Naissance sacrée
Aujourd’hui dimanche 1er décembre, début du temps de l’avent pour les chrétiens, qui se terminera la veille de Noël. Alors les familles se réuniront pour un repas de fête, beaucoup iront à la messe de minuit, tradition oblige, alors qu’ils n’y mettent à peu près jamais les pieds, et pendant un temps, nous célébrerons les valeurs de partage et de joie. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi… » nous dit Saint Paul (Galates 2 :20) mais bien peu prendront la naissance du Christ comme le symbole de la naissance de la Présence divine au cœur de l’homme.
Pourtant, cette naissance sacrée de la Présence divine dans le cœur, les sages et les saints en parlent à l’humanité depuis la nuit des temps. Des siècles avant ce fameux 25 décembre, les Oupanishad en parlaient déjà sous le nom du Chaîtya Purusha, le Purusha du cœur. De même il est dit que dans la Bhagavad-Gîtâ, Krishna symbolise le Divin intérieur et Arjuna l’âme de l’homme. Et si nous remontons plus loin encore, les Véda en parlaient sous le nom d’Agni, l’étincelle du feu divin en chaque être, flamme blanche de la purification, centre de l’aspiration vraie.
Les religions ont facilement tendance à faire de la récupération et à prêcher pour leurs paroisses, mais cette Présence divine en chaque être est un phénomène universel qui se retrouve, peu ou prou, sous une appellation ou une autre, dans de nombreuses traditions, y compris dans le zen, les arts martiaux ou le qi gong.
"Il ne suffit pas d’adorer Krishna, le Christ ou le Bouddha sous une forme extérieure, si le Bouddha, le Christ ou Krishna ne se révèlent pas et ne prennent pas forme en nous-mêmes."
(Sri Aurobindo – La Synthèse des Yogas)
Ou bien, ces divinités passées peuvent fusionnent en notre cœur pour donner à une nouvelle divinité intérieure, la notre.
(Peu après, à propos d'un ancien Entretien du 22 août 1956 que l'on va publier dans le prochain Bulletin, où Mère dit :
« Vous recevez du Divin, quand vous êtes en état de le recevoir, la TOTALITÉ de la relation qu'il vous est POSSIBLE d'avoir, et ce n'est ni un partage ni une partie ni une répétition, mais c'est exclusivement et uniquement la relation que chacun peut avoir avec le Divin. Donc, au point de vue psychologique, on est TOUT SEUL à avoir cette relation directe avec le Divin. »
Puis Mère ajoute, comme si sa voix venait de très loin, très loin :)
On est tout seul avec le Suprême.
La Mère – Agenda du 13 mai 1962
Le japa est justement fait pour contrôler le mental physique. Moi, je m’en suis servie pour une raison très spéciale, parce que... N’est-ce pas, je faisais une invocation au... (les mots sont un peu drôles) au Seigneur de demain. Pas le Seigneur non-manifesté : le Seigneur tel qu’il se manifestera «demain», c’est-à-dire la manifestation divine sous la forme supramentale, pour employer les mots de Sri Aurobindo.
La Mère – Agenda du 11 octobre 1960
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Dans La vie divine, Sri Aurobindo parle de « la crypte secrète du sanctuaire le plus profond du cœur », de « la crypte lumineuse de l’âme », du « sanctuaire le plus profond, [où] l’âme et Dieu sont seuls, unis l’un à l’autre. » Sri Aurobindo appelait cette Présence divine dans le cœur, l’être psychique, sans doute pour éviter les confusions autour du mot âme, prise parfois pour l’être de désir ou l’être émotif.
Et dans La Synthèse des Yogas, il nous dit qu’« il est de la nature même de l’âme, ou être psychique, de se tourner vers la Vérité divine comme le tournesol vers le soleil ; tout ce qui est divin ou qui progresse vers la divinité, elle l’accepte et s’y attache, et elle se retire de tout ce qui est une perversion ou un démenti de la divinité, de tout ce qui est faux et non divin.
Mais au début, l’âme n’est qu’une étincelle, puis une petite flamme divine qui brûle au milieu d’une grande obscurité ; elle est en grande partie voilée dans son sanctuaire intérieur, et, pour se révéler, elle doit faire appel au mental, à la force de vie et à la conscience physique et les persuader de l’exprimer autant qu’ils le peuvent ; généralement, elle réussit tout au plus à imprégner de sa lumière intérieure leur extériorité, et par sa finesse purificatrice, à atténuer leurs profondes obscurités ou leur grossier mélange. »
Pour commencer, peu savent que l'âme, c'est avant tout du feu. Ensuite, Sri Aurobindo a répété à maintes occasion que cette Présence divine en nous possède un discernement naturel et spontané de la vérité. Or, si nous faisons le lien entre les enseignements spirituels et la réalité quotidienne, nous constatons que des millions de personnes pendant la crise Covid ont crû de bonne foi les bobards qu’on leur racontait : signe que le lien avec leur âme devait être très mince, sinon totalement absent. Dans un Entretien du 17 août 1955 la Mère reconnaissait que « Dans la vie ordinaire, il n’y a pas une personne sur un million qui a un rapport conscient avec son être psychique, même momentané. »
Ramené à la France, cela signifierait qu’il n’y a pas 100 personnes ayant un contact conscient avec cette Présence divine le cœur. Pourtant, si nous étions davantage reliés à cette Présence divine en nous, notre vie changerait profondément et la face du monde en serait changé : les différentes parties de notre être si souvent en conflits, pourraient enfin s'harmoniser autour de notre centre divin ; plus rien ni personne ne pourrait nous tromper ; notre peur de la mort serait vaincue car nous aurions trouvé "l'immortel dans les mortels" pour reprendre une expression du Rig-Véda ; à l'heure où nous sommes si attristés et troublés par l'effondrement de nos sociétés, trous trouverions "quelque chose" qui porte sa joie en soi, qui ne se trouble rien, infiniment stable, avec la solidité d'un roc. Mais bien peu prendront cette naissance du Christ comme l'opportunité d'aspirer à la naissance-émergence de la présence Divine au centre de notre poitrine.
Quand bien même nous le souhaiterions, sans doute que nous ignorons comment nous y prendre. Notre première difficulté, peut-être, est que la petite voix parle essentiellement dans le silence et ne s’impose jamais par la force. Pour avoir une chance de l’entendre, ou plutôt de la ressentir, il faudrait commencer par calmer l’agitation mentale, émotionnelle, sensorielle et apprendre à se tourner vers le dedans et à vivre à l’intérieur et non plus dans l’action extérieure perpétuelle. Et rien que cela, ce n’est pas une mince affaire.
Et puis, nous ne sommes peut-être pas très motivés, ni très intéressés, sans beaucoup de persévérance ni de volonté – on se laisse si facilement happer par les distractions et les occupations du monde. La Mère, dans l’Agenda du 25 août 1954 s’adressa aux disciples de Sri Aurobindo – mais beaucoup d’aspirants spirituels sont concernés – et voici ce qu’elle disait :
« Parce que vous le savez, on vous l’a dit, on vous l’a répété, on vous l’a seriné, n’est-ce pas. Vous savez que vous avez une conscience divine au-dedans de vous. Et vous pouvez dormir nuit après nuit et jouer jour après jour, et apprendre jour après jour, et ne pas être... ne pas être dans un état d’enthousiasme et de volonté aiguë d’entrer en contact avec vous ! – Avec vous, oui, vous-même, là, dedans (geste au milieu de la poitrine)... Ça, ça me dépasse !
La première fois que j’ai su – et personne ne me l’a dit, je l’ai su par une expérience – , la première fois que j’ai su qu’il y avait une découverte à faire au-dedans de moi, eh bien, c’était la chose qui était la plus importante. Il fallait que ça passe avant tout.
Et quand il s’est trouvé, comme j’ai dit, un livre, un homme, pour juste me donner une petite indication, me dire : «Voilà, si vous faites comme ça, le chemin s’ouvrira devant vous», mais je me suis précipitée comme un... comme un cyclone, et rien n’aurait pu m’arrêter.
Et depuis combien d’années êtes-vous ici... à moitié somnolents ? Vous y pensez bien de temps en temps, surtout quand je vous en parle ; quelquefois quand vous lisez. Mais cela, cette ardeur, cette volonté qui vainc tous les obstacles, cette concentration qui a raison de tout ?... »
En Inde, il est dit que les trois nourritures de l’âme, ce qui la fait naître, grandir, se développer, s’épanouir, sont Satyam, Shivam, Sundaram, ce que nous pouvons traduire par la vérité, le sens du sacré, et la beauté.
Une fois encore se présente l'opportunité d'établir le lien entre les enseignements spirituels et la réalité objective du monde. Et le fait est que nous entendons parfois l’idée que nous sommes dans une guerre spirituelle, et ceux qui soutiennent cette thèse évoquent des prophéties, des sociétés secrètes, ou mettent en avant des rituels occultes de manipulation de masse.
Ces éléments ont sans doute leur importance mais il ne faudrait pas confondre occultisme et spiritualité.
Quoiqu'il en soit, nul ne pourra nier que nous avons assisté à un déferlement sans précédent de mensonges, à une compromission de masse avec le Mensonge ; que plus rien ne semble sacré, ni la Nature que l’on peut saccager, ni la vie elle-même que l'on peut violer, profaner... y compris chez les personnes les plus vulnérables ; et que nous voyons proliférer une culture de mort, une culture de l’obscénité et de la laideur.
Beaucoup de médias citoyens focalisent l’attention sur l’actualité et l’action extérieure alors que les changements les plus importants naissent toujours à l'intérieur. Si nous acceptions comme principe de vie de cultiver la vérité, le sens du sacré et la beauté, sans doute que cela aiderait beaucoup à cette naissance sacrée de la Présence divine au cœur de notre cœur.
Dans les voies traditionnelles, lorsque la Présence divine était trouvée, le chemin était terminé et nous pouvions vivre dans l’extase de l’unité avec le Divin. Mais Sri Aurobindo nous a dit : "mon yoga commence où les autres s’arrêtent". Et lorsque nous avons établi le contact avec le Divin dans le cœur, alors il y a une sorte de retournement et la Présence divine commence un long processus pour purifier-transformer entièrement notre nature mentale, émotionnelle, énergétique, sensorielle.
Et puis, cette présence divine au cœur de notre cœur est le siège de l’aspiration vraie, et l’aspiration vraie a le pouvoir de faire descendre (d'aspirer) les plans de conscience supérieurs, qui à leur tour, continuent le processus de transformation de notre triple nature mentale, vitale et physique.
Alors nous pouvons parler d’une nouvelle naissance.
Nouvelle naissance
Naissance à la Conscience véritable, celle de la Présence divine en nous.
Origanum majorana – Marjolaine
Ce que l'on appelle "la nouvelle naissance", c'est la naissance à la vie spirituelle, à la conscience spirituelle, c'est porter en soi quelque chose de l'esprit qui, individuellement, à travers l'âme, peut commencer à gouverner la vie et à être le maître de l'existence.
La Mère – Entretien du 26 novembre 1958
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Au lieu des rituels religieux extérieurs, au lieu de nous laisser laisser limiter par telle ou telle religion, si nous utilisions ce temps de l’Avent pour aspirer à cette connexion avec la Présence divine universelle en nous, et pour nous préparer à cette « nouvelle naissance » d’en haut ?
La connexion entre la présence divine en nous et les plans de conscience s'élevant au-dessus de notre mental ordinaire est la condition principale de la réalisation spirituelle.
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Savitri est peut-être l’œuvre majeure de Sri Aurobindo, son testament spirituel, une épopée de 24 000 vers, sur lequel il a travaillé toute sa vie, réécrivant et réécrivant chaque fois qu’il atteignait un niveau de conscience plus élevé. La Mère nous dit que le style est poétique mais qu’il ne s’agit pas de poésie mais de sa vision.
En voici un extrait qui me semble opportun…
Quand l’obscurité se fera profonde, étranglant la poitrine de la terre,
Quand le mental corporel de l’homme sera la seule lampe,
Comme un voleur dans la nuit viendront les pas cachés
De l’Un qui entre inaperçu dans sa maison.
Une Voix mal entendue parlera, l’âme obéira,
Une Puissance furtive gagnera la chambre intérieure du mental,
Un charme et une douceur ouvriront les portes closes de la vie
Et la beauté vaincra la résistance du monde,
La lumière-de-vérité capturera la Nature par surprise,
À pas de loup, Dieu contraindra le cœur à la félicité
Et la terre deviendra divine sans s’y attendre.
Dans la Matière s’allumera le brasier de l’esprit,
Dans les corps et les corps s’enflammera la naissance sacrée ;
La Nuit s’éveillera à l’hymne des étoiles,
Les jours deviendront une heureuse marche de pèlerin,
Notre volonté, une force du pouvoir de l’Éternel
Et la pensée, un rayonnement du soleil de l’Esprit.
Quelques-uns verront ce que nul encore ne comprend ;
Dieu grandira tandis que les hommes sages parlent et dorment ;
Car l’homme ne saura point l’avènement jusqu’à son heure
Et la foi ne sera point jusqu’à ce que l’œuvre soit accomplie.
Sri Aurobindo – Savitri
Livre 1 – Le Livre des Commencements
Chant 4 – La Connaissance secrète
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Quand l’obscurité se fera profonde, étranglant la poitrine de la terre….
Est-ce que nous y sommes ? Je me suis si souvent posé cette question.
Le temps est-il venu pour cette naissance sacrée ?
11 jours plus tard...
Je me réveille avec un autre aspect de la question. Il est un état de conscience qui nous traverse parfois quelques instants et nous donne l'impression que nos mémoires ont été effacées et que nous sommes comme un bébé qui vient de naître, avec un regard tout neu, avec une conscience toute nouvelle... même si l'expérience n'est ni totale, ni intégrale, ni définitive, cela signifie sans doute quelque chose.