Overblog Tous les blogs Top blogs Beauté, Santé & Remise en forme Tous les blogs Beauté, Santé & Remise en forme
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU

Sri Aurobindo – Essai sur la Guîtâ

Livre 2 – Chapitre 15 (Extraits)

Pour aider à la compréhension de ce chapitre, quelques définitions issues du Glossaire du Journal du Yoga de Sri Aurobindo. Les passages entre guillemets sont de Sri Aurobindo, le reste vient des traducteurs.

Kshara : mutable, changeant ; le brahman manifesté dans le monde en mouvement, "le principe spirituel du fonctionnement mouvant des choses" ; "l'esprit cosmique dans le Temps", la forme active du purushottama "dans son éternelle multiplicité", "l'esprit dans le mouvement du phénomène et du devenir cosmique".

Kshara purusha : l'âme dans la Nature, le purusha mutable ; "l'esprit des choses changeantes" qui manifeste "la multiplicité de l'Être divin... non plu séparé de la prakriti, mais en son sein".

Akshara : immuable, inmmutable ; l'immuable brahman, "l'Âme des choses, immobile, omniprésente" ; "l'immuable existence en soi, expression la plus élevée du Divin, et dont l'inaltérable éternité fonde tout le reste, tout ce qui se meut et tout ce qui évolue" ; l'état inactif du purushottama "dans la liberté de son existence-en-soi que n'affecte point l'action de son pouvoir dans la nature, que ne heurte point l'élan de son devenir, que ne dérange point le jeu de ses qualités, libre dans son être, non affecté par l'action de son propre pouvoir dans la Nature, ni atteint par le besoin de son propre devenir, ni troublé par le jeu de ses propres qualités".

Akshara purusha : l'esprit immutable, le purusha immuable : "le Purusha inactif libre de la Prakriti et de ses œuvres", qui se tient au-dessus de toute chose "dans son immobilité imperturbable de silence et de calmes éternels".

Purushottama : l'Âme suprême, l'Être suprême, "la Personne divine dont le moi et la nature, l'être et le devenir, dans cet univers ou dans tout autre univers, sont issus de lui et sont sa propre énergie" ; le Purusha le plus élevé, qui se manifeste dans l'akshara (l'être immuable) et dans le kshara (l'être mutable), en tant que purusha retiré en lui-même, et purusha actif dans la prakriti.   

On en fera autant qu'il faut, mais on arrivera.

Nous devons arriver à cette vérité cachée derrière la manifestation de ses apparences ; découvrir l'Esprit derrière ces voiles et voir que l'individuel, l'universel, le transcendant, tout est l'Un, vâsoudévah sarvam iti. Chose impossible à atteindre avec quelque plénitude sur le plan de la réalité intérieure tant que nous vivons concentrés dans la Nature inférieure.

🔥

L'esprit est  intemporel, bien que nous le voyions dans le Temps ; il n'est pas étendu dans l'espace, bien qu'il nous semble imprégner l'espace. Nous en prenons conscience dans la mesure où nous nous retirons de l'extérieur vers l'intérieur, ou bien dans la mesure où, derrière l'action et le mouvement, nous cherchons quelque chose d'éternel et de stable, ou encore dans la mesure où nous quittons le temps et sa création pour passer dans l'incréé, où  nous quittons le phénomène pour passer dans l'être, le personnel pour passer dans l'impersonnalité, le devenir pour passer dans l'inaltérable existence en soi. Tel est l'Akshara, l'immuable en le  mutable, l'immobile en le mobile, l'impérissable en les choses périssables. Ou plutôt, puisqu'il n'y a qu'apparence d'imprégnation, c'est l'immuable, l'immobile, l'impérissable en quoi se  déroule toute la mobilité des choses mutables et périssables.

🔥

Or, tout compte fait, l'expérience finale est celle d'une unité de tous les êtres, qui n'est point seulement une communauté d'expérience, une sujétion commune à une force de la Nature, mais une unité dans l'esprit, une vaste identité de l'être conscient par-delà toute cette infinie variété de déterminations, derrière tout cet apparent séparatisme de l'existence relative. La Guîtâ prend pour base cette suprême expérience spirituelle.

🔥

Mais [la Guîtâ] affirme en même temps, et en y insistant fortement, que l'Akshara est le moi unique de toutes ces multiples âmes, et il est par suite évident que ces deux esprits sont un statut duel d'une unique existence éternelle et universelle. C'est là une doctrine très ancienne, qui constitue toute l'assise de la vision majeure des Oupanishads ainsi, lorsque l'Îsha Oupanishad nous dit que le Brahman est à la fois le mobile et l'immobile, l'Un et le Multiple, est le Moi et toutes les existences, âtman, sarva-bhoûtâni, est la Connaissance et l'Ignorance, est l'éternelle condition de non-né et aussi la naissance des existences, et qu'insister sur une seule de ces choses en en rejetant l'éternelle contrepartie est une obscurité de la connaissance exclusive ou une obscurité de l'ignorance. Comme la Guîtâ, l'Îsha tient à ce que l'homme connaisse et embrasse les deux et découvre le Suprême en son entièreté samagram mâm, dit la Guîtâ afin de jouir de l'immortalité et de vivre en l'Éternel.

🔥

La Guîtâ y insiste en effet : nous pouvons et devons, lors même que nous vivons, être conscients dans le moi et dans son silence, et cependant agir puissamment dans le monde de la Nature. Et de donner l'exemple du Divin Lui-même que ne lie pas la nécessité de naître, qui est libre et supérieur au cosmos et, néanmoins, demeure éternellement dans l'action, varia éva tcha karmani. C'est dès lors en revêtant une apparence de la nature divine dans sa plénitude que l'unité de cette double expérience devient entièrement possible.

🔥

C'est néanmoins par le canal de tout ce qui est immuable et éternel en nous que nous arrivons à ce statut suprême dont on ne revient pas pour naître ; telle était la libération que recherchaient les hommes avisés d'antan, les anciens sages. Mais poursuivie au moyen du seul Akshara, cette tentative de libération devient la recherche de l'Indéfinissable, chose bien difficile pour notre nature, incarnés que nous sommes ici-bas dans la Matière. L'Indéfinissable, auquel l'Akshara, le moi pur et intangible en nous, ici-bas, s'élève en son élan séparateur, est un certain Non-Manifeste suprême, parah avyaktah, et ce suprême Akshara non manifesté est encore le Pouroushôttama. Dès lors, comme la Guîtâ l'a dit, ceux-là aussi qui poursuivent l'Indéfinissable viennent à Moi, le Divin éternel.

Mais il est quand même davantage qu'un suprême Akshara non manifesté, davantage que n'importe quel Absolu négatif, néti néti, parce qu'on doit aussi le connaître comme suprême Pourousha déployant en sa propre existence tout cet univers. Il est un suprême et mystérieux Tout, un ineffable Absolu positif de toutes choses ici-bas. Il est le Seigneur dans le Kshara, le Pouroushôttama non seulement là, mais ici dans le cœur de chaque créature,  Îshwara.

Et là aussi, même en son statut éternel le plus élevé, parah avyaktah, il est le Seigneur suprême, Parameshwara, non pas un Indéfinissable lointain et sans relations, mais l'origine, le père, la mère, la prime fondation, la demeure éternelle du moi et du cosmos, le Maître de toutes les existences, qui prend plaisir à l'ascèse et au sacrifice. C'est en le connaissant à la fois dans l'Akshara et le Kshara, c'est en connaissant en lui le Non-Né qui se manifeste partiellement dans toutes les naissances et descend même personnellement et constamment comme Avatâr, c'est en le connaissant en son entièreté, samagram mâm, que l'âme s'affranchit aisément des apparences de la Nature inférieure et que, par une vaste et soudaine croissance et une ample, une immesurable ascension, elle retourne en l'être divin et la suprême Nature.

(...)

"Mais autre que ces deux est l'esprit le plus haut, que l'on appelle le Moi suprême, qui pénètre en les trois mondes et les soutient, le Seigneur impérissable." Ce verset est le mot-clef par lequel la Guîtâ réconcilie ces deux aspects apparemment contraires de notre existence.

🔥

Pour s'élever en la nature divine, on nous l'a dit, il faut d'abord s'établir en une parfaite égalité spirituelle et se hisser au-dessus de la nature inférieure marquée par les trois gounas. Transcendant ainsi la Prakriti inférieure, nous nous fixons en l'impersonnalité, en l'imperturbable supériorité sur toute action, en la pureté vis-à-vis de toute définition, de toute limitation imposées par la qualité, en cela qui constitue un aspect de la nature manifestée du Pouroushôttama, sa manifestation d'éternité et d'unité du moi, ou Akshara.

Mais il y a aussi une ineffable et éternelle multiplicité du Pouroushôttama, une suprême vérité, qui est la vérité la plus vraie,  derrière le mystère primordial de la manifestation de l'âme.  L'Infini possède un éternel pouvoir, une action sans commencement ni fin de sa Nature divine, et dans cette action le miracle de la personnalité de l'âme émerge d'un jeu de forces apparemment impersonnelles, prakritir djîva-bhoûtâ.

Quand l'action est initiée par la Volonté Divine, elle est pure.

Et ayant ainsi exposé cette double condition : l'égalité dans le moi unique, l'adoration de l'unique Seigneur, tout d'abord séparément comme s'il s'agissait de deux moyens différents de parvenir au statut brahmique, brahmabhoûyâya, l'une prenant la forme d'un sannyâsa quiétiste, l'autre une forme d'amour divin et d'action divine –, la Guîtâ continue à présent en unissant le personnel et l'impersonnel dans le Pouroushôttama et en définissant leurs relations. Car l'objet de la Guîtâ est de se débarrasser des exclusions et des exagérations séparatrices et de fondre ces deux aspects de la connaissance et de l'expérience spirituelle en une seule voie parfaite vers la suprême perfection.

🔥

Dès lors, tant qu'il jouit du jeu des gounas et qu'il est attaché au désir, l'homme est retenu dans les anneaux de pravritti, dans le mouvement de la naissance et de l'action et tourne sans cesse entre la terre, les plans intermédiaires et les cieux, sans pouvoir regagner ses suprêmes infinitudes spirituelles. Cela, les sages en eurent la perception. Pour atteindre à la libération, ils suivirent le sentier de nivritti, ou cessation du besoin originel d'agir, laquelle cessation se résolvait, en son accomplissement, dans la cessation de la naissance elle-même et un statut transcendant dans la suprême étendue supracosmique de Éternel.

Mais à cet effet, il est nécessaire de trancher ces vieilles racines du désir avec la robuste épée du détachement et de chercher alors ce but suprême dont, une fois que l'on y est parvenu, il n'est pas obligatoire de retourner à la vie mortelle.

Être libre de l'égarement où jette cette Mâyâ inférieure, sans égoïsme, la grande faute de l'attachement étant conquise, tous les désirs réduits au silence, la dualité de la joie et du chagrin rejetée, être toujours établi dans une pure conscience spirituelle, telles sont les étapes sur le chemin de ce suprême Infini. Là, nous trouvons l'être intemporel que n'illuminent ni le soleil, ni la lune, ni le feu, mais qui est lui-même la lumière de la présence de l'éternel Pourousha. Je me détourne, dit le verset védântique, afin de chercher cette Âme originelle seule et de parvenir jusqu'à elle lors du grand passage. Tel est le plus haut statut du Pouroushôttama, son existence supracosmique.

🔥

Et qu'est alors cette âme dans la Nature ? Cet esprit aussi, ce Kshara, celui-là qui jouit de notre existence mutable, c'est le Pouroushôttama ; c'est lui en son éternelle multiplicité, telle est la réponse de la Guîtâ.

"C'est une éternelle portion de Moi qui devient le djîva dans un monde de djîvas."

C'est là une désignation, une déclaration dont la teneur et les suites sont immenses.

Cela veut dire en effet que chaque âme, chaque être en sa réalité spirituelle est le Divin même, quelque partielle qu'en soit en fait la manifestation dans la Nature. Et cela veut dire également, si tant est que les mots aient un sens, que chacun des multiples esprits qui se manifestent, est un individu éternel, un pouvoir éternel, non né et immortel de l'unique Existence.

Cet Esprit qui se manifeste, nous l'appelons djîva, car il prend ici l'apparence d'une créature vivante en un monde de créatures vivantes, et nous parlons de cet esprit dans l'homme comme de l'âme humaine et n'y pensons que dans les termes de l'humanité.

Mais il est en vérité quelque chose de plus grand que sa présente apparence, et sa nature humaine ne le lie point : moindre manifestation que l'être humain par le passé, il peut devenir beaucoup plus grand, dans le futur, que l'homme mental.

Et lorsque cette âme s'élève au-dessus de toute les limitations ignorantes, alors elle revêt sa nature divine, dont son humanité n'est qu'un voile temporaire, une chose à la signification fragmentaire et incomplète.

L'esprit individuel existe et a toujours existé au-delà, dans Éternel, car il est lui-même perpétuel, sanâtana. Cette idée de l'individu éternel conduit évidemment la Guîtâ à éviter toute expression qui tant soit peu suggère une dissolution complète, laya, et à parler plutôt d'un état suprême de l'âme, d'un état où l'âme demeure dans le Pouroushôttama, nivasishyasi mayyéva.

🔥

Ceux qui se laissent gouverner par les représentations de la Nature, par la représentation humaine ou par toute autre forme, ne la verront jamais ; ils ignoreront et mépriseront le Divin logé dans le corps humain. Leur ignorance ne peut Le percevoir lorsqu'il entre, s'en va ou demeure et qu'Il savoure et revêt la qualité ; elle ne voit que ce que peuvent voir le mental et les sens, et non la vérité plus grande que seul peut entrevoir l'œil de la connaissance.

S'y efforceraient-ils, ils ne peuvent Le voir tant qu'ils n'apprennent pas à écarter les limitations de la conscience extérieure, tant qu'ils n'édifient pas en eux-mêmes leur être spirituel, qu'ils ne créent pour lui, en quelque sorte, une forme dans leur nature.

Pour se connaître, l'homme doit être kritâtmâ, coulé dans le moule spirituel et y être complet, et la vision spirituelle doit l'éclairer.

Les yogis qui possèdent cet œil de la connaissance, voient Être divin que nous sommes en leur propre réalité sans fin, en l'éternité de leur esprit. Illuminés, ils voient le Seigneur en eux-mêmes et sont affranchis des grossières limitations matérielles, de la forme de la personnalité mentale, de la formulation de la vie transitoire ; immortels, ils demeurent en la vérité du moi et de l'esprit.

Mais ils ne voient pas le Seigneur qu'en eux-mêmes, ils le voient dans tout le cosmos également. En la lumière du soleil qui illumine tout ce monde, ils reconnaissent la lumière du Divin qui est en nous ; la lumière de la lune et du feu est la lumière du Divin. C'est le Divin qui est entré dans cette forme qu'est la terre, qui est l'esprit de la force matérielle de la terre et qui, par Son pouvoir, soutient ces multitudes.

Le Divin est la divinité du Sôma qui, par le rassa, la sève de la terre-mère, nourrit les plantes et les arbres dont sa surface est recouverte. Nul autre que le Divin n'est la flamme de vie qui soutient le corps physique des créatures vivantes et change sa nourriture en aliment de leur force vitale. Il est logé dans le cœur de tout ce qui respire ; la mémoire, la connaissance et les débats de la raison viennent de Lui. Il est ce qui est connu par les Védas et toutes les formes de connaissance ; Il est celui qui connaît le Véda et qui fait le Védânta.

En d'autres termes, le Divin est à la fois l'Âme de la matière, l'Âme de la vie et l'Âme du mental aussi bien que l'Âme de la lumière supramentale qui est par-delà le mental et son intelligence raisonnante et limitée.

🔥

Et après tout, n'est-ce pas aussi le véritable Adwaïta qui ne crée pas la moindre scission dans l'Existence éternelle et unique ? Ce monisme absolu et qui ne divise point, voit l'un comme l'un jusque dans les multiplicités de la Nature, sous tous les aspects dans la réalité du moi et du cosmos autant que dans cette suprême réalité du supracosmique qui est la source du moi et la vérité du cosmos et que ne lie aucune affirmation de l'universel devenir ni aucune négation universelle ou absolue. Tel est du moins l'Adwaïta de la Guîtâ.

C'est le Shâstra le plus secret, dit l'Instructeur à Ardjouna ; c'est l'enseignement et la science suprêmes qui nous conduisent au cœur du plus haut mystère de l'existence.

D'une façon absolue le connaître, le saisir dans la connaissance, le sentiment, la force et l'expérience, c'est atteindre à la perfection dans la compréhension transformée, être divinement satisfait dans le cœur et réussir dans le sens et l'objectif suprêmes de toute volonté, de toute action et de toute œuvre.

C'est le moyen d'être immortel, de s'élever vers la nature divine la plus haute et d'épouser le Dharma éternel.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article