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Agenda du 26 novembre 1958

Au fond, l’immense majorité des hommes sont comme des prisonniers avec toutes les portes et toutes les fenêtres fermées, alors ils étouffent (ce qui est assez naturel), mais ils ont avec eux la clef qui ouvre les portes et les fenêtres, et ils ne s’en servent pas...

Certainement, il y a une période où ils ne savent pas qu’ils ont la clef, mais longtemps après qu’ils le savent, longtemps après qu’on le leur a dit, ils hésitent à s’en servir et ils doutent qu’elle ait le pouvoir d’ouvrir portes et fenêtres, ou même qu’il soit bon d’ouvrir les portes et les fenêtres !

Et même quand ils ont une impression que "après tout, ce serait peut-être bien", il reste une crainte : "Qu’est-ce qui va arriver quand ces portes et ces fenêtres seront ouvertes ?..." et ils ont peur. Ils ont peur de se perdre dans cette lumière et dans cette liberté. Ils veulent rester ce qu’ils appellent "eux-mêmes". Ils aiment leur mensonge et leur esclavage. Quelque chose en eux l’aime et y reste agrippé. Il leur reste l’impression que sans leurs limites, ils n’existeraient plus.

C’est pour cela que le trajet est si long, c’est pour cela qu’il est difficile. Parce que si, vraiment, on consentait à ne plus être, tout deviendrait si facile, si rapide, si lumineux, si joyeux – mais peut-être pas de la manière dont les hommes conçoivent la joie et la facilité.

Au fond, il y a très peu d’êtres qui n’aiment pas la bataille. Il y en a très peu qui consentiraient à ce qu’il n’y ait pas de nuit, et qui ne conçoivent la lumière que comme l’opposé de l’obscurité : "Sans ombre, il n’y aurait pas de tableau. Sans lutte, il n’y aurait pas de victoire. Sans souffrance, il n’y aurait pas de joie." Voilà ce qu’ils pensent, et tant que l’on pense comme cela, on n’est pas encore né à l’esprit.

Peut-être cela vaudrait-il le coup de nous interroger sur cette clef, de mettre en pratique l'abdication et de trouver comment continuer de fonctionner sans notre encombrante petite personnalité. Petit florilège de quelques Agendas...

Agenda du 22 novembre 1958

Oh! le plus terrible de tout, c’est quand on n’a pas la force, le courage, quelque chose d’indomptable. Combien de fois ils viennent dire : "Je veux mourir, je veux m’enfuir, je veux mourir" – Je dis : "Mais mourez donc à vous-même ! On ne vous demande pas de laisser survivre votre ego ! Mourez à vous-même puisque vous voulez mourir ! Ayez ce courage-là, le vrai courage, de mourir à votre égoïsme."

🌸

Agenda du 3 mars 1960

Il y a une ligne de Sri Aurobindo dans Savitri, qui dit cela très bien : s’annuler pour qu’il n’y ait plus que le Seigneur suprême.

Annule-toi pour que Dieu seul existe.

Annul thyself that only God may be. (VII.VI.538)

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Agenda du 19 mai 1961

Quand je suis toute seule, alors c’est admirable ! Ce corps, dès qu’il est tout seul, oh !... c’est comme s’il fondait – comme cela, fondait. Il n’y a plus de limites, il est content : "Oh! enfin, je peux ne plus être !"  Et alors, vraiment – vraiment il s’oublie ; vraiment ça passe à autre chose.

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Agenda du 6 janvier 1962

...j'ai eu un moment comme cela pendant que je marchais là-haut : tout d'un coup, cette espèce de certitude absolue que je ne savais rien (ça a duré au balcon aussi) que (il n'y avait pas de "je", pas de je du tout) qu'on ne savait rien – "on", il n'y avait pas de "on", il n'y avait que... Qu'on ne pouvait pas savoir (je suis obligée d'employer des mots), qu'on ne pouvait pas savoir, qu'il n'y avait rien à savoir, que c'était tout à fait inutile, qu'il était tout à fait impossible de rien comprendre, même, même en sortant du mental, qu'aucune formulation n'était possible, qu'il n'y avait aucune possibilité de comprendre.

C'était tellement absolu, n'est-ce pas, qu'alors, aider les autres, faire avancer le monde, la vie spirituelle, la recherche du Divin, tout ça, tout ça, c'était du bavardage et des mots ! Qu'il n'y avait rien, que ce n'était rien, et qu'il n'y avait rien à comprendre, et que c'était impossible de comprendre – il était impossible d'être. Le sentiment d'une incapacité totale. C'était comme un dissolvant. Tout était comme cela, comme si tout était dissous : le monde, la terre, les gens, la vie, l'intelligence, tout-tout, tout ça était dissous, c'est-à-dire un état absolument négatif.

Et ma solution, toujours la même : quand l'expérience a été bien totale, bien complète, que rien n'est resté, alors l'impression : "Tout ça, je m'en fiche (n'est-ce pas, vraiment ça pouvait se dire avec les mots les plus ordinaires ): je T'adore." Et le "je" était quelque chose de tout à fait inconsistant : il n'y avait pas de forme, il n'y avait pas d'être, il n'y avait pas de qualité, il y avait : "Je T'adore" – c'était quelque chose qui était je et je T'adore. Simplement, il y avait assez de je pour pouvoir T'adorer.

Et alors, de cette minute, c'était comme une Douceur inexprimable, et là-dedans une Voix... aussi d'une douceur et d'une harmonie ! (il y avait un son, il n'y avait pas de mots, mais ça avait un sens absolument clair pour moi, comme si c'étaient les mots les plus précis): "Tu viens d'avoir ton moment le plus créateur" !!

Ah, bon ! ça va bien ! !

Après ça (riant), j'ai tiré l'échelle.

Avec un sourire ineffable, comme une espèce de... peut-être l'origine même de l'humour ? comme conclusion. Cette espèce d'annihilation, d'annulation de tout, et : "Tu viens d'avoir ton moment le plus créateur." Alors j'ai ri – c'est tout, je n'avais plus qu'à rire !

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Agenda du 14 décembre 1963

Si l'expression devient assez claire pour être compréhensible, cette phase de l'expérience est peut-être intéressante pour les autres, non ? J'ai l'impression que ça peut aider à rompre quelques limites.

Sûrement.

Oui, mais il faut que ce soit compréhensible, vraiment compréhensible – je n'en suis pas sûre. Parce que quand je te parle, je te communique la vibration de l'expérience ; alors dans la mesure de ta réceptivité, tu l'éprouves ; mais ça ne passe pas dans les mots imprimés – très peu, très-très peu.

Les gens lisent avec leur tête, avec leur cerveau.

Je vois des gens comme N, qui est évidemment un sujet exceptionnel en ce sens qu'il vibre à la vibration intellectuelle (Sri Aurobindo disait, et c'est évident, que de tous ceux qui l'entouraient, c'était lui qui comprenait le mieux), eh bien, même lui... ça passe en tangente. Ce n'est pas qu'il ne comprend pas du tout mais c'est en tangente. C'est une compréhension mitigée, un tout petit peu déformée et qui ramène tout au sens de la personne, de l'individu (de Mère), et alors ça perd toute L'ESSENCE de sa valeur...

Ce que je voudrais arriver à communiquer, c'est justement cette absence d'individu ; mais quand je m'exprime, je suis obligée de dire "je", la phrase a toujours une tournure personnelle, et c'est ça que les gens voient. Quand j'ai mon expérience, elle est là, elle est vivante, là ; toi, tu la sens, et avec un petit mouvement d'adaptation tu supprimes la déformation du langage, mais les autres ne le font pas.

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Agenda du 4 août 1965

Mais toujours, l'aspiration était de recevoir la vraie chose. Mais ça arrive, il y a un moment où ça arrive clair-clair – clair – pour tout, même pour les toutes petites choses de la vie quotidienne : "Fais ça, ça, ça..."

Oui, c'est ça qu'il faut

Mais je dois dire que c'est le résultat d'années d'effort – pas d'effort : de vigilance. De vigilance : ne pas oublier que c'est ça que l'on veut, et que l'autre façon est simplement un pis-aller en attendant.

En tout cas, il est tout à fait certain (Sri Aurobindo l'a écrit quelque part, je l'ai lu il y a deux ou trois jours encore), tout à fait certain que le Seigneur ne veut pas d'automates qu'il pousse. Ce n'est pas cela qu'il veut : Il veut une collaboration consciente.

Seulement, il y a un moment où le sens de la personne disparaît vraiment ; on continue à dire "je" parce que comment s'exprimer ? mais quand on dit "je", on a le sentiment (pas la pensée – la pensée, ça prend beaucoup de temps), une espèce de sentiment de la Volonté supérieure qui se manifeste ici, à cet endroit-ci, avec ces moyens-ci. Ça vient après des années.

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Agenda du 2 juin 1966

Il y avait cela, cette volonté et cette endurance, et puis : "Que Ta Volonté soit faite", et "Fais que je Te serve comme Tu veux, comme il faut que je serve, que je t'appartienne comme Tu veux", et puis "Qu'il n'y ait plus que Toi, que le sens de la personne disparaisse" (et vraiment, cela avait diminué considérablement).

Et ça, c'était une soudaine révélation : au lieu de cette base d'endurance – tenir à tout prix –, au lieu de cela, une espèce de joie, de joie très tranquille mais très souriante, très souriante, très douce, très souriante, très charmante – charmante ! si innocente, quelque chose de si pur et de si joli : la joie qui est dans toutes les choses, dans tout ce que l'on fait, tout-tout.

À ce moment-là, on m'a montré : tout-tout-tout, il n'y a pas une vibration qui ne soit une vibration de joie. C'est la première fois.

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Agenda du 18 février 1967

C'est surtout le sens de la personne qu'il faut perdre – ça, c'est le grand art dans tout, pour tout, pour tout ce que l'on fait : pour la peinture, pour... (j'ai fait de la peinture, de la sculpture, j'ai même fait de l'architecture, j'ai fait de la musique), pour tout-tout, si l'on est capable de perdre le sens de la personne, alors on est ouvert à... à la connaissance de cette chose (sculpture, peinture, etc.). Ce ne sont pas nécessairement des personnes, mais c'est l'esprit de ça qui se sert de vous.

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Agenda du 16 avril 1969

Il faut pouvoir se tenir dans la lumière de la Conscience Suprême sans faire d'ombre.

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Agenda du 25 octobre 1969

(Après un silence) Tel que je le vois, lui, c'est parce qu'il a besoin que ce soit manifesté par une conscience personnelle. Une "conscience personnelle", je veux dire quelqu'un (Mère) qui est "conscient de porter le Divin" et qui sent "je porte le Divin", tu comprends ? Quand ça, ce n'est pas là (le Divin est là, c'est tout, mais il n'y a pas le "je suis le Divin"), il ne peut pas sentir.

Et je vais plus loin : je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'Européens ou d'Occidentaux qui puissent le sentir. Les Indiens, c'est à cause de l'atavisme. Et tous ceux qui sont westernized [occidentalisés] ne peuvent plus sentir. Ils ont besoin du sens de la personne, la personne qui dit : "Je suis", tu comprends.

Mais ce corps... (riant) le corps a dépassé le stade où il dit "je suis" ! L'idée même le fait rire. C'est pour cela.

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Agenda du 13 décembre 1969

Par exemple, tout ce côté (tout ce qu'ici, à l'Ashram, Y représente), de cette humanité qui veut prendre par force les choses et qui les tire là (geste à hauteur du front)... C'est intéressant (on ne peut pas dire : c'est intéressant !), mais c'est pas ça ! C'est pas ça ! il faut que toutes ces possibilités soient épuisées pour que quelque chose dans l'humanité comprenne... qu'il n'y a que ça (Mère ouvre les mains dans un geste d'abandon), voilà, et puis se laisser aplatir jusqu'à disparition.

Au fond, c'est ça le plus difficile : apprendre à disparaître.

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Agenda du 29 décembre 1971

Pour moi, le chemin le plus rapide a été... (comment dire ?) le sens croissant de mon inanité – inexistence. Ne rien pouvoir, ne rien savoir, ne rien vouloir ; et alors, TOUT l’être, avec... ce n’est même plus une aspiration, c’est comme cela (geste d’abandon, mains ouvertes), c’est inévitable : "Sans le Divin, rien-rien – je ne suis rien, je ne comprends rien, je ne peux rien. Sans le Divin, rien." Et être comme cela (même geste, mains ouvertes). Et alors... une Paix... une Paix lumineuse... et si puissante !

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En conclusion de cet article, il est peut-être nécessaire de situer le contexte en rappelant qu'il s'agit-là du chemin intérieur spirituel... 

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