Pas un seul sur...
Introduction- transition
Dans l'article précédent je soulignais cette parole de Mère du 3 mai 1951...
"Au lieu de s’enfuir, amener en soi le pouvoir qui pourra conquérir."
Et c'est revenu dans la nuit... car déjà, j'étais passé à autre chose, focalisé ou appelé par un autre aspect. Curieux cette manie sans fin de passer d'un truc à l'autre, d'un truc à l'autre, sans même que cela soit vraiment compris, intégré, réalisé.
Peut-être que nous prenons encore les paroles de Sri Aurobindo-Mère pour de la théorie, de la philosophie, de la psychologie... ou de la spiritualité, et que nous zappons bien vite l'aspect extraordinairement concret de leurs paroles.
Sur une phrase comme celle-ci, nous pourrions rester des heures, des jours, des semaines avant de réussir. À moins que, si nous trouvons "le truc", cela ne soit instantané. À partir du moment où nous serions dans la position vraie, ce pouvoir serait-là.
Je n'ai pas encore su dire s'il s'agissait d'une position ou d'une attitude. Cela à l'air d'être les deux à la fois.
En tout cas, nous pouvons aspirer à cela, nous concentrer sur ce point.
🌸
Et dans l'article précédent je partageais aussi ce passage de l'Agenda du 3 février 1958 relatif à la grande expérience de Mère sur le bateau supramental :
Ce que je peux dire, c'est que le point de vue, le jugement, était basé exclusivement d'après la substance qui constituait les gens, c'est-à-dire s'ils appartenaient complètement au monde supramental, s'ils étaient faits de cette substance si particulière. Le point de vue adopté n'est ni moral ni psychologique. Il est probable que la substance dont leur corps était fait était le résultat d'une loi intérieure ou d'un mouvement intérieur qui, à ce moment-là, n'était pas en question.
Cette expérience du bateau supramental est fascinante, ce sont des passages que j'ai souvent lus et relus... et je découvre avec une certaine stupéfaction, que jamais je ne m'étais vraiment interrogé sur ce que pouvait être cette loi intérieure, ce mouvement intérieur.
C'est peut-être une loi universelle, très générale, propre au monde supramental... mais je ne sais pas, intuitivement, je me demande s'il ne s'agirait pas d'une loi individuelle propre à la façon absolument unique d'être en relation avec le Divin. Je ne sais pas.
Pour faire des généralités, c'est assez facile, mais pour expliquer de tous petits points de détail, nous nous apercevons vite que nous ne savons pas grand chose.
Par contre, la bonne nouvelle, est que nous pouvons aspirer, nous pouvons utiliser le pouvoir de l'aspiration pour trouver, nous pouvons apprendre à utiliser-concentrer notre volonté sur la découverte de cette loi intérieure de la vérité de notre être. Ou bien, nous pouvons offrir notre ignorance à la Toute-Connaissance.
Il y a cette idée que derrière l'ignorance, c'est la connaissance qui se cache. Quelque chose comme ça. Peut-être que le voile est en train de se déchirer. Ou cette partie de ce voile.
Aspirer à découvrir connaître cette loi, à vivre cette loi, à incarner cette loi...
🌸
Agenda du 15 novembre 1960
Tout au début, quand je commençais à avoir la conscience de l’immortalité et que je mettais en présence cette vraie conscience de l’immortalité et la conception humaine de l’immortalité (ce qui est tout à fait différent), je voyais si clairement que l’être (même un être tout à fait ordinaire et qui n’est pas en soi une collectivité, comme le serait un écrivain, par exemple, un philosophe ou un chef politique), quand il se prolonge par l’imagination dans ce qu’il appelle «l’immortalité» (c’est-à-dire une durée indéfinie), ce n’est pas lui tout seul qui se prolonge : c’est toujours, nécessairement, tout un agglomérat, une collectivité, un ensemble de choses qui représente la vie et la conscience qu’il a dans son existence présente.
Et alors j’ai fait cette expérience avec pas mal de gens ; je leur ai dit : «Pardon, admettez que, par une discipline particulière ou une grâce particulière, votre vie se prolonge indéfiniment ; nécessairement ce sont les circonstances dans lesquelles vous vivez, cette formation que vous avez faite autour de vous et qui est constituée par des gens, des rapports, des activités et tout un ensemble de choses plus ou moins vivantes ou inertes – c’est ça que vous prolongez. Mais ça ne peut pas se prolonger comme ça ! parce que tout change constamment.
Et il faut que vous suiviez, pour pouvoir être immortel, que vous suiviez ce changement perpétuel ; autrement naturellement il arrive ce qui arrive maintenant : un jour vous mourez, parce que vous ne pouvez pas suivre. Donc, si vous suivez, tout ça tombera de vous ! Comprenez que ce qui se prolongera, c’est quelque chose de vous que vous ne connaissez pas très bien, mais qui est la seule chose qui puisse se prolonger – et tout le reste va tomber tout le temps... Est-ce que vous tenez encore à être immortel ?» – Il n’y en a pas un sur dix qui m’ait dit oui !...
Je suis arrivée à leur faire sentir la chose concrètement, alors ils vous disent : «Ah! non ! Ah ! non, on peut aussi bien changer de corps alors, puisque tout le reste change ! qu’est-ce que ça peut bien nous faire !» Mais la chose qui reste, c’est ça ; c’est ça qu’il faut tenir à garder vraiment ; mais pour cela il faut que ce soit ça qui soit vous, pas tout cet ensemble. Ce que vous appelez «vous» maintenant, ce n’est pas ça, c’est tout un ensemble de choses !
Cela, c’était le premier pas autrefois (il y a bien longtemps).
Maintenant, n’est-ce pas, c’est tellement autre chose...
On se demande comment il est possible d’avoir été dans un aveuglement aussi total, d’avoir pu appeler ça «soi» à n’importe quel moment de sa vie ! C’est un ensemble de choses... Et quelle était la relation pour qu’on appelle ça «soi»? – C’est plus difficile à trouver.
Seulement, quand on monte là-haut, alors on s’aperçoit : mais ça, ça travaille là, et ça pourrait travailler là, ça pourrait travailler là, et ici et ici... Tout d’un coup, quelquefois, il y a comme une goutte de quelque chose (oh ! j’ai vu ça ce matin – c’était comme une goutte, une petite goutte, mais d’une lumière si intense et si parfaite...), alors là où ça tombe, là ça fait son centre et ça commence à rayonner et à agir. Et c’est ça qu’on peut appeler «moi» – rien d’autre.
Et justement dans des circonstances si effroyablement inintéressantes, si inexistantes, c’est ça qui a permis de vivre. Et alors quand on est ça, à ce moment-là on voit comment, non seulement dans ce corps mais dans tous les corps et à travers tout le temps, comment ça, ça a vécu et ça s’est servi de tout. Au fond ça, c’est l’expérience ; ce n’est plus la connaissance. Je comprends maintenant clairement la différence entre cette connaissance que l’on a de l’âme éternelle, de la vie éternelle à travers tous les changements, et cette expérience concrète de la chose.
C’est très émouvant.
🌸
Agenda du 21 décembre 1963
La conscience corporelle est encore très timide ; très timide dans le sens qu'elle n'a pas confiance en elle-même ; elle a l'impression que si elle n'est pas tout le temps vigilante, à regarder-regarder-regarder, observer, discerner, il y a des choses (geste en dessous) qui peuvent passer, et qui ne doivent pas passer. C'est cela qui retarde. Et c'est pour cela que cette certitude vient de plus en plus : pas de critique, pas de critique, pas de critique, ne pas voir ce qui ne doit pas être – voir seulement CE QUI DOIT ÊTRE.
C'est une grande victoire à remporter, grande victoire.
Et elle est d'autant plus grande et d'autant plus difficile que (certainement pour les nécessités du travail) je ne suis entourée que de gens qui sont de l'autre côté. Je n'ai autour de moi pas un seul optimiste. Tout ce que l'on me dit, tout ce que l'on m'apporte, c'est toujours la vision (plus ou moins claire, plus ou moins complète) de ce qui doit s'en aller ; mais la vision de ce qui doit être... je ne l'ai jamais trouvée que dans Sri Aurobindo.
🌸
Agenda du 19 mai 1965
Peu après, Sujata demande à Mère la permission de consulter un oculiste :
C'est simplement pour ajuster des verres ?
Examiner aussi.
Examiner ? Mon petit, tu vois dix personnes, ces dix personnes te diront dix choses différentes ! L'instabilité du diagnostic est pour moi une chose tout à fait certaine. Parce qu'il n'y a pas deux cas pareils – il y a des analogies, il peut même y avoir des familles de cas, mais il n'y a pas deux cas pareils ; par conséquent, en chacun, il y a des variations ; et à moins que le monsieur ne soit très intuitif, il commence à raisonner, et alors il est sûr de se tromper, ou de dire des «vagueries» comme : «Vous êtes myope» ou «Vous êtes presbyte» (!) C'est au point qu'il n'y a pas deux cas de cataracte pareils – il y a des symptômes qui se répètent et qui sont très analogues, d'une analogie très proche, mais il n'y a pas deux cas pareils. Et ceux qui sont vraiment sincères vous le disent, mais il n'y en a pas un sur mille (!) Et ils vous font de grands discours – avec autorité, ils vous annoncent quelque chose qu'ils ne savent pas.
🌸
Agenda du 27 août 1966
Non, on ne peut pas penser sans mots, mais on peut savoir sans mots. Les phénomènes de conscience qui ne s'expriment pas en mots sont TOUJOURS d'une qualité très supérieure, très supérieure.
Oui, mais pour faire passer aux autres, il faut se servir de mots.
Oui, voilà le malheur ! Si je pouvais seulement leur faire avoir ma réponse sans écrire des mots, ce serait bien précieux, cela gagnerait beaucoup de temps. Mais il n'y en a pas un sur mille comme cela qui reçoive. Il y en a qui reçoivent, mais pas beaucoup.
🌸
Agenda du 30 septembre 1966
J'ai l'impression que cette Puissance de Lumière étant là, qu'est-ce qui peut la toucher ?
Mais tout le monde disparaîtrait ! C'est cela, n'est-ce pas.
Quand Ça vient, quand le Seigneur est là, il n'y en a pas un sur mille pour qui ce ne soit pas terrifiant. Et pas dans le raisonnement, pas dans la pensée : comme ça, dans la chair. Alors, admets – admets que ce soit comme cela : qu'un être soit la condensation et l'expression, une formule de la Puissance suprême, de la Lumière suprême – qu'est-ce qui se passerait !
Eh bien, c'est tout le problème.
Oui.
/image%2F7051723%2F20241123%2Fob_8a985f_tranquillite-psychique.png)
Vallaris solanacea – Blanc
Tranquillité psychique
Par sa nature même le psychique est tranquille.
Agenda du 15 mars 1967
Et cela, c'est une chose dont j'ai l'expérience constamment, à chaque minute. Si je suis dans l'atmosphère normale, quelle que soit l'intensité de l'action (ou l'intensité du problème aussi à résoudre), on voit clairement, et la solution s'impose comme une chose absolue, irrévocable : c'est comme cela que ça doit se faire.
Dès qu'entre l'atmosphère agitée d'une autre personne (et dès qu'il y a un problème, il n'y en a pas un sur mille qui ne s'agite pas, au moins intérieurement, un peu), alors ça commence à faire comme cela (même geste trépidant), et non seulement on ne voit plus, mais les choses se déplacent !
Et alors, la solution... il faut réparer le désordre avant de pouvoir songer à la solution. Et c'est une expérience presque de chaque moment.
Je vois des quantités de gens ; il y en a, dès qu'ils entrent dans l'atmosphère, leur confusion entre en même temps, et alors on ne voit plus rien – il faut attendre un peu, essayer de calmer, et alors on peut voir. Il y en a pour qui ça ne se calme jamais – c'est sans espoir, il n'y a qu'à les renvoyer. Il y en a, au bout d'un certain temps, ça se calme, alors on peut commencer à voir et savoir ce qui est à faire.
(Je crois, qu'au niveau pratique, nous n'insisterons jamais assez sur l'importance du calme, de la la tranquillité, sur cette capacité à laisser les choses se poser, se décanter, sur l'équanimité, l'égalité et au-delà, sur cette extraordinaire capacité d'immobilisation, d'immobilité vibrante et massive...
L'idée de l'article était d'attirer l'attention sur quelques imperfections de notre nature humaine, alors nous pourrons les offrir et avoir quelque chance de les corriger...)