien, je voudrais savoir comment il est puissant, justement ? Parce qu'on a l'impression que l'on pourrait rester là-dedans une éternité...
Pas une éternité – L'Éternité.
... sans que ça change rien.
Non, parce que ce n'est pas manifesté, c'est en dehors de la manifestation. Mais ce que Sri Aurobindo veut, c'est qu'on le fasse descendre ici. C'est ça, c'est ça la difficulté. C'est ça. Et il faut accepter l'infirmité et l'apparence même de l'imbécillité, tout, et il n'y a pas un être sur cinquante millions (Sri Aurobindo m'a dit que j'étais la seule !... riant, c'est possible !) qui ait le courage de cela.
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La Mère – Agenda du 22 mai 1968
Satprem : Douce Mère, et ce qui se passe en France en ce moment, qu'est-ce que cela veut dire [1] ?
[1]. Une sorte de grève générale de quelque huit millions d'individus, qui a commencé par une révolte des étudiants et l'occupation de la Sorbonne.
C'est clairement l'avenir qui s'éveille et qui veut chasser le passé.
Tu as lu les lettres des enfants de S ? Ils sont là-bas. Par exemple, tous les étudiants et toute la classe ouvrière se sont unis. Il y a naturellement, mentalement, tout le mélange de toutes sortes d'idées, mais la Force derrière... Par exemple, les étudiants veulent changer complètement le mode d'instruction : ils réclament violemment la suppression de tous les examens. Et ils ne le savent pas eux-mêmes, mais ils sont poussés par une force qui veut la manifestation d'une vérité plus vraie.
Eux-mêmes ne voudraient pas de violence – il paraît que ce ne sont pas eux qui ont commencé la violence, mais la police. Et ça, c'est très intéressant, parce que la police représente la défense du passé. Et quand j'ai lu les lettres de ces enfants, puis que l'on m'a donné les nouvelles, alors est venu en moi (cela a été dit très-très clairement, une vision très claire) : l'avenir. C'est la Puissance supérieure qui contraint les gens à faire ce qu'ils doivent faire.
Entre maintenant et ça (qui est très en avant), ce doit être la puissance d'un nombre immobile. Et alors la vision était claire : si des millions – pas des milliers : des millions – de gens s'assemblent, occupent, absolument pacifiques (simplement s'assemblent et occupent, avec des représentants naturellement qui diront ce qu'ils veulent), alors ça aura le pouvoir.
Mais il ne faut pas de violence ; dès que l'on se laisse aller à la violence, c'est le retour au passé, c'est l'ouverture à tous les conflits... À ce moment-là, je ne savais pas que c'était la police qui avait commencé la violence ; je ne savais pas, je ne connaissais pas les détails de l'histoire.
Mais c'était une vision très claire : une occupation par la masse, mais une masse toute-puissante dans son immobilité, qui impose sa volonté par le nombre, avec des représentants intellectuels pour les négociations.
Je ne sais pas... De Gaulle est ouvert à quelque chose de plus que la force purement matérielle. Est-il de taille ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, il est parmi les meilleurs instruments.
C'est clairement (pas dans le détail, mais dans la direction du mouvement), c'est clairement la volonté d'en avoir fini du passé, de laisser la porte à l'avenir.
C'est comme une sorte d'écœurement de la stagnation. Voilà. Soif de quelque chose qui est en avant, qui paraît plus lumineux et meilleur. Et en effet, il Y A quelque chose – ce n'est pas seulement une imagination: il Y A quelque chose. C'est cela, la beauté, c'est qu'IL Y A quelque chose. Il Y A une Réponse. Il Y A une Force qui veut... qui veut s'exprimer.
La France est dans une situation privilégiée : l'Inde d'abord, la France après, pour des raisons... simplement de réceptivité. La France a toujours essayé d'être en avant – c'est d'ailleurs pour cela que ce corps est né là.
(silence)
Les journaux parlent d'une grève de plusieurs millions là-bas (ces enfants ont écrit). Ça n'a pas du tout le caractère d'une grève, ça a le caractère d'une révolution.
Je connais cela. Je ne sais pas si je te l'ai jamais dit, mais il y a eu – il y a toujours eu – identification de la conscience de ce corps avec tous les mouvements de révolution. Je les ai toujours connus et guidés avant même que les nouvelles ne viennent : en Russie, en Italie, en Espagne et ailleurs – toujours, partout –, et c'était essentiellement, toujours, cette même Force qui veut hâter la venue de l'avenir – toujours –, mais qui est obligée d'adapter ses moyens d'action suivant l'état dans lequel se trouve la masse.
Et maintenant, justement, il semblerait que l'état de la terre soit tel que tout au moins se prépare (si ce n'est pas encore comme cela), se prépare la manifestation de la masse dans une espèce de volonté silencieuse et immobile... Et ça, c'est une période intermédiaire pour arriver à l'état où cette masse sera tenue sous contrôle et mise en mouvement directement par la Puissance d'en haut.
C'est vers cela que l'on marche.
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Quant au pouvoir de l'immobilité, la Mère ne l'a pas évoqué de manière si directe – encore que – mais nous pouvons aisément remarquer qu'un très grand nombre de fois, les expériences semblaient lui venir quand sa conscience était dans une grande immobilité, ou étaient associées à un état d'immobilité. Cela sera l'objet du prochain article.