Quelques extraits des Lettres à Dilip (9)
Mai 1933 ?
Il est vrai que la suppression de l'impulsion sexuelle sous toutes ses formes et, de façon générale, du complexe vital féminin, est une grande libération donnant accès aux vastes régions divines de l'être, qui sans cela tendraient à demeurer fermées. Ces choses-là sont une dégradation de la source dans l'être d'où jaillissent la bhakti, l'amour divin et l'adoration.
Mais le complexe a de profondes racines dans la nature humaine, et il ne faut pas être déçu si cela prend du temps pour le déraciner. Un détachement résolu, qui les rejette en tant qu'éléments étrangers, refuse d'accepter la moindre association intérieure avec elles aussi bien qu'une complaisance extérieure, même du genre le plus minime, constitue la meilleure façon de venir à bout de leur emprise sur la nature.
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Mai 1933 ?
La cristallisation de la concentration est un bon signe. En fait, tout cela dépend de la persévérance. Une longue persévérance engendre un petit résultat, davantage de persévérance donne un plus grand résultat, puis, avec un peu plus de persévérance, survient le grand résultat. La concentration ou même l'effort pour se concentrer sont comme une constante pression qui use l'obstacle jusqu'au moment où, avant qu'on s'en rendre bien compte, on découvre qu'il est en train de se briser ou s'est déjà brisé.
Je connais très bien ces pressions d'un Pouvoir mental ou d'une formation créatrice pour s'exprimer ou se réaliser. Lorsque cela presse ainsi, il n'y a rien d'autre à faire que de laisser faire, afin que le mental demeure libre et clair ; sinon, il sera poussé de deux côtés et ne se trouvera pas dans l'état d'aise et de clarté nécessaire à la concentration.
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Mai 1933
Il vaut toujours mieux de pas juger les autres pour les condamner. Il ne s'agit pas d'être aveugle à leurs mouvements, mais on doit les observer en tant que mouvement de la Nature qui obstrue la lumière en eux, ce dont ils sont moins responsables que le mental ne le pense.
13 mai 1933
L'essence de la soumission n'est pas de demander à la Mère avant de faire quoi que ce soit – mais d'accepter sans réserve l'influence de la guidance ; quand la joie et la paix descendent, de les accepter sans questionner ni ergoter et de les laisser croître ; quand vous sentez que la Force travaille, de la laisser faire sans opposition ; quand la Connaissance est donnée, de la recevoir et de la suivre ; quand la Volonté est révélée, de faire de vous son instrument.
C'est aussi, sans nul doute, d'accepter la guidance et le contrôle du Gourou, qui est pour le moins supposé savoir mieux que vous ce qui est ou ce qui n'est pas la Vérité et le chemin vers la Vérité.
Tout cela n'est rien de bien terrible, c'est du simple bon sens.
[...]
Le Divin peut guider, il ne commande pas. Il existe une liberté intérieure, permise à tout être mental qu'on appelle humain d'accepter ou non la guidance du Divin : comment, s'il n'en était pas ainsi, pourrait-il s'accomplir la moindre réelle évolution spirituelle ?
13 mai 1933
Ce que je voulais rire au sujet des expériences, c'est simplement que vous avez bâti vos propres idées sur ce que vous attendez du Yoga et avec toujours mesuré à cette aune ce qui commençait à venir, et parce que cela ne s'accordait pas avec votre attente où n'était pas à la hauteur de votre norme, vous vous disiez au bout d'un moment : "Ce n'est rien, ce n'est rien." À chaque pas, cette insatisfaction vous a exposé à une réaction ou un repli qui ont empêché tout développement continu.
Le yogi qui a de l'expérience sait que les débuts modestes sont de la plus grande importance, qu'il faut les choyer, et avec une grande patience, leur permettre de se développer.
Il sait par exemple que le calme neutre, si insatisfaisant pour l'ardeur vitale du sadhak, est le premier pas vers la paix qui dépasse toute compréhension, le petit courant de frémissement ou de délice intérieur la première goutte coulant de l'océan d'Ananda, le jeu de lumières ou de couleurs la clé qui ouvre les portes de la vision et de l'expérience intérieures, la descente qui raidit le corps en une immobilité concentrée le premier de quelque chose qui débouchera sur la présence du Divin. Il n'est pas impatient, il fait plutôt attention à ne pas déranger l'évolution qui commence.
Bien sûr, certains sadhaks ont des expériences fortes et décisives au début, mais elles sont suivies d'un long labeur, au cours duquel se rencontrent bien des périodes vides et beaucoup de périodes de lutte.
15 juin 1933
Mais vous devez éviter une erreur communément répandue sur la réincarnation. L'idée courante, c'est que Titus Balbus renaît en John Smith, un homme avec la même personnalité, le même caractère, les mêmes réalisations que dans sa vie précédente, avec la seule différence qu'il porte une veste et des pantalons au lieu d'une toge et parle l'anglais cockney au lieu du latin populaire. Ce n'est pas le cas.
Quel serait l'utilité, terrestre ou non terrestre, de répéter la même personnalité ou le même caractère un million de fois du commencement jusqu'à la fin des temps ? L'âme vient au monde pour expérimenter, pour grandir, pour évoluer, jusqu'à ce qu'elle puisse amener le Divin dans la Matière.
C'est l'être central qui s'incarne, non la personnalité extérieure – la personnalité n'est que le moule qu'il crée pour ses formes d'expérience dans cette seule vie. Lors d'une autre naissance, il se créera une personnalité différente, des capacités différentes, une vie et une carrière différentes.
22 juin 1933
Mon expérience me montre que les êtres humains sont moins volontaires et responsables de leurs actes que les moralistes, romanciers et dramaturges ne les font, et je cherche à voir quelles forces les conduisent plutôt que ce que l'homme lui-même peut avoir semblé, par inférence, vouloir ou donner pour but – nos déductions sont souvent fausses, et même quand elles sont justes, elles ne touchent que la surface de la chose.
15 juillet 1933
Le poème est très beau. Pour le reste, il y a deux règles d'or.
1. Ne jamais être déprimé ni bouleversé par les difficultés ou les faux pas.
2. Aller tranquillement de l'avant ; alors, aussi long que cela puisse paraître, toujours un progrès s'accomplira, et un jour vous serez surpris de vous trouver près du but.
C'est comme les tournants que suit le train en gravissant une montagne – ils forment des cercles, mais toujours plus proches du but.
10 août 1933
Je n'arrive pas à me persuader que tout ce qui est en train de se passer – y compris le triomphe de la politique britannique et la détérioration de l'intellect de Gandhi – soit pour le mieux. [...] Tagore aussi vient d'écrire un article désespéré, dans lequel il prévoit avec tristesse une fin du monde, pralay-kalpanta, comme étant peut-être la solution la plus rapide et la plus satisfaisante au gâchis dans lequel nous nous trouvons. [...] Parfois, je sens même qu'à la fin vous abandonnerez ce monde mauvais et souhaiterez avec Tagore le pralay [dissolution universelle] et vous retirerez dans une Samadhi extra-cosmique.
Je n'ai pas la moindre intention de faire cela – quand bien même tout s'écroulerait ; je regarderais au-delà de l'écroulement, vers la nouvelle création.
Quant à ce qui se passe dans le monde, cela ne me trouble pas parce que j'ai toujours su que les choses se passeraient de cette façon. [...] Quant aux espoirs des idéalistes intellectuels, je ne les ai pas partagés, donc je ne suis pas déçu.
En ce qui vous concerne, cela semble être une crise de "blues" – pas le bleu brillant spirituel, mais le bleu sombre ; il n'y a qu'une chose à faire dans ce cas, rejeter ce bleu-là et laisser le vrai bleu briller sur vous. Que le port soit proche ou éloigné n'est pas ce qui importe – la seule chose à faire, c'est de continuer, les yeux fixés sur l'étoile qui guide – alors on atteint le but, que ce soit aujourd'jui ou demain ou plus tard.
Sri Aurobindo & Dilip Kumar Roy - Correspondance (1929-1933)
Voici le premier des quatre volumes de correspondance entre Sri Aurobindo et Dilip Kumar Roy, chanteur, musicien, poète et écrivain bengali. En 1928, Dilip devint le disciple de Sri Aurobindo, qu...
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