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Lorsque nous écoutons parler de spiritualité, il est souvent question de telle ou telle divinité, telle ou telle religion, de joie, de lumière, de connaissance, de sagesse, de pouvoirs divers et variés, etc. Mais il est rarement parlé de samata, l'égalité. Et même si l'invitation d'aller en paix, d'être en paix est fréquente, cette paix ne recouvre pas exactement et pas entièrement la richesse de sens que contient cette notion d'égalité.

Notons d'emblée que sur cette seule notion, Sri Aurobindo a pris la peine d'écrire 5 chapitres.

Le Yoga de la perfection de soi

Chapitre 11 – La perfection de l’égalité (page 187 / 198)

Chapitre 12 – La voie de l’égalité (page 199 / 212)

Chapitre 13 – L’action de l’égalité (page 213 / 221)

Essai sur la Guîtâ – Livre premier

Chapitre 19 – Égalité (page205 / 218)

Chapitre 20 – Égalité et connaissance (page 219 / 231)

Les idées de ces chapitres s'écoulent d'une façon si harmonieuse et si convaincante qu'il m'est paru impossible de les couper en petits morceaux.

Ci-dessous, l'intégralité du chapitre 11, je me suis seulement permis de souligner les passages donnant une indication sur ce que nous devons réaliser.

La toute première nécessité de la perfection spirituelle est l’égalité parfaite.

La perfection, au sens où nous employons ce terme dans le yoga, signifie le passage d’une nature inférieure, non divine, à une nature supérieure et divine.

En termes de connaissance, c’est l’être qui se revêt de son moi supérieur et se dépouille de son moi inférieur obscur et fragmentaire ; c’est une transformation de notre état imparfait en la plénitude ronde et lumineuse de notre personnalité vraie et spirituelle.

En termes de dévotion et d’adoration, c’est un changement à l’image de la nature et de la loi de l’être du Divin, c’est une union avec celui auquel nous aspirons ; car si cette similitude, cette union en la loi de l’être fait défaut, l’unité de l’esprit transcendant, universel et individuel n’est pas possible.

La suprême nature divine se fonde sur l’égalité. Cet énoncé reste vrai, que nous considérions l’Être Suprême comme un pur Moi ou Esprit silencieux, ou comme le Maître divin de l’existence cosmique.

Le Moi pur est égal, impassible, témoin de tous les événements et de toutes les relations de l’existence cosmique dans une paix impartiale. Il n’a pas d’aversion pour cette existence — l’aversion n’est pas l’égalité, et si telle était l’attitude du Moi devant l’existence cosmique, comment l’univers aurait-il jamais pu commencer d’exister ni poursuivre ses cycles ? — mais le détachement, le calme du regard égal, la supériorité vis-à-vis des réactions qui troublent l’âme plongée dans la nature extérieure et la réduisent à une faiblesse impuissante, telle est la substance même de la pureté de l’Infini silencieux et la condition de son assentiment impartial et de son appui aux innombrables aspects du mouvement universel.

Mais cette même égalité est aussi la condition de base du pouvoir du Suprême quand il gouverne et déroule ces mouvements.

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Le Maître de toutes choses ne peut être affecté ni troublé par les réactions des choses ; s’il l’était, il serait soumis aux choses et non leur maître ; au lieu d’être libre de les façonner selon sa volonté et sa sagesse souveraines ou selon la vérité et la nécessité intérieures de ce qui se cache derrière leurs relations, il serait contraint d’agir selon les exigences des accidents et des phénomènes temporaires.

La vérité de toutes choses est dans le calme de leur profondeur, non dans la vague mouvante et inconstante des formes de la surface. C’est de cette profondeur que l’Être conscient suprême, en sa connaissance, sa volonté et son amour divins, gouverne leur évolution, qui, pour notre ignorance, paraît être si souvent une confusion et une aberration cruelles, et il n’est point troublé par les clameurs de la surface.

La nature divine ne partage pas nos tâtonnements ni nos passions ; quand nous parlons de la fureur ou de la faveur divine, ou de Dieu qui souffre en l’homme, nous nous servons d’un langage humain qui traduit faussement la signification intérieure du mouvement que nous dépeignons.

Nous commençons à entrevoir la vérité réelle des choses quand nous sortons du mental phénoménal et que nous nous élevons sur les hauteurs de l’être spirituel.

Car, alors, nous percevons que dans le silence du Moi comme dans son action cosmique, le Divin est toujours Satchidânanda, une existence infinie, une conscience infinie et un infini pouvoir d’existence consciente fondé sur rien d’autre que lui-même, une infinie béatitude en toute son existence.

Et nous commençons nous-mêmes à vivre dans une lumière, une énergie et une joie égales — car telle est la traduction psychologique de la connaissance, de la volonté et de la félicité divines en nous-mêmes et dans les choses — qui de ces sources infinies se déversent dans l’action universelle.

Fort de cette lumière, de ce pouvoir et de cette joie, un moi, un esprit secret en nous, accepte les signes duels de cette transcription mentale de la vie et les transmue sans cesse en la substance de son expérience parfaite ; si cette existence plus vaste, cachée, n’était pas déjà en nous, nous ne pourrions supporter la pression de la force universelle, ni subsister dans ce monde énorme et dangereux.

L’égalité parfaite de notre esprit et de notre nature est un moyen qui nous permet de faire un pas en arrière, de nous retirer de la conscience extérieure ignorante et troublée afin d’entrer dans le royaume des cieux intérieurs et posséder les royaumes éternels de l’esprit, râjyam samriddham, dans la vastitude, la joie et la paix.

Cette élévation de soi à la nature divine est tout le fruit et toute la raison d’être de la discipline d’égalité qu’exige de nous le but de perfection de soi dans le yoga.

Hedychium Spp. J. Koenig (Zingiberaceae)

Gingembre (Famille du)

Satchidânanda

Forte et pure, elle se dresse dans son pouvoir créateur.

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Une égalité et une paix d’âme parfaites sont indispensables pour changer complètement la substance de notre être en la substance du moi en l’extrayant de l’actuelle texture de notre mentalité troublée. Elles sont également indispensables si nous aspirons à remplacer notre activité actuelle confuse et ignorante par des œuvres maîtrisées et lumineuses, jaillies d’un esprit libre qui gouverne sa nature à l’unisson de l’être universel.

Une action divine, voire même une action humaine parfaite, est impossible si nous ne possédons pas l’égalité d’esprit et l’égalité des énergies motrices de notre nature.

Le Divin est égal pour tous, il soutient impartialement son univers, voit tout d’un même regard, consent à la loi de l’être en développement qu’il a fait surgir des profondeurs de son existence, tolère ce qui doit être toléré, abaisse ce qui doit être abaissé, exalte ce qui doit être exalté, crée, conserve et détruit avec une égale et parfaite compréhension de toutes les causes et toutes les conséquences et de tout le cheminement du sens spirituel et pratique de tous les phénomènes.

Dieu n’obéit pas à quelque trouble désir passionné quand il crée, ni ne maintient et préserve par attachement ou préférence partiale, ni ne détruit dans la fureur de quelque courroux, dégoût ou aversion.

Le Divin traite le grand et le petit, le juste et l’injuste, l’ignorant et le sage, comme le Moi de tous qui, profondément intime et uni à chaque être, conduit chacun suivant sa nature et son besoin avec une parfaite compréhension, tout, il fait mouvoir toute chose suivant son vaste but à travers les cycles et, par des progressions et des régressions apparentes, tire l’âme dans l’évolution vers ce développement sans cesse plus élevé qui est le sens de la poussée cosmique.

L’individu en quête de perfection qui veut unir sa volonté à celle du Divin et faire de sa nature un instrument des fins divines, doit s’élargir, sortir des conceptions partielles et des motifs égoïstes de l’ignorance humaine, et se modeler à l’image de cette suprême égalité.

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Cet équilibre égal dans l’action est particulièrement nécessaire pour le sâdhak du yoga intégral.

D’abord il doit apprendre à acquérir, avec une parfaite égalité, cet assentiment et cette compréhension qui adhèrent à la loi de l’action divine sans essayer de lui imposer une volonté partiale ni les revendications violentes d’une aspiration personnelle.

Une sage impersonnalité, une tranquille égalité, une universalité qui voit en toutes choses des manifestations du Divin ou de l’unique Existence, qui ne se fâche point, ne se tourmente point, ne s’impatiente point de la tournure des événements et, d’autre part, qui n’est pas excitée ni trop ardente ni précipitée et qui voit que la loi doit être suivie et la marche du temps respectée, observe et comprend avec sympathie la réalité présente des choses et des êtres, mais regarde aussi, derrière les apparences actuelles, leur sens intérieur, et, en avant, le déroulement de leurs possibilités divines — telle est la première qualité exigée de ceux qui veulent travailler comme des instruments parfaits du Divin.

Mais cet acquiescement impersonnel est seulement une base.

L’homme est l’instrument d’une évolution qui porte le masque de la lutte au début mais qui découvre de plus en plus le sens profond et plus vrai d’une adaptation constamment sage, jusqu’à ce que, dans l’échelle ascendante, cette évolution revête la vérité et la signification profonde de l’harmonie universelle maintenant cachée derrière la lutte et les adaptations.

L’âme humaine accomplie est nécessairement et toujours un instrument qui hâte les cheminements de l’évolution.

Pour cela, il faut dans une certaine mesure que la nature possède un pouvoir divin capable d’agir avec la souveraineté de la volonté divine.

Mais pour être accompli et permanent, régulier dans l’action, vraiment divin, ce pouvoir doit œuvrer sur la base d’une égalité spirituelle, d’une calme identification impersonnelle et égale avec tous les êtres, d’une compréhension de toutes les énergies.

Le Divin agit avec un prodigieux pouvoir dans les myriades d’œuvres de l’univers, mais il s’appuie sur la lumière et la force d’une unité, d’une liberté et d’une paix imperturbables. Telles sont les œuvres divines que l’âme parfaite a pour mission d’accomplir. Or, l’égalité est l’état d’être qui rend possible ce changement d’esprit dans l’action.

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Cependant, même une perfection humaine ne peut se passer d’égalité ; c’est l’un de ses éléments principaux, voire son atmosphère essentielle. Pour être digne de ce nom, la perfection humaine doit inclure deux pouvoirs   : la maîtrise de soi et la maîtrise du milieu ; et elle doit chercher à atteindre leur plus haut degré accessible à la nature humaine.

Comme on disait jadis, le besoin humain de perfection de soi consiste à être «   maître de soi   » et «   maître autour de soi   », svarât et samrât. Mais il n’est pas possible d’être maître de soi si l’on est soumis aux attaques de la nature inférieure, aux perturbations du chagrin et de la joie, aux contacts violents du plaisir et de la douleur, au tumulte des émotions et des passions, à l’esclavage des sympathies et des antipathies personnelles, aux lourdes chaînes du désir et de l’attachement, à l’étroitesse des opinions ou des jugements personnels et émotionnels avec toutes leurs préférences, aux multiples chocs de l’égoïsme qui harcèlent et laissent leur marque sur notre pensée, nos sentiments et nos actions.

Toutes ces petitesses sont l’esclavage du moi inférieur ; le «   je   » supérieur en l’homme doit les écraser s’il veut être le souverain de sa propre nature. Surmonter ces choses est la condition de la maîtrise de soi ; mais pour les surmonter, encore une fois, l’égalité est la condition et l’essence du mouvement. Être complètement libre de toutes ces atteintes — si possible, ou du moins être leur maître et se tenir au-dessus d’elles —, telle est l’égalité. En outre, celui qui n’est pas maître de soi ne peut être maître de son milieu.

La connaissance, la volonté, l’harmonie nécessaires à la maîtrise extérieure ne peuvent venir que comme un couronnement de la conquête intérieure.

Elles sont le partage de l’âme qui se possède elle-même et du mental qui poursuit avec une égalité désintéressée la Vérité, la Droiture et la Largeur universelle, seules capables de cette maîtrise, sans jamais oublier le grand idéal qu’elles présentent à notre imperfection, mais en comprenant en même temps et en tenant pleinement compte aussi de tout ce qui semble les contredire et empêcher leur manifestation. Cette règle est valable même aux niveaux de notre mentalité humaine actuelle qui ne peut parvenir qu’à une perfection limitée.

Or, l’idéal du yoga reprend le but du svarâjya et du sâmrâjya en lui donnant une base spirituelle plus vaste. Là, la maîtrise de soi et du milieu atteint son plein pouvoir, elle s’ouvre aux degrés divins de l’esprit ; car c’est par l’union avec l’Infini, par l’action du pouvoir spirituel sur le fini qu’une perfection intégrale et suprême de notre être et de notre nature trouve son fondement originel.

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Une égalité parfaite, non seulement du moi mais dans la nature, est la condition du yoga de la perfection de soi.

Le premier pas vers cette égalité sera évidemment la conquête de notre être émotif et vital, car c’est là que se trouvent la plus grande source de trouble, les forces d’inégalité et de sujétion les plus effrénées, les revendications les plus acharnées de notre imperfection.

L’égalité de ces parties de notre nature s’acquiert par une purification et une libération. L’égalité est en fait le signe même de la libération.

Pour être affranchi de la domination des flambées du désir vital et de la tempétueuse sujétion de l’âme aux passions, il faut un cœur calme et égal et un principe de vie gouverné par la vision largement étendue d’un esprit universel.

Le désir est l’impureté du Prâna, du principe de vie, et c’est lui qui nous enchaîne. Un Prâna délivré est une âme de vie heureuse et satisfaite qui affronte sans désir le contact des choses extérieures et les reçoit sans se troubler ; délivrée, soulevée au-dessus de la dualité asservissante des attractions et des répulsions, indifférente aux sollicitations du plaisir et de la douleur, ni excitée par l’agréable, ni troublée ni accablée par le désagréable, ne s’accrochant pas par attachement aux contacts qu’elle préfère ni ne repoussant violemment ceux qui lui répugnent, l’âme de vie s’ouvrira dans son expérience à un ordre de valeurs plus large.

Tout ce qui lui vient du monde, ce qui la menace ou la séduit, elle le référera aux principes supérieurs, à une raison et à un cœur en contact avec la lumière ou changés par la joie paisible de l’esprit.

Ainsi tranquillisée, maîtrisée par l’esprit et ne cherchant plus à imposer sa propre maîtrise à l’âme plus profonde et plus raffinée en nous, cette âme de vie sera elle-même spiritualisée et œuvrera comme un instrument clair et noble des relations divines de l’esprit avec les choses.

Il n’est pas question ici d’un anéantissement ascétique de l’impulsion de vie, ni d’une négation de son utilité et de ses fonctions inhérentes. Ce n’est pas sa mort que l’on exige, c’est sa transformation.

La fonction du Prâna est la jouissance ; mais la jouissance vraie de l’existence est un Ânanda spirituel intérieur, ce n’est pas une jouissance fragmentaire et troublée comme celle de nos plaisirs vitaux, émotifs ou mentaux, dégradés comme ils le sont maintenant par la domination du mental physique, mais une jouissance universelle, profonde, une concentration massive de béatitude spirituelle possédée dans la calme extase de notre être et de tout être.

Posséder est sa fonction ; par la possession, l’âme a la jouissance des choses ; mais la vraie possession est large et intérieure, elle n’a pas besoin de s’emparer extérieurement des choses, car ce serait une autre forme de soumission. Toute possession ou jouissance extérieure sera seulement une occasion offerte à l’Ânanda spirituel de jouer avec les formes et les phénomènes de son être cosmique.

Nous devons renoncer à la possession égoïste, à nous approprier toutes choses comme l’ego veut s’approprier Dieu, les êtres et le monde, parigraha, si nous voulons que puisse émerger cette Chose plus grande, cette vie plus large, universelle, parfaite. Tyaktena bhunjîthâh, en renonçant au sens égoïste du désir et de la possession, l’âme jouit divinement d’elle-même et de l’univers.

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De même, un cœur libre est un cœur délivré des tempêtes des affections et des passions ; les assauts du chagrin, de la colère, de la haine, de la peur, l’inégalité de l’amour, le trouble de la joie, les blessures du chagrin, quittent le cœur égal et le laissent large, calme, apaisé, lumineux, divin.

Ces affections ne sont pas inévitables pour la nature essentielle de notre être, ce sont des créations de la structure actuelle de notre nature extérieure active, mentale et vitale, et ses transactions avec le milieu. C’est le sens de l’ego qui est responsable de ces aberrations, il nous pousse à agir comme des êtres séparés qui font de leurs exigences et de leurs expériences isolées le critère des valeurs de l’univers.

Quand nous vivons uni au Divin en nous-mêmes et à l’esprit de l’univers, ces imperfections s’éloignent et disparaissent dans la calme puissance et la félicité égale de l’existence spirituelle intérieure.

Toujours présente en nous, cette vie intérieure transforme les contacts extérieurs avant qu’ils ne la touchent, elle les fait passer par une âme subliminale, psychique en nous, qui est l’instrument caché de sa joie d’être.

Par l’égalité du cœur, nous échappons à cette âme de désir troublée qui règne à la surface, nous ouvrons les portes de cet être plus profond, nous recueillons ses réponses et imposons leurs vraies valeurs divines à tout ce qui sollicite notre être émotif.

Dans cette perfection nous vivons, le cœur animé de sentiments spirituels, un cœur libre, heureux, égal, qui embrasse tout.

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Cette perfection, ici encore, n’exige pas une insensibilité sévère et ascétique, une distante indifférence spirituelle, ni l’âpre austérité d’un refoulement. Ce n’est pas la mort de la nature émotive, mais sa transformation. Tout ce qui, dans notre nature extérieure, se présente ici-bas sous des formes perverses ou imparfaites, possède un sens et une utilité qui se révèlent quand nous retournons à la vérité plus vaste de l’être divin.

L’amour ne sera pas détruit mais rendu parfait, élargi à sa suprême capacité, approfondi en une extase spirituelle ; ce sera l’amour de Dieu, l’amour de l’homme, l’amour de toutes les choses parce qu’ils sont nous-mêmes et parce qu’ils sont des êtres et des pouvoirs du Divin ; un amour large et universel parfaitement capable de relations variées remplacera l’amour vociférant et égoïste, replié sur soi, pétri de petites joies et de petits chagrins et de demandes insistantes, affligé par l’habituel spectacle coloré qu’offrent les colères, les jalousies et les petites satisfactions de la vie, les ruées vers l’unité et les mouvements de fatigue, les divorces et les séparations, auquel nous attribuons maintenant une si haute valeur.

Le chagrin disparaîtra ; une sympathie égale et un amour universel prendront sa place, mais au lieu d’une sympathie qui souffre, ce sera un pouvoir, lui-même libéré, puissant, capable de fortifier, d’aider, de délivrer.

Pour l’esprit libre, la colère et la haine sont impossibles, mais non la puissante énergie divine de Rudra (1) qui peut livrer bataille sans haine et détruire sans colère, parce que, tout le temps, il perçoit que ce qu’il détruit est une partie de lui-même, l’une de ses manifestations, et, par conséquent, rien n’altère sa sympathie pour ceux en qui s’incarnent ces manifestations, car il les comprend. Toute notre nature émotive sera soumise à cette haute transformation libératrice ; mais, pour qu’elle s’effectue, une égalité parfaite est nécessaire.

1. L’aspect destructeur de Shiva.

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Cette même égalité doit être réalisée dans les autres parties de notre être.

Tout notre être dynamique agit sous l’influence d’impulsions changeantes qui sont des manifestations de la nature inférieure ignorante. Nous obéissons à ces poussées ou nous les contrôlons en partie, ou bien nous exerçons sur elles l’influence fluctuante de notre raison qui les tempère, de nos sentiments esthétiques qui les raffinent, de notre mental et de nos notions éthiques qui les disciplinent.

Une trame enchevêtrée de bien et de mal, d’utile et de nuisible, d’activités harmonieuses ou désordonnées, tel est le fruit mélangé de notre entreprise, une toise variable de la raison et de la déraison humaines, de la vertu et du vice, de l’honneur et du déshonneur, du noble et de l’ignoble, des habitudes approuvées et désapprouvées par les hommes, un grand tourment d’approbation et de désapprobation de soi, ou de pharisaïsme et de dégoût, de remords, de honte et de dépression morale. Sans doute, ces choses sont-elles très nécessaires à présent pour notre évolution spirituelle.

Mais le chercheur d’une perfection plus vaste se détachera de toutes ces dualités, les regardera d’un œil égal et, par l’égalité, parviendra à l’action impartiale et universelle d’un tapas dynamique, d’une énergie spirituelle au sein de laquelle sa force et sa volonté personnelles seront transformées en les instruments, corrects et purifiés, d’un calme supérieur qui est le secret de l’action divine.

Les règles mentales ordinaires seront dépassées à partir de cette base d’égalité dynamique.

Notre volonté tournera son regard au-delà et cherchera la pureté d’une existence divine, le mobile d’un divin pouvoir de volonté guidé par la connaissance divine dont notre nature parfaite sera l’agent, yantra. Ceci n’est pas possible d’une façon intégrale tant que l’ego dynamique et sa soumission aux impulsions émotives et vitales ou aux préférences du jugement personnel s’immisce dans notre action. Une parfaite égalité de la volonté est le pouvoir qui dissout le nœud des impulsions dynamiques inférieures.

Cette égalité n’y répondra pas, elle attendra d’être mue par une vision plus vaste venue de la Lumière au-dessus du mental ; elle ne jugera pas, ni ne gouvernera les jugements de l’intellect, mais attendra l’illumination et la direction venues d’un plan de vision supérieur.

À mesure qu’elle s’élèvera vers l’être supramental et s’élargira intérieurement dans des étendues spirituelles, la nature dynamique, de même que la nature émotive et prânique, se transformera, se spiritualisera pour devenir un pouvoir de la nature divine.

Il y aura de nombreux trébuchements, bien des erreurs et des imperfections dans l’adaptation des instruments à leur fonctionnement nouveau, mais forte de son égalité grandissante, l’âme ne sera pas troublée outre mesure ni affligée par ces accidents, parce que, confiante en la direction de la Lumière et du Pouvoir dans notre moi et au-dessus du mental, elle ira son chemin avec une ferme assurance et, dans un calme grandissant, sera prête à affronter toutes vicissitudes, jusqu’à ce que le processus de transformation soit achevé.

La promesse de l’Être Divin dans la Gîtâ sera l’ancre de sa résolution   :

«   Abandonne tous les dharmas et prends refuge en Moi seul ; je te délivrerai de tout péché et de tout mal, ne t’afflige point.   »

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L’égalité du mental pensant fera partie — une très importante partie — de la perfection des instruments de la nature.

Notre séduisant attachement plein de bonnes justifications pour nos préférences intellectuelles, pour nos jugements, nos opinions, nos imaginations, pour les associations limitées de la mémoire qui forment la base de notre mentalité, pour les rabâchages de notre mental habituel, les obstinations de notre mental pragmatique, et même les limitations de notre mental de vérité intellectuel, doit suivre le même chemin que les autres attachements et céder la place à l’impartialité d’une vision égale.

Dans son égalité, le mental pensant regardera en spectateur la connaissance et l’ignorance, la vérité et l’erreur, ces dualités créées par la nature limitée de notre conscience, et la partialité de notre intellect avec sa petite réserve de raisonnements et d’intuitions ; il acceptera l’une et l’autre sans se laisser lier d’un côté ni de l’autre aux fils de l’écheveau, et restera dans l’attente d’une transcendance lumineuse. Dans l’ignorance, il verra une connaissance prisonnière qui cherche ou attend sa délivrance ; dans l’erreur, une vérité en marche qui s’est égarée ou qui a été précipitée en des formes trompeuses par le mental tâtonnant.

De l’autre côté, il ne se considérera pas comme lié ou limité par sa connaissance, ni ne sentira qu’elle lui interdit de marcher vers de nouvelles illuminations, et il ne se saisira pas trop violemment non plus de la vérité, même quand il s’en servira pleinement, ni ne l’enchaînera tyranniquement à ses formules présentes.

Cette égalité parfaite du mental pensant est indispensable parce que le but de ce progrès est la lumière plus vaste qui vient d’une région de cognition spirituelle supérieure.

Cette égalité est délicate et difficile entre toutes, c’est celle que le mental humain pratique le moins ; sa perfection est impossible à réaliser tant que la lumière supramentale n’inonde pas pleinement une mentalité tournée vers le haut.

Or il faut que l’intellect veuille cette égalité avec toujours plus d’ardeur pour que cette lumière puisse travailler librement sur la substance mentale.

Ceci non plus n’implique pas un renoncement aux recherches de l’intelligence et à ses fins cosmiques, pas une indifférence ni un scepticisme impartial, non plus qu’une immobilisation de toute pensée en le silence de l’Ineffable.

L’immobilisation de la pensée mentale peut faire partie de la discipline lorsqu’il s’agit de libérer le mental de son propre fonctionnement partial afin qu’il puisse devenir le canal égal d’une lumière et d’une connaissance supérieures, mais il faut également une transformation de la substance mentale elle-même, sinon la lumière supérieure ne peut pas prendre pleinement possession du mental ni revêtir une forme qui s’impose, et que s’accomplisse les œuvres ordonnées par la conscience divine dans l’être humain.

Le silence de l’Ineffable est une vérité de l’être divin, mais le Verbe qui jaillit de ce silence est aussi une vérité et c’est à ce Verbe qu’il faut donner corps dans la forme consciente de notre nature.

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Mais finalement, toute cette égalisation de la nature est une préparation pour que l’égalité spirituelle suprême prenne possession de l’être tout entier et crée une atmosphère générale où la lumière, le pouvoir et la joie du Divin pourront se manifester en l’homme avec une plénitude grandissante.

Cette égalité est l’égalité éternelle du Satchidânanda.

C’est l’égalité de l’être infini existant en soi, une égalité de l’esprit éternel, mais qui façonne selon son propre moule le mental, le cœur, la volonté, la vie et l’être physique.

C’est l’égalité de la conscience spirituelle infinie qui contiendra et sous-tendra le flot béatifique et les ondes d’une connaissance divine qui nous comble.

C’est l’égalité du Tapas divin qui insuffle l’action lumineuse de la volonté divine dans toute la nature.

C’est l’égalité de l’Ânanda divin sur lequel repose le jeu d’une félicité divine universelle, d’un amour universel et d’une sensibilité sans borne à la beauté universelle.

Dans cette égalité intégrale, la paix et le calme idéal de l’Infini deviendront le vaste éther de notre être parfait, mais en même temps, l’action idéale, égale et parfaite, de l’Infini qui utilise notre nature pour agir sur les relations de l’univers sera l’épanchement paisible du pouvoir de l’Infini dans notre être.

Tel est le sens de l’égalité dans le langage du yoga intégral.

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Ce qui est extraordinaire avec Sri Aurobindo, c'est que nous avons là un programme tout à fait hors-norme, magnifique... et il y a encore deux autres chapitres sur le sujet. Et ensuite, encore 12 chapitres !

Mais nous nous arrêterons après ce focus sur l'égalité.

Puissions-nous nous laisser imprégner par ces pages merveilleuses.

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