La voie et le bhakta
Sri Aurobindo – Essai sur la Guîtâ
Livre 2 – Chapitre 12 (Extraits)
Une connaissance plus grande et conciliatrice, une conscience plus divine, un haut motif impersonnel, une norme spirituelle d'unité avec la volonté du Divin influant sur le monde depuis la lumière primordiale et avec la force motrice de la nature spirituelle tel est le nouveau principe intérieur des œuvres, qui doit transformer la vieille action ignorante.
Une connaissance qui embrasse l'unité avec le Divin et arrive, par le Divin à une consciente unité avec toutes les choses et tous les êtres une volonté vidée de l'égoïsme et n'agissant que sur l'ordre du Maître secret des œuvres et qu'en étant son instrument ; un amour divin dont la seule aspiration vise à une étroite intimité avec l'Âme suprême de toute existence ; et, accomplie par unité de ces trois pouvoirs en leur perfection, une unité intérieure, et qui englobe tout, avec l'Esprit transcendant et universel, avec la Nature et avec toutes les créatures voilà la fondation offerte à l'homme libéré pour ses activités.
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Quelques paragraphes plus loin, Sri Aurobindo en vient à cette question que se pose Ardhuna :
C'est pourquoi, voulant que lui soit ôté un doute qui aurait autrement pu surgir, il demande ce qui vaut le mieux : "De ces adeptes qui, ainsi, par une union constante, Te recherchent, twâm, ou de ceux qui recherchent l'Immuable non manifesté, lesquels ont la plus grande connaissance du Yoga?"
La réponse de Krishna est très intéressante car il accepte toutes les voies d'approche, il ne rejette personne, mais établit une claire différence entre un chemin difficile et un chemin facile :
À cette question, Krishna répond avec force et fermeté. "Ceux qui en Moi fondent leur mental et qui, par une constante union, possédant une foi suprême, Me recherchent, ceux-là Je tiens qu'ils sont le plus parfaitement unis en Yoga."
La foi suprême est celle qui cherche Dieu en tout, et à ses yeux la manifestation et la non-manifestation sont un seul Divin. L'union parfaite est celle qui trouve le Divin à chaque instant, en chaque action et avec toute l'intégralité de la nature.
Mais ceux-là aussi qui, par une ascension pénible, recherchent seulement l'Immuable indéfinissable et non manifesté, dit le Divin, parviennent à Moi. Car ils ne se trompent pas sur leur but, mais ils suivent un chemin plus difficile, moins complet et moins parfait. Au mieux, pour atteindre à l'Absolu non manifesté, il leur faut escalader et traverser l'Immuable manifesté ici-bas.
Cet Immuable manifesté est Mon impersonnalité et Mon silence qui baignent tout ; vaste, impensable, immobile, constant, omniprésent, il supporte l'action de la personnalité mais n'y prend pas part. Il n'offre point de prise au mental ; on ne peut y accéder que par une impersonnalité et un silence spirituel sans mouvement, et ceux qui le poursuivent de manière exclusive doivent suspendre tout à fait et même complètement réabsorber l'action du mental et des sens.
Mais cependant, par l'égalité de leur compréhension, par leur vision d'un moi unique en toutes choses et par la tranquille bienveillance de leur volonté silencieuse en vue du bien de toutes les existences, eux aussi Me trouvent en tous les objets et toutes les créatures. Tout autant que ceux qui s'unissent avec le Divin dans toutes leurs façons d'exister, sarva-bhâvéna, et pénètrent amplement et pleinement dans l'impensable et vivante source des choses universelles, divyam pourousham atchintya-roûpam, ces chercheurs-là aussi, qui traversant cette plus difficile unité exclusive grimpent vers un Absolu non manifesté et sans relations, trouvent pour finir le même Éternel. Mais leur chemin est moins direct et plus ardu ; ce n'est pas le plein mouvement naturel de la nature humaine spiritualisée.
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Une des qualités qui facilitent le progrès intégral.
Et l'on ne doit pas s'imaginer que, plus ardue, cette méthode soit fatalement plus haute et plus efficace. La voie plus facile de la Guîtâ conduit plus rapidement, plus naturellement et normalement à la même libération absolue.
Si elle accepte la Personne divine, en effet, cela n'implique nullement qu'elle s'attache aux limitations mentales et sensuelles de la Nature incarnée. Au contraire, cette acceptation a tôt fait de briser efficacement les fers qui retiennent à la servitude phénoménale de la naissance et de la mort.
Le yogi de la connaissance exclusive s'impose, lui, un pénible combat avec les multiples exigences de sa nature ; il leur dénie même leur satisfaction la plus élevée et va jusqu'à se couper de ses impulsions spirituelles tournées vers le haut, quand elles impliquent des relations ou qu'elles ne peuvent atteindre un absolu négatif.
Au contraire, la voie vivante de la Guîtâ trouve le moyen d'orienter le plus intensément vers le haut tout notre être et, en le tournant vers Dieu, emploie la connaissance, la volonté, le sentiment et l'instinct de perfection comme autant d'ailes puissantes pour une libération ascendante.
En son unité indéfinissable, le Brahman non manifesté est une chose à laquelle les âmes incarnées ne peuvent parvenir, et encore, que par une constante mortification, une souffrance de tous les membres due à leur répression, une âpre difficulté et une angoisse de la nature, douhkham avâpyaté, klésho'dhikataras téshâm.
L'indéfinissable Unité accepte tout ce qui grimpe vers elle, mais n'offre l'aide d'aucunes relations, ni ne fournit aucune prise au grimpeur. Tout doit s'accomplir au prix d'une sévère austérité et d'un effort individuel âpre et solitaire.
Comme les choses changent pour ceux qui poursuivent le Pouroushôttama selon la voie de la Guîtâ ! Lorsqu'ils méditent sur Lui en un Yoga qui ne voit nul autre, puisqu'il considère que tout est Vâsoudéva, le Pouroushôttama vient à eux à chaque endroit, à chaque instant, tout le temps sous des formes et des visages sans nombre, élève la lampe de la connaissance intérieure et inonde toute l'existence de son éclat heureux et divin.
Illuminés, ils discernent l'Esprit suprême en chaque forme et chaque visage, arrivent tout de suite par toute la Nature au Seigneur de la Nature, arrivent par tous les êtres à l'Âme de tout être, arrivent par eux-mêmes au Moi de tout ce qu'ils sont ; ils pratiquent immédiatement cent ouvertures à la fois en cela dont tout tire son origine.
L'autre méthode, celle d'une difficile immobilité sans relations, essaie de se retirer de toute action, même si cela est impossible aux créatures incarnées. Ici, toute action est abandonnée au suprême Maître de l'action ; et lui, en tant que Volonté suprême, reçoit la volonté de sacrifice, la décharge de son fardeau et se charge pour lui-même des œuvres de la Nature divine en nous.
Et quand également, dans sa haute passion d'amour, le disciple de l'Amant et Ami de l'homme et de toutes les créatures projette sur lui tout son cœur plein de conscience et toute sa faim d'éprouver la joie, alors le Suprême vient à lui rapidement sous les traits du sauveur et du libérateur et, par un heureux embrassement de son mental, de son cœur et de son corps, l'élève au-dessus des vagues de l'océan de la mort, le faisant ainsi passer de cette nature mortelle à la sécurité du sein de l'Éternel.
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Très utile pour la transformation.
Cette voie-là est donc la plus rapide, la plus vaste et la plus grande. Sur Moi, dit le Divin à l'âme de l'homme, fais reposer tout ton mental, et loge en Moi toute ta compréhension : baignés dans le feu céleste de l'amour divin, de la volonté et de la connaissance divines, Je les soulèverai jusqu'à Moi, dont découlent ces choses. N'en doute point, tu auras ta demeure en Moi au-dessus de cette existence mortelle.
La chaîne de la nature terrestre limitative ne peut retenir l'esprit immortel exhaussé par la passion, la puissance et la lumière de l'amour, de la volonté et de la connaissance éternels.
Sans nul doute, il existe des difficultés sur ce chemin aussi ; car il y a la nature inférieure avec sa farouche ou sa morne gravitation vers le bas qui résiste et lutte contre le mouvement ascendant et entrave les ailes de l'exaltation et du ravissement vers le haut.
Même si on l'a déjà trouvée en l'émerveillement de hauts moments ou en de calmes et splendides périodes, on ne peut retenir tout à fait ni rappeler à volonté la conscience divine ; on éprouve souvent une incapacité à garder la conscience personnelle fixée fermement sur le Divin; il est des nuits de long exil loin de la Lumière, il est des heures ou des moments de révolte, de doute, ou d'échec.
Mais cependant, par la pratique de l'union, et par la constante répétition de l'expérience, cet esprit suprême a davantage d'influence sur l'être et prend de façon permanente possession de la nature.
Est-ce aussi à cause du pouvoir et de la persistance du mouvement mental tourné vers l'extérieur que l'on trouve cela trop difficile ? Alors, il y a un moyen très simple : accomplir toutes les actions pour le Seigneur de l'action, de façon que chaque mouvement mental tourné vers l'extérieur soit associé à la vérité spirituelle intérieure de l'être et rappelé, en son élan même, à la réalité éternelle et relié à sa source. Alors la présence du Pouroushôttama influencera davantage l'homme naturel, jusqu'à ce qu'il en soit empli et devienne une divinité et un esprit ; toute la vie deviendra un constant souvenir de Dieu, la perfection elle aussi croîtra, ainsi que l'unité de toute l'existence de l'âme humaine avec l'Existence suprême.
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Mais nous souvenir constamment de Dieu et constamment élever nos œuvres vers lui peut paraître dépasser le pouvoir du mental limité, car le mental, en son oubli, se tourne vers l'acte et son objet extérieur, il ne se souviendra pas qu'il doit regarder au-dedans et déposer tous nos mouvements sur l'autel divin de l'Esprit. Il convient en ce cas de maîtriser le moi inférieur dans l'action et d'exécuter les œuvres sans en désirer le fruit. On doit renoncer à tous les fruits, les abandonner au Pouvoir qui dirige l'œuvre, et cependant l'œuvre doit être exécutée, que ce Pouvoir impose à la nature. De cette façon, en effet, l'obstacle diminue régulièrement et disparaît sans mal, le mental a toute licence de se rappeler le Seigneur et de se fixer en la liberté de la conscience divine.
Et ici, la Guîtâ donne une échelle des forces ascendantes et décerne la palme d'excellence à ce Yoga de l'action sans désir.
Abhyâsa, la pratique d'une méthode, la répétition d'un effort et d'une expérience est quelque chose de grand et de puissant ; mais la connaissance est meilleure, où la pensée se tourne victorieusement et lumineusement vers la Vérité qui est derrière les choses.
Cette connaissance par la pensée est à son tour dépassée par une silencieuse et complète concentration sur la Vérité de façon que la conscience finisse par y vivre et soit toujours une avec elle.
Mais encore plus puissant est l'abandon du fruit des œuvres, car cela détruit aussitôt tous les motifs de trouble, entraîne et préserve automatiquement un calme et une paix intérieurs.
Or, le calme et la paix sont la base sur laquelle tout le reste devient une possession parfaite et sûre pour l'esprit tranquille.
La conscience peut alors être à l'aise, se fixer avec bonheur en le Divin et s'élever sans trouble vers la perfection. Alors, la connaissance, la volonté et la dévotion peuvent aussi élever leurs cimes depuis un ferme terrain de calme solide jusqu'en l'éther de l'Éternité.
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Dans les derniers paragraphes Sri Aurobindo nous présente ce que sera la nature divine, ce que sera l'état supérieur de conscience du bhakta suivant le sentier de l'adoration de l'Éternel. Je vous laisse les découvrir par vous-mêmes et je préfère m'arrêter sur ces lignes qui nous donnent des indications claires sur notre pratique.
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Essais sur la Guîtâ - French translation, Essays On The Gita
Read online - French translation of 'Essays On The Gita': Essays on the philosophy and method of self-discipline presented in the Bhagavad Gita.
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