Changer le monde
L'idée de changer le monde préoccupe l'humanité depuis des millénaires, ces quelques extraits de l'Agenda nous présentent quelques facettes de la question.
Agenda du 12 novembre 1960
Satprem demande à Mère ce qui pourra faire céder les forces adverses. Et Mère de répondre :
L’Amour divin. C’est la seule chose.
C’est ce que Sri Aurobindo a expliqué dans Savitri. C’est seulement quand l’Amour divin se manifestera dans toute sa pureté, alors tout cédera, tout cédera – ce sera fait.
C’est la seule chose qui puisse faire cela. Ce sera la grande Victoire.
(silence)
Et on sent cela (en tout petit, n’est-ce pas, dans de tout petits détails) que, de toutes les forces, c’est la plus forte. C’est la seule qui ait du pouvoir sur les volontés adverses. Seulement... pour changer le monde, il faut que ça se manifeste ici dans sa plénitude. Il faut qu’on en soit capable...
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Agenda du 24 mai 1962
On peut se demander, pratiquement, comment participer à cette...
Cette découverte ?
Ça... au fond, c'est toujours la même chose. C'est toujours la même chose : réaliser son propre être, entrer en rapport conscient avec la Vérité suprême de son propre être, sous n'importe quelle forme, par n'importe quel chemin – ça n'a aucune importance –, mais c'est le seul moyen. Nous portons, chaque individu porte en lui une vérité, et c'est à cette vérité qu'il doit s'unir, c'est cette vérité qu'il doit vivre ; et comme cela, le chemin qu'il aura à suivre pour joindre et réaliser cette vérité est le chemin qui le mènera le plus près possible de la Connaissance. C'est-à-dire que les deux sont absolument unis : cette réalisation personnelle, et la Connaissance.
Qui sait, peut-être même que c'est cette multiplicité d'approches qui donnera le Secret – le Secret qui ouvrira la porte.
Je ne pense pas qu'un seul individu (sur la terre telle qu'elle est maintenant), un seul individu, si grand soit-il, si éternelles que soient sa conscience et son origine, puisse, à lui seul, changer et réaliser : changer le monde, changer la création telle qu'elle est, et réaliser cette Vérité supérieure qui sera un nouveau monde – un monde plus vrai, sinon absolument vrai. Il semblerait qu'un certain ensemble d'individus (jusqu'à présent, ça paraît être plutôt dans le temps comme une succession ; mais c'est peut-être aussi dans l'espace : une collectivité) est indispensable pour que cette Vérité puisse se concrétiser et se réaliser. Pratiquement, j'en suis sûre.
C'est-à-dire que si grand soit-il, si conscient soit-il, si puissant soit-il, UN Avatar ne peut pas, tout seul, réaliser la vie supramentale sur la terre. C'est, ou un ensemble dans le temps s'échelonnant sur un temps, ou bien un groupe se répandant sur un espace – peut-être les deux –, qui sont indispensables à cette Réalisation. J'en suis convaincue.
L'individu peut donner l'impulsion, indiquer le chemin, MARCHER lui-même sur le chemin, c'est-à-dire montrer le chemin en le réalisant lui-même – mais pas accomplir. L'accomplissement obéit à des lois d'ensemble qui sont l'expression d'un certain aspect de l'Éternité et de l'Infini – naturellement ! c'est tout le même Être ; ce n'est pas des individus différents ni des personnalités différentes, c'est tout le même Être. Mais c'est tout le même Être qui s'exprime d'une certaine façon qui, pour nous, se traduit par un ensemble, un groupe, une collectivité.
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Agenda du 31 août 1962
On ne peut pas espérer... Tu sais, dans l'évolution, il y a quelquefois des mutations brusques ?
Ça peut, c'est possible. C'est possible, je ne dis pas que ce n'est pas possible, c'est possible, ça peut venir, mais... de plus en plus, la vie qui est réservée à ce corps, c'est de faire les choses sans le savoir, de changer le monde sans le voir, et de... pas s'occuper de ça, absolument pas du tout s'occuper du résultat. Et j'ai l'impression (pour être tout à fait explicite) que la notion de « résultat » doit disparaître totalement pour avoir le Pouvoir le plus haut et le plus pur – que le Pouvoir suprême est un Pouvoir qui n'a pas DU TOUT le sens du résultat, que ce sens de résultat est encore une dislocation entre le Pouvoir essentiel, suprême, et la conscience ; c'est-à-dire que la conscience commence à se séparer un peu (1) pour avoir le sens du résultat, autrement il n'y a pas ça.
1. Se séparer un peu de son identité avec le Pouvoir suprême.
C'est comme si on voulait que tout... que ce soit l'Action, l'Action éternelle de chaque seconde dans la Manifestation, qui est la chose. À chaque pulsation, qui correspond au temps dans la Manifestation, c'est ça qui est la chose. Et cette idée de quelque chose qui aura un résultat est déjà une déformation.
Ininterrompu, avec un lien – le lien de l'Éternité suprême. Mais ce sens de conséquence est faux ; c'est déjà une descente de la conscience. Et alors, ça se traduit – même physiquement, dans tout cet amalgame de confusion et d'ignorance et de stupidité –, ça se traduit par : « Je fais les choses, et ce qui en résulte ne me concerne pas, ça ne me regarde pas. » C'est comme cela que ça se traduit ici (dans le corps).
Une espèce de libération (je ne parle pas de souci ni de préoccupation, il ne s'agit pas de ça), mais même de l'IDÉE que ça a une conséquence : c'est comme ça parce que c'est comme ça ; ce doit être comme ça et c'est comme ça, voilà. Et à chaque seconde, c'est comme ça parce que ça doit être comme ça, et c'est comme ça. Et Ça, Ça se répète éternellement, et c'est cette Pulsation éternelle qui se traduit dans le temps par ces bouffées – je sens ça très fort, très fort. C'est une expérience très constante et très spontanée, très naturelle. Cette idée de ce qui est derrière, en avant, tout ça, c'est... une Vérité qui se change d'Éternité immuable en Éternité de manifestation. Et ça se change comme ça, par (Mère fait un geste de pulsation), exactement comme des bouffées – peuff ! peuff ! peuff...
On pourrait dire des bouffées aussi irresponsables que les bulles de savon d'un enfant. Pas – aucun sens des conséquences, aucun-aucun-aucun – peuff ! peuff ! peuff ! comme ça.
C'est une expérience qui ne me quitte pas.
Alors quand les gens viennent me raconter leurs histoires, j'ai l'impression qu'on me fourre la tête dans une bouillie noire et je ne comprends plus rien. Ils me demandent conseil sur ce qu'ils doivent faire ! (Mère rit) Alors maintenant je leur réponds presque invariablement : « Faites n'importe quoi, ça n'a pas d'importance ! » (Mère rit)
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Agenda du 27 juillet 1963
Deux lettres de Sri Aurobindo :
« Ce que le supramental fera, le mental ne peut le prévoir ni le réglementer. Le mental est l'ignorance à la recherche de la Vérité ; le supramental, par définition, est la Conscience-de-Vérité, la Vérité en possession d'elle-même et se réalisant par son propre pouvoir. Dans un monde supramental, l'imperfection et la désharmonie disparaîtront inévitablement. Mais ce que nous nous proposons juste maintenant, ce n'est pas de transformer la terre en un monde supramental, c'est de faire descendre sur la terre le supramental comme un pouvoir et comme une conscience permanente au milieu du reste et de le laisser travailler ici-bas afin qu'il s'accomplisse lui-même, de même que le Mental est descendu dans la Vie et dans la Matière et qu'il a travaillé ici-bas comme un pouvoir afin de s'accomplir lui-même au milieu du reste. Ceci suffira à changer le monde et à changer la Nature en brisant ses limites actuelles. Mais ce qu'il fera et comment et dans quelle mesure est une chose que l’on ne doit pas dire maintenant – quand la Lumière sera là, Elle fera elle-même son travail ; quand la Volonté supramentale se manifestera sur la terre, cette Volonté décidera. Elle établira une perfection, une harmonie, une création de Vérité – pour le reste, eh bien, ce sera le reste, c'est tout. »
« Il n'est pas recommandable de trop discuter ce que fera le supramental et comment il le fera, parce que ce sont des questions que le supramental réglera lui-même en suivant la Vérité divine qui est en lui ; le mental ne doit pas essayer de lui fixer des sillons dans lesquels il tournera. Naturellement, la délivrance de l'ignorance subconsciente et des maladies, le prolongement de la vie à volonté et un changement dans le fonctionnement du corps figureront parmi les éléments ultimes du changement supramental, mais c'est à l'Énergie supramentale que doit être laissé le soin d'élaborer les détails selon la Vérité de sa nature. »
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Agenda du 25 mars 1964
C'est une impression qui vient grandissante, comme le Vrai est le seul moyen de changer le monde ; que tous les autres procédés de lente transformation sont toujours en tangente (on approche de plus en plus mais on n'arrive jamais), et que le dernier pas, ce doit être ça : cette substitution de la Vibration vraie.
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Agenda du 3 août 1968
(Mère est toujours très fatiguée. Elle écoute, pourtant, un long mémoire sur Auroville, qu'elle rejette, et met au point avec le disciple une note qui résume l'idéal de cette cité future :)
«Depuis des millénaires, nous avons développé des moyens extérieurs, des instruments extérieurs, des techniques de vivre extérieures – et finalement ces moyens et ces techniques nous écrasent. Le signe de l'humanité nouvelle est un renversement de point de vue et la compréhension que les moyens intérieurs, la connaissance intérieure et la technique intérieure peuvent changer le monde et le maîtriser sans l'écraser.
«Auroville est le lieu où s'élabore cette nouvelle manière de vivre, c'est un centre d'évolution accélérée où l'homme doit commencer à changer son monde par le pouvoir de l'esprit intérieur.»
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Agenda du 16 août 1969
Cet état-là... Par expérience, je sais que c'est l’état (1) dans lequel ON PEUT CHANGER LE MONDE. On devient une espèce d'instrument (qui est même inconscient d'être un instrument, n'est-ce pas), mais qui sert à... (geste montrant la coulée des Forces à travers l’instrument) à la projection des forces (geste dans toutes les directions à partir du centre instrumental).
1. Dans Carnets de Laboratoire, Satprem a décrit cet état comme étant un "silence massif." (Note personnelle)
N'est-ce pas, le cerveau est tout à fait, tout à fait trop petit – même quand il est très grand, il est trop petit pour pouvoir comprendre ; c'est pour cela qu'il y a ce blanc dans le mental. Et «la chose» se passe.
Et alors, on s'aperçoit que pour les besoins de la toute petite vie que l'on représente, automatiquement ça se passe, et on vous fait faire à chaque minute simplement ce qu'il faut faire sans... sans calcul, sans spéculation, sans décision, rien, comme ça (même geste de coulée à travers l'instrument).
J'ai eu l'expérience, alors personnelle, que si quelque chose dans le corps est dérangé (une douleur ou un malaise ou quelque chose qui ne fonctionne pas convenablement), quand on a passé par cet état-là, ça part – ça s'en va, ça disparaît. Des douleurs aiguës, n'est-ce pas : complètement disparues, on ne sait même pas comment ! «Ah! fini», comme ça.
Et alors, dans le contact avec les gens et le contact avec les choses de la vie, une simplicité d'enfant. C'est-à-dire que l'on fait les choses sans... surtout sans spéculation.
Mère. Agenda (1958-73): Tape recordings by Satprem
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https://aurobindoru.auromaa.org/workings/ma/agenda_sound/index.htm