P.L. L'homme de la curie romaine (1968)
J'ai compilé ci-dessous l'ensemble des Agendas de l'année 1968 qui font référence à P.L. qui travaille à la Curie romaine et sera très en relation avec la Mère tout au long de l'année 1968 et encore en 1969.
Ces Agendas sont très intéressants car ils nous donnent un aperçu du pouvoir occulte qui règne au Vatican et de l'action invisible accomplie par Mère : ce qui est révélé dans ces Agendas à ce propos est probablement totalement inconnu, y compris des chrétiens et des catholiques eux-mêmes.
D'autres passages très touchants aussi, parfois poignants, sur les moments pénibles de P.L., sur la sollicitude de Mère, sur la dévotion de P.L. envers Mère...
La Curie romaine (en latin : Romana Curia) est l'ensemble des institutions administratives du Saint-Siège et l'organe central du gouvernement de l’Église catholique. Placée sous la primauté pontificale de l’évêque de Rome, elle est au service du pape, successeur de Pierre, et des évêques, successeurs des apôtres.
Agenda du 20 mars 1968
Il y a un problème. Il s'agit de P.L. Tu sais qui il est1 ?
1. Un visiteur qui réside depuis quelque temps à l'Ashram.
Non.
C'est un des dignitaires de la Curie romaine.
Je ne comprends pas ! C'est un catholique ?
Il va être nommé évêque dans tel pays.
...!!!
Alors il y a un problème. C'est un personnage important, il veut tout quitter – ce christianisme, tout cela, il le rejette, il n'en veut plus. Il veut quitter son Église, son épiscopat, tout, et rester ici. Il a «trouvé» quelque chose ici.
Oui, mais je l'ai vu, cet homme-là : il était très attaché.
Oui, alors il veut tout quitter. Mais c'est un problème, parce que la moindre chose peut faire des scandales en Italie. Les communistes sont toujours prêts à se saisir de la moindre occasion : un prêtre qui défroque... Non seulement un prêtre, mais un apprenti évêque de la Curie romaine. Alors il voudrait que ça se passe sans scandale. Mais comment faire ?
Moi, j'ai vu cet homme, je l'ai trouvé très bien.
Il est très bien. Il a quelque chose. Il a des expériences avec Sri Aurobindo, il voit Sri Aurobindo. Mais là aussi, il y a un problème. D'abord, il a besoin de ta force : c'est un homme qui vitalement et physiquement n'a pas beaucoup de force. Quand il sort de son corps... L'autre jour, il a vu Sri Aurobindo au samâdhi, et pendant ce temps-là, son corps était dévoré par des bêtes féroces et projeté hors de son lit. C'est un homme qui est attaqué. Il a besoin d'être protégé. Il est faible vitalement et physiquement. Alors s'il rentre à Rome, tu comprends que ces gens ne vont pas vouloir le laisser partir sans une bataille... Il veut te demander comment procéder?
Il est [de telle nationalité] ?
Oui, et il est employé au tribunal de Rome, c'est lui qui règle les cas de divorce. Alors, d'une part, il a besoin de ta force pour faire cette opération, parce que c'est une vraie opération, et ensuite comment procéder pour éviter le scandale ? Il me dit qu'il est le bras droit du cardinal T2 : «Est-ce que je dois agir auprès du cardinal T pour me faire donner une sorte de mission en dehors de Rome, en Afrique ou en Inde, et peu à peu sortir de Rome, me faire oublier, et puis disparaître? Ou bien est-ce que je dois parler directement au pape et lui dire clairement tout ce qui se passe ?...» Parce que tu sais que P.L. était dans l'avion avec le pape quand il est venu à Bombay…
2. Le cardinal Tisserant, mort en 1972.
Moi, j'aime mieux la solution de parler au pape.
(Mère entre dans une longue concentration)
C'est lui qui s'était évanoui ici en méditation ?
Oui, il est faible vitalement et physiquement.
Mais le pape est très fort vitalement. Ça, c'est ennuyeux.
(Mère entre à nouveau dans une longue concentration)
C'est la seule chose à faire. Il y a ce danger, mais il faut qu'il passe à travers ça. Il s'en va quand ?
Début d'avril. Il demandera à te voir avant.
Oui. Mais je ne parlerai pas. En s'en allant d'ici, il ira tout droit où ?
À Rome, je crois.
(silence)
Moi, j'ai l'impression que peut-être aussi, le pape sera intéressé ?
(Mère acquiesce de la tête)
🌸
Agenda du 3 avril 1968
(Suite de la conversation du 20 mars 1968, à propos de l'homme de la Curie romaine.)
Tu as revu P.L.?
Non.
Je l'ai vu hier.
Il m'a parlé, mais je n'ai pas entendu. Je ne sais pas ce qu'il m'a dit. Mais j'ai eu très fortement – très fortement, et ça a duré longtemps – l'impression du début, du commencement... du départ de quelque chose comme une action ou une série d'événements qui avaient une grande importance pour le développement de la terre1. Très fort: c'est resté pendant des heures, cette impression. Et c'est tout à fait inaccoutumé pour moi parce que, généralement, les choses extérieures... (Mère hoche la tête), tout cela est tellement relatif et tous les événements sont tellement relatifs que ça ne laisse pas d'impression.
1. Il semblerait que ce soit la suite ou la concrétisation du mouvement qui avait commencé en 1967 avec la note de Mère : «Le christianisme déifie la souffrance pour le salut de la terre» (29 juillet 1967), puis les visites de Mme Z qui prétendait faire un rapprochement entre l'Église et l'Ashram, puis la visite du moine qui voulait élargir son christianisme avec la Vérité nouvelle (voir Agenda VIII).
Tout à fait inhabituel. Et inattendu.
C'est comme une porte qui s'ouvre sur quelque chose qui aura une importance assez considérable dans le développement terrestre.
Je n'avais pas l'impression qu'il fût conscient lui-même... Ça dépassait un peu les consciences humaines. Mais j'ai vu très clairement, j'ai vu très clairement le pape.
Il a décidé d'aller à Rome ?
Oui, dès en arrivant, il demandera une audience.
C'est tout à fait (pendant des heures, c'est resté), tout à fait inaccoutumé : quelque chose qui dépasse de beaucoup les individualités humaines, mais qui était le commencement d'une chose très importante dans l'histoire de l'évolution terrestre.
La dernière fois que je l'ai vu, il m'a demandé comment procéder pour se faire recevoir par le pape. Alors je lui ai dit : «C'est très simple, c'est le nom de Sri Aurobindo qui vous ouvrira la porte ; vous écrirez au pape : je viens de l'Ashram de Sri Aurobindo et je voudrais vous voir.»
(Mère entre dans une longue concentration)
C'est étrange, une étrange sensation... Tu sais, comme quand on tourne une page. Depuis hier et en ce moment, c'était tellement fort : l'impression de quelque chose qui a fait comme cela (geste comme une page qui tourne) et puis ça, c'était le commencement. Et n'est-ce pas, rien dans la tête, pas une pensée, rien : seulement une espèce de perception que quelque chose a fait comme cela (même geste) et...
Il faudrait noter la date – peut-être que dans dix ans ou vingt ans, on comprendra !
Hier, c'était le deux avril, oui, le deux. C'était une date étrange : c'est 2-4-6-8. Hier. Deux, quatre, six, huit. Et l'impression, c'est quelque chose qui a fait comme cela, comme une page qui est tournée, et puis... le commencement. Ou si tu veux (ce n'est pas une sensation géométrique mais...), l'impression d'une courbe qui est terminée et d'une autre qui commence. Mais ce n'est pas si bien que cette image comme d'une immense page qui retombe, et puis quelque chose qui commence. C'est blanc, c'est... c'est juste le commencement.
Et aucune perception d'une chose personnelle : les personnalités (P.L.) sont seulement comme des pions qui ont servi à commencer, c'est tout. Le mouvement, l'origine du mouvement est infiniment plus haute et plus vaste que toute personnalité physique.
Vraiment, la perception que tous les gens et toutes les choses ne sont que comme des pions, comme cela (geste sur un échiquier), qui sont mis en mouvement, mais...
On verra.
Il faut noter ça.
Ça a quelque chose à voir avec le pape tout de même ?
Oui. Avec la Chrétienté.
(Mère entre à nouveau dans une longue contemplation)
🌸
Agenda du 10 avril 1968
P.L. est parti. Il m'a fait demander des «paquets de bénédictions» pour l'aider... (riant) par quatre personnes différentes pour être sûr de les avoir ! À chacun, il a dit à peu près la même chose : qu'il allait faire quelque chose de très difficile et qu'il avait besoin de mon aide très active... Alors j'ai donné quatre paquets !
J'ai eu la pensée de lui dire de me télégraphier dès qu'il saurait l'heure et le jour de son entrevue avec le pape.
C'est une bonne idée.
Il paraît qu'il est le fils d'un ministre... Je ne sais plus à qui il a fait des confidences, mais il a dit que son père est (ou a été) premier ministre de tel pays et que lui-même est avocat et qu'il régit la fortune de plusieurs personnes. Il a dit qu'il avait à régir quelque chose comme vingt crores de roupies1, c'est-à-dire une fortune considérable. Mais c'est tout, il n'a rien dit d'autre.
1. Un crore = dix millions de roupies.
Il m'a demandé ce qu'il devait faire de son argent, alors je lui ai conseillé d'aller voir A. Il me disait, par exemple, qu'il avait des actions dans beaucoup d'affaires et il me demandait : «Est-ce qu'il faut que je me dépouille de tout cela ?» Je lui ai dit : «A. pourra vous conseiller, mais à première vue, il n'y a aucune raison de se dépouiller ; si vous avez des intérêts, vous pouvez donner les intérêts à l'Ashram si vous êtes dévoué à l'Ashram, mais il n'y a aucune raison de tout jeter en l'air.»
Il n'a pas parlé de se dépouiller quand il a vu A, il a dit qu'il régissait l'argent d'AUTRES personnes.
Ah ! il ne m'a pas dit cela.
Ça a l'air bizarre : à l'un, il dit une chose, à l'autre il dit une autre...
Je ne crois pas.
Moi, je sens : le contact est très agréable – très agréable, très confiant, très bien. Un très bon contact. Probablement, il ne dit qu'un petit morceau à chacun.
À moi, il a dit qu'il voulait tout donner, puis il a eu une hésitation, il a dit : «Mais par exemple, si j'ai besoin de revenir dans mon pays, voir ma mère ?...» Je lui ai dit : il n'y a pas de raison de tout donner comme cela. Si vous voulez, vous gardez une certaine liberté avec un peu d'argent pour les cas de nécessité. En tout cas, lui ai-je dit, personne ne vous demandera rien, c'est à vous de faire selon votre cœur.
Oui. Mais alors, si ce n'est pas l'argent des autres qu'il régit, si c'est le sien, il est très riche.
(…)
Je me souviens toujours de ce que Théon disait (Théon était tout à fait contre la philanthropie), il disait : «La philanthropie perpétue la misère humaine, parce que sans misère humaine, elle n'aurait plus de raison d'être !» Et tu sais, ce grand philanthrope... comment s'appelait-il ?... du temps de Mazarin, celui qui a fondé les «Petites Sœurs de Charité»?
Vincent de Paul.
C'est cela. Mazarin lui a dit une fois : «Il n'y a jamais eu tant de pauvres que depuis que vous vous en occupez4 ! »
4. Quelqu'un avait écrit à Mère en lui disant : «Je veux que mon argent soit utilisé exclusivement pour vaincre les causes de nos souffrances et de nos misères.» Mère a répondu : «C'est à cela que nous travaillons ici, mais pas de la manière artificielle des philanthropes qui ne s'occupent que des effets extérieurs. Nous voulons supprimer pour toujours la cause de la souffrance en divinisant la matière par la transformation intégrale.»
🌸
Agenda du 27 avril 1968
Tu as des nouvelles de P.L.? Il paraît qu'il était malade.
Oui, une mauvaise lettre... J'ai deux choses : une lettre de P.L. et une lettre au sujet de P.L. Voici celle de P.L. (suit une lettre où P.L. raconte qu'il est tombé malade dès son retour au Vatican, qu'il n'a pas pu voir le pape, qu'il est désespéré, incapable, etc.].
Il n'a pas la force. C'était ce que je craignais. L'influence est trop forte (geste comme pour montrer P.L. sous une griffe). Et l'autre lettre?
C'est une lettre de Monseigneur R, ami de P.L. C'est un homme qui a des milliards, et c'est P.L. qui administre, en fait, les milliards de ce Monseigneur. Il écrit à J [l'amie de P.L.]. Et il dit ceci... [suit une lettre où Mgr R demande à J de venir au secours de P.L., de l'accueillir chez elle à Pondichéry et de le soigner, que le cas est très grave, que P.L. traverse une «crise psychologique» et qu'il lui faut sortir de son milieu, etc.].
Il vaut mieux qu'il vienne. Et qu'est-ce qu'elle a fait ?
Oh ! c'est un autre problème. J m'a répondu : «Impossible.» Elle a une réaction contre P.L., parce que P.L. s'accroche à elle désespérément.
Aïe !
Il s'accroche à elle comme à la vie même. Quand il est là, il ne veut pas la quitter, il veut habiter chez elle, il s'y accroche de toutes ses forces. Et Sri Aurobindo et Mère, qui sont la raison profonde, il ne les voit qu'à travers J. C'est cela, l'histoire. Alors J a une réaction de rejet, elle dit : je ne veux plus.
Lui, ne demande pas à revenir ?
Je crois qu'il ne demande que cela. Seulement il n'a pas la force de régler sa situation au Vatican. Il n'a pas le courage de régler ses affaires.
Mais l'autre, le Monseigneur R, le fera pour lui : il le renverra.
Oui, mais il n'aura pas le courage de dire qu'il quitte tout.
Ah !... Là-bas, on lui demande une réponse immédiate ?
Ce Monseigneur veut un télégramme.
Oui, on peut télégraphier et lui dire de venir. Mais je veux dire : là-bas, il doit régler la situation immédiatement ou cela peut se remettre ?
Ça peut se remettre.
Alors il vaut mieux qu'il vienne. Mais il peut ne pas habiter avec J. Il peut très bien habiter ici sans habiter avec elle.
Ce sera un drame parce que, lui, il tient absolument à être avec J.
Ce que je vois, c'est ceci : qu'il revienne ici, qu'on le loge à Gocconde1. Il faut envoyer un télégramme à ce Monseigneur dans ce sens-là.
1. Golconde : la maison des hôtes.
Et prévenir P.L. qu'il sera reçu à Golconde – le prévenir d'avance.
Ah ! oui.
P.L. a écrit à F hier en lui disant : dites à Mère que je suis malade et que j'ai besoin d'aide. Et j'ai donné un paquet de «bénédictions» pour lui. Il ne parlait pas de revenir, mais il disait : j'ai absolument besoin d'aide.
Il va se retrouver dans la même situation : il va revenir ici, il sera très heureux, très content, ça va aller bien, et puis...
Et puis il n'a qu'à rester ici !
Il n'a qu'à rester ici ?
Et l'affaire se dénouera là-bas tout naturellement.
N'est-ce pas, il n'y avait pas de jours où je n'avais une connexion avec lui ; et moi, je ne suis pas «active», c'est-à-dire que je n'ai de connexion que quand les gens appellent. Par conséquent, cela veut dire que vraiment il appelait. Et comme cela : continu-continu, avec l'impression d'une tension. Et la lettre adressée à F est arrivée hier après-midi. Alors j'ai compris.
Mais cela prouve que son vital n'est pas encore assez pur pour être assez fort. Les forces vitales de là-bas (au Vatican) sont extrêmement puissantes.
Mais il me disait ici que dès qu'il s'extériorisait, son corps était dévoré par des bêtes féroces.
Ah !... Même ici, ça lui arrivait ?
Oui.
C'est ennuyeux.
Il m'a raconté une autre histoire. Il a eu un autre «rêve» ici, à Pondichéry, qui l'a beaucoup bouleversé (parce qu'il t'aime, il a quelque chose pour toi), mais une nuit, il s'est vu, lui, P.L., changé en oiseau, une espèce de hibou, qui voulait aller te tuer ! Cet oiseau avait un poignard et il venait pour te tuer, toi. Alors il a été réveillé tout d'un coup, horrifié de ce qu'il allait faire. C'était P.L. devenu un hibou, qui se précipitait sur toi avec un poignard pour te tuer... Il était horrifié, le pauvre.
Ça veut dire qu'il est beaucoup sous leur influence.
(silence)
Quand il a vu Sri Aurobindo au samâdhi, il s'est évanoui... Il y a un grand conflit dedans.
Mais quand il a vu Sri Aurobindo, Sri Aurobindo lui a dit : «Viens, viens t'asseoir ici, viens t'asseoir près de moi, reste ici.» Alors il est resté là très content, et puis tout d'un coup il s'est enfui...
Ah !
Mais Sri Aurobindo lui a dit : «Viens t'asseoir, sois tranquille.»
Oui, la bataille se livre au-dedans.
(silence)
Je crois que la seule chose à faire, c'est cela, c'est de dire à J de télégraphier en disant qu'il sera logé à Golconde, et puis on verra. Il ne faut pas demander qu'elle le prenne, il vaut mieux qu'il n'aille pas habiter chez elle. Je ne voudrais pas qu'ils aient des relations. Ça, il ne faudrait pas – il ne faut pas que ça se passe ici, tu comprends, ça le sortirait de la protection tout de suite, alors... Si c'est un désir de cet ordre qui le fait revenir ici, ça le sort de la protection.
Mais il y a les deux ! Il y a sa passion pour J et il y a Sri Aurobindo et Mère.
Oui, c'est mélangé.
La vraie chose s'est servie de cela.
Oui... Bon.
Ça dépasse de beaucoup les individus, n'est-ce pas, c'est cela surtout2.
2. En fait, c'est le début d'une longue histoire avec le Vatican et les réformes de l'Église (le début ou la suite depuis que Mère avait «rencontré» le pape avant son voyage à Bombay en 1964).
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Agenda du 2 mai 1968
Ton P.L. revient !
Quelle avalanche de télégrammes ! Et ce n'est pas fini : en voilà encore un [suit un télégramme où P.L. annonce un mystérieux «fait nouveau» et supplie qu'on le loge chez son amie J pour des raisons «graves»]
Alors il n'y a qu'à le loger chez elle !
Il a eu tout d'un coup la frousse là-bas. C'est vrai que leur pouvoir occulte est très grand et qu'il faut être très fort pour résister. Et il a eu la frousse. Et c'est cela qui l'a rendu malade.
Moi, j'ai l'impression que l'autre, ce Monseigneur R, avait envie de s'en débarrasser... Sérieusement, j'ai l'impression qu'il flairait quelque chose et qu'il a dit : il vaut mieux qu'il s'en aille.
Évidemment, il n'a pas la force.
Non, il n'a pas la force.
Mais tu sais, c'est vraiment une victime : à l'âge de sept ans, sa mère l'a envoyé en Espagne dans un couvent de frères... jusqu'à l'âge de dix-huit ans !
Pauvre homme !
En Espagne ! Tu sais, ce christianisme inexorable... De sept ans à dix-huit ans. C'est affreux !
Non, c'est un homme très gentil, mais il n'est pas assez fort vitalement. Et alors je comprends, s'il a vécu dans un couvent pendant tant d'années...
(Mère reste longtemps concentrée)
Je n'ai pas l'impression que cette affaire soit finie.
(long silence)
J. est troublée parce qu'il est très accaparant.
Qui est-ce qui avait pensé à lui pour le cardinalat ?
Je ne sais pas, mais enfin c'était attendu.
C'était attendu... Ce devait être une affaire politique parce que... Je crois d'ailleurs généralement que c'est une affaire politique...
Oh! oui, ce n'est rien que de la politique.
...Parce qu'il est beaucoup trop passionné pour cela. C'était pour tout de suite ou plus tard ?
Je ne sais pas.
Je te demande cela, parce que c'est peut-être cela le «fait nouveau» dont il parle. On a peut-être pris une décision... Moi, j'ai eu fortement l'impression que l'autre (Mgr R) voulait s'en débarrasser pour une raison quelconque.
On verra.
(Puis Mère entre dans une longue contemplation qui va durer jusqu'à la fin de l'entrevue.)
J'ai toujours l'impression de quelque chose d'IMPORTANT qui a commencé... Mais ça durera pendant très longtemps probablement. Ça prendra très longtemps.
🌸
Agenda du 4 mai 1968
Tu as quelque chose au sujet de P.L.?
On l'attend aujourd'hui.
Il a dit un «fait nouveau», qu'est-ce que cela peut être ?
Moi, j'ai eu fortement – fortement – l'impression qu'on voulait se débarrasser de lui, dans le sens que, ou c'est le pape qui ne voulait pas l'entendre, ou peut-être plus, c'est l'ami, le Monseigneur R, qui ne voulait pas que le pape entende ce qu'il avait à lui dire. C'est une très forte impression.
On pourrait dire comme ceci : l'impression que j'avais, mais très forte (très forte, ça a duré pendant au moins deux jours, très fort), l'impression du Catholicisme qui se défend. Et comme dans le domaine mental, on ne pouvait pas toucher P.L., alors on est venu par en bas et on lui a démoli sa santé – ils savent faire tout cela, ce sont des occultistes très calés.
Et lui, n'avait pas cet équilibre immense (geste vaste au-dessus) qui fait que tout ça, ça n'a pas d'effet. Il est encore ouvert.
Mais il n'a même pas écouté les conseils élémentaires qu'on lui a donnés. On lui a dit : «Il ne faut parler qu'au pape, à personne d'autre.» Il a parlé à droite et à gauche. Il a parlé au cardinal Tisseront et il a parlé à ce Monseigneur R, alors...
(silence)
Ils tiennent tellement à leur pouvoir qu'ils sont capables d'en revenir à leur vieille manière : excommunication, inquisition et tout cela, pour empêcher que ça bouge. C'est cela que je sens. C'est cela qui est terrible. Tandis que le pape, il y avait en lui l'effort d'aller plus loin.
Tu dis «il y avait» ?
Qu'est-ce que j'ai dit ?
Tu as dit : il y «avait» l'effort...
Oui, je ne suis pas sûre qu'on ne le...
(Mère reste silencieuse)
Tu as entendu : le bruit a couru que le pape allait abdiquer ? Dans les journaux il y a quelques jours, il était question d'une rumeur selon laquelle le pape allait abdiquer.2
2. L'ABDICATION DU PAPE ?
(Cité du Vatican, 30 avril.)
Il est de nouveau fortement question que le pape Paul abdique le pontificat de l'Église catholique romaine. C'est le sujet de toutes les conversations, non seulement dans les milieux du Vatican mais également parmi les hauts fonctionnaires laïques à Rome. La télévision nationale régie par le gouvernement aurait préparé un programme spécial sur la «carrière du pape», prêt à être diffusé instantanément au cas où le pape abdiquerait. Les milieux bien informés du Vatican n'ajoutent pas foi à ces rumeurs d'abdication, mais ils n'en excluent pas la possibilité.
(The Hindu, 1er mai 1968.)
Voilà !... Je ne savais pas.
Ça a été démenti, mais le bruit a beaucoup couru.
C'est cela. C'est cela. Je ne savais pas. Ah ! c'est très intéressant... Je crois qu'il y a une bande de brigands là-bas.
Oh ! oui... X me disait que quand elle était à Rome, elle assistait à toutes les réceptions officielles, et elle disait : tous ces prélats étaient gras comme des..., ils buvaient le champagne, le cognac... Où était la spiritualité là-dedans !
(après un silence)
Ah ! les cardinaux veulent faire partir le pape...
(autre silence)
Oui, ils vont résister tant qu'ils peuvent.
Ce serait bien qu'un contact puisse s'établir entre toi et lui.
(Mère hoche la tête avec force) Oui. Oui.
Mais je te l'ai dit, je le savais : ce sont des gens qui ont une connaissance occulte assez grande et un manque total de scrupules. Je suis absolument convaincue que ce sont eux qui ont rendu P.L. malade. Peut-être ne le sait-il pas (probablement il ne le sait pas), mais j'en suis convaincue, j'en suis sûre.
Il y a eu une très forte attaque ici – très forte et directement sur moi. Je l'ai vue, n'est-ce pas – je l'ai vue. Je ne peux pas dire que je l'ai sentie, mais je l'ai vue.
Venant d'eux ?
Venant d'eux. Et non seulement c'était directement sur moi, mais ça a touché... (geste dans l'atmosphère de l'Ashram), ça a touché.3
3. Le disciple sera lui-même fortement et longtemps touché quelques semaines plus tard.
Ils sont calés.
N'est-ce pas, il n'y a qu'une chose qui soit plus forte qu'eux, une seule : la paix du Seigneur. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire (je parle avec des mots qui ressemblent à leur propre langage), mais c'est... (geste au-dessus, immense)... «Ça», là, ils ne peuvent pas toucher. Mais c'est la seule chose. Et il n'y a pas beaucoup de gens qui sachent se mettre à l'abri de « ça ».
(Mère entre dans une longue contemplation)
🌸
Agenda du 8 mai 1968
Tu as revu P.L.? Comment l'as-tu trouvé ?
Il est très secoué, très épuisé nerveusement.
Tu ne crois pas qu'ils ont fait de la magie sur lui ?
J'en ai tout à fait l'impression.
Ah ! toi aussi... Moi, j'ai sérieusement l'impression qu'ils ont fait de la magie pour qu'il ne puisse pas parler au pape.
Pour l'instant, il est très épuisé.
Oui, ils l'ont vidé.
Ça a commencé par une attaque mentale : tous les doutes. Sri Aurobindo, c'est «comme Saint Augustin» ; Mère, c'est «comme la Vierge Marie», c'est la «même chose». Enfin une attaque mentale. Et après, il ne pouvait plus manger : chaque fois qu'il mangeait, il vomissait. Puis il a eu des crises d'hystérie : des convulsions, de la bave qui venait, et puis il était comme à moitié fou.
Bah ! Bah !
Parce qu'il a écrit au pape... Voilà ce qui s'est passé : il a écrit au pape en lui demandant une audience, et cette lettre n'est jamais parvenue au pape.
Ah!
C'est tombé entre les mains du «Maître de l'Épistolat», qui probablement a envoyé cela au «Département indien» du Vatican pour savoir ce qu'était cet Ashram... Et on ne lui a jamais permis de voir le pape. Au bout de huit jours, ces attaques ont commencé à venir. Et au bout de huit jours, on lui a dit: ah! vous êtes trop malade, vous ne pouvez pas rencontrer le pape. Vous êtes «hors circuit».
On se méfie maintenant là-bas.
Mais avec ce qu'il m'a raconté, j'ai attrapé l'atmosphère du Vatican... C'est quelque chose d'effrayant, c'est une maffia, ce sont des bandes qui se haïssent, qui guettent le moment où le pape va disparaître et qui n'osent rien dire : ceux qui sont pour le pape n'osent rien dire, parce qu'ils se disent : «Quand le pape va mourir, j'aurai besoin des ennemis du pape actuel pour être élu, moi, à sa place.» Ils sont tous à penser à la succession. Alors personne ne veut être l'ennemi des autres et tout le monde se surveille. C'est une atmosphère effrayante.
Depuis qu'il avait donné cette lettre pour le pape, je vois de constantes attaques ici, constantes. Ce sont des gens dangereux.
Et puis, il y a un fait grave que m'a appris P.L. Tu sais que le pape avait été opéré il y a un an...
De quoi ?
De la prostate. Et en fait, c'est un cancer.
Oh !... Alors on s'attend à ce qu'il meure...
Et on ne l'aime pas. P.L. m'a dit : «Au Vatican, on ne l'aime pas.» On dit : «C'est le fils d'un journaliste, c'est un type qui veut faire de la sensation.» Voilà comment on le juge au Vatican.
(Mère reste longtemps concentrée)
Le pape avait été opéré avant de venir dans l'Inde ou après ?
Après, je crois.
🌸
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Agenda du 11 mai 1968
J'ai vu P.L.
J'ai vu aussi les petits de J (l'amie de P.L.) et le garçon m'a dit : «Je veux être ton guerrier pour conquérir et défendre la Vérité.»
Très gentil, le petit, très gentil !
Lui (P.L.), c'est surtout l'imagination. Il y a des troubles occultes, mais...
Mais dès qu'il pense à ça (le Vatican), sa figure se crispe. Alors je lui ai dit de ne plus y penser, de ne plus s'en occuper ni rien – laisser ça pour un avenir... incertain. Ne plus s'en occuper. Et alors, quand on lui dit de ne plus s'en occuper, sa figure est toute souriante !
🌸
Agenda du 22 mai 1968
J'ai vu P.L. hier. Il est encore terriblement nerveux. Il a dit qu'il était beaucoup mieux, mais à la moindre chose, sa figure se crispe. Et il y a encore autour de lui...
Alors il faut qu'il reste pour que tout cela soit défait, nettoyé, détruit.
C'est intéressant, il se passe des choses intéressantes.
P.L. a fait un rêve intéressant. Il l'a noté pour que je t'en parle... C'est très curieux, c'est un rêve qu'il a fait trois fois de suite à quelques jours de distance à peu près l'un de l'autre. Exactement le même rêve, le même circuit...
C'est quelqu'un qui le lui a envoyé. Voyons.
(Le disciple lit :) «C'est un jour de fête au Vatican. La place Saint-Pierre est archipleine. Le cortège du pape commence son défilé, auquel j'ai assisté maintes fois, tout près du pape, à côté des cardinaux. Mais à la place de la "sedia gestatoria" [la chaise porteuse du pape], il y a un énorme éléphant qui porte sur lui un personnage. Qui est ce personnage ? Douce Mère ? Non, c'est Pavitra... Mais non, c'est Satprem ! Non, c'est le directeur de l'École... Plus je veux fixer mon attention sur ce personnage, plus le visage change, comme dans un kaléidoscope. En réalité, je ne peux pas fixer bien mon attention car je souffre sous le poids de l'éléphant, qui continue son entrée à la Basilique Saint-Pierre. En effet, je suis dans une position qui est très incommode, car je ne suis pas l'éléphant : je suis dans ses pattes, dans ses ongles, et son poids est très-très lourd, c'est pour cela que je n'arrive pas à voir qui est sur l'éléphant. Et l'éléphant, entre-temps, est arrivé à la hauteur du Baldaquin de Bernini, dans la Basilique Saint-Pierre, et finalement arrive au trône du pape où il prend sa place et s’assoit...
(Mère rit)
«Sur sa tête, il y a le même personnage toujours : Douce Mère ? Pavitra ? Satprem ? Un professeur ? Je ne sais pas. Je ne vois pas bien le corps, seulement le visage qui change... Tout à coup, la multitude, la foule immense, présente, reçoit une vibration formidable : tout est ébranlé, et, de ce changement de mentalité, jaillit un cri très fort, un applaudissement vers cette Force qui vient de pénétrer leurs âmes – toute la foule est transformée... La cérémonie finie, l'éléphant sort de la Basilique. Je suis à la porte et contemple la foule infinie qui se prolonge loin-loin. Je voudrais bien savoir combien il y a de personnes, et à la fin, à l'horizon, apparaît un numéro: 1.600.000.000.»
Il est prodigieusement réceptif, cet individu !
(long silence)
Trois fois, tu dis ?
Trois fois : le 9 mai, le 11 mai et le 18 mai.
Quel chiffre ?
Mille six cent millions. Il paraît, m'a-t-il dit, que cela correspond à peu près à toute la chrétienté : non seulement les catholiques, mais les chrétiens.
C'était ce qui m'avait été dit. Il m'avait été dit que c'était le premier mouvement : la première indication, le premier mouvement de la conversion de la chrétienté à la Vérité. Il était clairement indiqué que ça avait été DÉCRÉTÉ. C'est cela que j'avais vu.
Je n'avais jamais vu une chose comme cela ! Je te l'ai dit, quand j'étais dans la chambre (où Mère reçoit) et que P.L. était venu, il est arrivé quelque chose qui était tellement... sérieux (comment dire ?...) quelque chose qui avait l'importance et la stabilité des grands mouvements terrestres : les grands âges, le commencement d'un grand âge.1 Je n'avais jamais senti cela. C'était avant qu'il ne s'en aille [au Vatican]. Alors j'ai regardé et j'ai vu que c'était décrété d'en haut : le début de la conversion de la chrétienté à la Vérité – la chrétienté dans son ensemble.
1. Conversation du 3 avril 1968.
Quelque chose a été senti là-bas : je t'ai dit qu'il y avait eu une attaque d'une violence...
C'est surtout P.L. qui a été la victime, et moi en partie : ça a touché ce corps. Mais tu sais que, vraiment, même au point de vue le plus ordinaire, le plus extérieur, la guérison a été miraculeuse. Ces choses-là (fluxion) durent généralement de huit à dix jours – en deux jours, c'était fini. Ça... mon corps lui-même, qui pourtant est habitué à être en contact avec les forces, en était émerveillé. Ça a été miraculeux.
L'action concrète de cette Force, que Sri Aurobindo appelait «la force supramentale», son premier contact et son premier aspect est un aspect de Vérité.2 Comme Sri Aurobindo l'avait dit : il fallait que la Vérité se manifeste d'abord avant la Puissance de l'Amour.
Comparé à la façon dont la vie suivait son cours, vraiment ça tient du miracle – miracle dans le sens que c'est la rapidité de la transformation et de l'action qui est tout au moins inhabituelle.
2. Comprenons bien que le mot «vérité» n'est pas employé au sens philosophique ni moral ou idéal : c'est la réalité telle qu'elle est, c'est le monde tel qu'il est sans son revêtement de mensonge. La vie réelle est un «miracle».
🌸
Agenda du 5 juin 1968
J'ai une question a propos de P.L. Il y a deux faits nouveaux. D'abord, il y a plusieurs années, il était en relation avec une Américaine extrêmement riche qu'il a aidée. Cette femme est très reconnaissante à P.L. et voudrait lui donner un million de dollars pour une œuvre.
Ça tombe bien !
Oui, mais elle est très catholique. C'était à un moment où P.L. était dans les Ordres.
Elle est catholique ?
Oui, elle est même très pieuse. Une femme bien, paraît-il. Alors, P.L. demande s'il ne devrait pas essayer de lui expliquer ce qu'il fait ici, de lui envoyer quelques livres de toi, et puis de voir comment cela agit. Peut-être cela orienterait-il cette femme vers quelque chose de plus intéressant ?
Ce n'est pas une femme qui veut «la paix sur la terre»?
Je ne sais pas. Quand P.L. l'a rencontrée, sa fille avait été assassinée, et dans ce moment difficile, P.L. l'a aidée. Alors elle est très reconnaissante et elle voudrait donner cet argent à une œuvre, bien sûr chrétienne.
Généralement, les gens de ce genre comprennent mieux une œuvre que des idées.
Auroville ?
Auroville, comme Sri Aurobindo l'a dit, est un moyen pratique de créer une unité humaine qui serait assez forte pour lutter contre la guerre.
C'est à voir. On peut essayer. On verra.
Il y a un autre fait, à propos de ce Mgr R dont P.L. gérait les formidables intérêts. On a eu la pensée (c'est J qui a eu cette pensée) de lui envoyer mon livre, «L'Aventure de la Conscience», et alors il a écrit une lettre enthousiaste, disant qu'il était très pris par ce livre, que cela l'intéressait prodigieusement. Et puis il a écrit une deuxième lettre à P.L. en lui disant : «Si je n'étais pas retenu à Rome, je viendrais vous rejoindre immédiatement.»
Oh !... Ça, c'est bien. Ça, c'est bien.
🌸
Agenda du 22 juin 1968
Tu as des nouvelles de P.L.?
Non, il est parti pour Rome, je sais.1
1. Un télégramme de Mgr R a subitement rappelé P.L. à Rome : «Nouveaux règlements Curie Romaine exigent votre retour immédiat sinon votre position compromise.»
Il est arrivé. Je me demande, parce que...
Tu sens que ça ne va pas bien ?
J'ai un très fort soupçon sur le fameux «ami» (Mgr R), parce que c'est lui qui a dit à P.L. de venir ici (tu te souviens comme il a insisté pour qu'il vienne), et maintenant il dit que P.L. est venu vivre ici avec une femme. Et c'est lui qui a arrangé tout pour qu'il habite chez J !
J'ai un très fort soupçon. Est-ce qu'ils ne lui ont pas fait un traquenard terrible ?...
Il s'attend à une sorte d'interrogatoire.
Oui. Tu te souviens que c'est ce Monseigneur qui a envoyé un télégramme à J pour lui dire de prendre P.L....
Pour moi, ces gens-là sont capables de tout.
Surtout que, maintenant, cela doit être su qu'il a voulu voir le pape et lui parler de l'Ashram.
Mais oui, bien entendu !
Il m'avait dit, avant de partir, qu'il avait fait un rêve. Je crois que c'est une symbolique personnelle, mais je ne sais pas. Il était dans un monde vital (poursuivi, je crois) et tout d'un coup, il a grimpé sur un arbre, qui s'est transformé en croix, et il était crucifié sur la croix... Cet endroit se trouvait au bord d'une mer qui était comme une mer de plomb. Alors il est monté sur cet arbre, qui s'est transformé en croix ; il a été comme crucifié sur cet arbre, et à la place (tu sais qu'au sommet de la croix, il est marqué INRI), à la place de cela, il y avait ton symbole : le symbole de Mère. Et après, cette croix a été comme prise ou engloutie par cette mer de plomb, et comme elle était engloutie dans la mer de plomb, seul le symbole de Mère a émergé, est resté à la surface ; la croix s'est engloutie, et peu à peu cette eau de plomb a changé de couleur et elle est devenue transparente. Mais lui, était englouti avec la croix.
(Après un silence) Je l'ai vu avant qu'il parte ; il y avait une atmosphère que je n'aimais pas autour de lui... Oui, comme un homme qui va se sacrifier.
Mais il m'a dit qu'il était très tranquille.
Moi, j'ai fait tout ce que j'ai pu – j'ai bien travaillé, j'ai beaucoup travaillé ! Parce qu'il n'y a rien, il n'y a pas de destin qui ne puisse être transformé. J'ai fait tout ce que j'ai pu. Mais leur intention ne me plaît pas.
Oui, il m'a dit : «Mère, c'est mon salut.»
Et je suis tout le temps tirée comme cela (geste d'appel là-bas) ; encore ce matin, tirée, et quelque chose qui m'oblige à aller travailler là-bas.
J'ai su exactement le moment où il est arrivé dans leur atmosphère (je ne me souviens plus quand), mais exactement j'ai senti et j'ai vu sa figure.
(…)
Pauvre P.L.!
Il ne t'a rien dit qui te faisait penser qu'il a l'esprit de sacrifice ? Il n'en a pas l'air, mais...
Non, je n'ai pas eu cette impression.
Moi non plus.
Tu sais ce que frère A2 avait dit : «Je veux être le messager pour leur prêcher la Vérité, et s'ils me torturent pour cela, eh bien, ils me tortureront.»
2. Un moine catholique qui séjourne à l'Ashram.
Mais P.L. n'a pas cet esprit-là. Mais il veut rendre service.
P.L. pourrait être très-très utile s'il voulait – très utile. Mais il y a un petit quelque chose qui résiste, je ne sais quoi – peut-être comme un petit manque de courage quelque part, je ne sais pas quoi... Il est tout de suite tourmenté quand il est en face de la difficulté.
C'est cela qui m'ennuie. Parce que j'ai mis sur lui assez de force pour que, en tout cas, il se tire d'affaire, mais s'il se met à vibrer intérieurement, ça ne peut plus marcher.
Je lui ai dit cela. Je lui ai dit : «Tout dépend de votre tranquillité. Si vous avez confiance, rien ne peut vous arriver.»
Ah ! bon, alors peut-être... Mais il me fait travailler dur ! (Mère rit)
On verra.
🌸
Agenda du 26 juin 1968
Tu as des nouvelles de P.L.?
Je m'inquiétais un peu de lui justement ce matin. J'ai l'impression qu'il est... engouffré dans un trou. Je n'aimais pas cela.
🌸
Agenda du 29 juin 1968
Tu n'as pas reçu de nouvelles de P.L. ?
J'ai reçu une lettre de bonne arrivée où il disait qu'il était convoqué le jour même, d'urgence, au Vatican, à dix heures le matin.
Il n'a rien dit.
Il n'y a pas eu de lettre depuis.
Oui, c'est-à-dire qu'il n'a pas dit le résultat, il n'en a pas parlé.
Et comme par hasard, le jour de son arrivée, le Monseigneur R partait en Espagne. Il ne l'a pas rencontré.
Je ne crois pas au hasard.
🌸
Agenda du 6 juillet 1968
J'ai des nouvelles de P.L.
Ah !
C'est toute une série de choses. Il y a d'abord un mot de J qui a reçu une lettre de P.L., et elle me dit ceci : «P.L. va très bien. Monseigneur R lui a dit "avoir découvert un autre monde à travers votre livre2... Il est entré en contact avec Mère. Il a fait voir à P.L. l'importance de rester encore dans ce milieu s'ils veulent le transformer…
2.«Sri Aurobindo ou l'Aventure de la Conscience».
(Mère ouvre de grands yeux)
Ah !...
«...P.L. se sent guidé totalement par Mère, il s'isole dès son travail terminé pour étudier et méditer "La Vie Divine"...» Puis une autre chose : P.L. a envoyé la lettre que Mgr R lui avait laissée à son arrivée à Rome ; dans cette lettre, ce Monseigneur lui disait notamment : «Je tiens aussi à t'informer que j'ai révélé – sous le secret – à Son Eminence [le cardinal de France] que tu étais dans un Ashram en Inde. Sa réaction a été excellente et il t'approuve totalement.»
Bah !
Et enfin, une lettre de P.L., qui raconte l'histoire : «Je me suis retenu un peu pour vous écrire et vous informer de ma nouvelle situation qui, à chaque instant, pouvait se précipiter. Une double politique a été suivie par le Vatican à mon retour : des menaces d'une part, et de l'autre, des promotions et offres de belles situations. J'étais absent de Rome depuis le 9 décembre : quelle étrange maladie pouvait bien durer si longtemps? On parlait de me soumettre à une expertise de trois médecins, exigeant les noms des cliniques visitées3, etc.
3. P.L. avait invoqué quelque maladie «psychologique».
J'ai consulté Son Éminence et Mgr R ; être éjecté par l'application du règlement ne convenait à personne : ni à ma famille, ni au Cardinal même. Donc, la solution était de prendre ma nouvelle place en assurant que je suis complètement rétabli : ainsi les enquêtes s'arrêtaient ; je n'étais plus sous procès, le dossier archivé. Certes, la curiosité, les soupçons ne se sont pas amortis, mais ma vie est rentrée dans la routine et dans quelque temps, tous vont oublier. Je verrai le Pape le mois prochain et il est possible que je l'accompagne dans son voyage en Colombie à la fin août:je vous tiendrai au courant. Il existe toujours la difficulté de sa santé qui peut empêcher le voyage...
Tout ce que je viens de vous dire m'est très "extérieur" et j'y participe très peu : je préfère plutôt vous entretenir de ma conscience : elle n'a pas changé : elle est restée branchée à l'influence de Douce Mère ; je sens sa protection ; tout est facile car elle est avec moi ; elle me donne la réponse adéquate. Comme un mantra, je répète : "Oh! Douce Mère, avec ton aide qu'y a-t-il d'impossible ?" Plus encore, la joie qu'elle a mis dans mon cœur reste inébranlable. Ma pensée s'envole pleine de reconnaissance vers elle.
Mgr R a dit à Son Éminence que j'étais à l'Ashram : le Cardinal est ravi. R a fini votre livre : il a prêché dans sa Messe les idées d'Aurobindo : il m'a dit qu'il est entré en contact avec Mère : il va lui écrire et plus tard lui rendre visite : il a accepté le message d'Aurobindo comme solution du monde. Je dois encore vous dire ma joie que le télégramme m'a fait : à Mère toute ma gratitude.»
(Mère entre dans une longue contemplation)
C'est bien... C'est bien.
C'est tout à fait vrai que je suis avec lui. C'est tout à fait vrai. Et tu te souviens, je t'avais dit cette expérience, cette chose très forte que j'avais sentie : comme une grande chose qui commençait, un Commencement4... Ça paraît être vrai.
4. Une page de l'histoire du monde est tournée, la conversion de toute la Chrétienté à la Vérité nouvelle (Agenda du 3 avril 1968).
Ça va être un grand pas pour le monde – pour le monde tout entier.
Tout à fait bien.
Je crois sentir qu'il voudrait une confirmation de toi qu'il doit rester là pour faire le travail.
Oh ! oui, c'est bien comme cela, il faut qu'il reste faire son travail. Il faut qu'il reste. Et quand je dis «c'est très bien», cela veut dire que TOUT est très bien. Il est tout à fait à la hauteur de la situation. C'est très bien.
C'est la petite personnalité qui abdique son bien-être propre pour le travail général, et ça, c'est très bien, ça vous fait avancer très vite.
C'est très bien. De toutes façons, c'est très bien.
La réponse (de P.L.) est très supérieure à ce que j'attendais.
J'ai tout à fait l'impression de ces moments merveilleux de la Grâce divine... on n'a plus envie que de se taire et adorer, c'est tout.5
5. Quelques jours après, P.L. envoyait un télégramme à Mère demandant sa protection car il avait reçu «l'ordre supérieur» de se soumettre à une expertise médicale «collégiale» présidée par le médecin du pape. Il semble donc qu'il y ait eu un renversement de situation. Mère a répondu ceci : «La meilleure protection est une foi inébranlable en la Grâce divine.»
🌸
Agenda du 17 juillet 1968
J'ai des nouvelles de P.L. et de Mgr R.... Mais cela ne va pas te fatiguer ?
Non-non ! cela ne me fatigue pas.
Il y a une lettre de Mgr R adressée à toi. C'était envoyé par l'entremise de J. Voici ce qu'il écrit à J :
«D'abord, je tiens à vous remercier – à nouveau – pour le livre de Satprem sur Sri Aurobindo. J'en ai terminé la lecture. Ce livre a et aura sur ma vie une influence considérable. En second lieu, je vous remercie de l'aide que vous avez apportée à mon cher P.L. Il est revenu transformé, purifié, illuminé. Enfin, puis-je vous demander de remettre à Mère la lettre ci-jointe...»
Qu'est-ce qu'il dit ?
«Mère, c'est bien sans la moindre réserve que je vous donne ce nom de Mère, à vous qui avez rendu la vie à celui qui est mon fils de prédilection... Son séjour à l'Ashram a marqué une étape essentielle. C'est dans son être intime un bouleversement radical... Puis-je ajouter que je ressens moi-même votre puissante et bienfaisante protection ? J'ai l'impression d'être compris de vous, et je me sens l'héritier – avec vos nombreux fils, filles et disciples – des trésors spirituels accumulés chaque jour par votre fidélité à la mission qui vous est confiée. Avec ma profonde et vive gratitude, je vous prie d'agréer, Mère, l'hommage de ma respectueuse et filiale piété.»
Tu n'as pas la photo de cet homme ?... Non ? Et P.L., qu'est-ce qu'il dit ?
Ça ne te fatigue pas ? Je lis ?...
Il répond à ma dernière lettre où je lui avais dit ton message :
«J'ai les larmes aux yeux : une commotion de joie immense a percé tout mon être à la lecture de votre lettre, des paroles de Douce Mère, que vous me répétez... Je ne trouve pas les paroles pour vous décrire mon état psychologique : devinez-le. Je me sens si petit, insignifiant devant les horizons que vous me laissez entrevoir. Tout cela m'encourage au travail sérieux, à "l'abdication de la petite personnalité" pour être digne d'elle. Ces sentiments dans mon âme sont très différents de toutes mes expériences religieuses antérieures...
(Mère approuve de la tête)
«... je me sens tout lumineux, la Grâce Divine est si puissante que, parfois, je crois que mon corps est incapable de la contenir ; la Présence de Mère est si réelle ; la félicité est si sereine, si tranquille... la petite Aventure commencée au Samâdhi devient si digne d'être vécue, la Conscience s'est tellement élargie... l'obscurité, la peur, les scrupules, les macérations sont si loin ! Il y a quelques semaines, j'ai eu un rêve très pénible : mon corps écartelé, j'avais des souffrances atroces ; on me tirait les pieds, les mains, la tête... Aujourd'hui, en lisant votre lettre, j'ai compris le sens : il fallait grandir...
Deux mots seulement pour vous informer de ma situation. Comme je vous l'ai dit, j'ai trouvé au Vatican deux courants, le premier très déchaîné contre moi ; on croyait que la prise de possession de ma nouvelle place allait les calmer... mais ils sont arrivés quelques jours plus tard à exiger l'examen collégial (un neurologue qui avait, je crois, l'ordre de me déclarer "malade"; un endocrinologue et un expert en médecine générale, et le Dr. du Pape), d'où le cri de l'enfant qui court à sa mère : mon télégramme demandant la protection de Douce Mère.
J'avais eu un rêve le dimanche 7 : Mère est venue dans une espèce d'énorme hangar où je me trouvais par terre et me disait : "Vite-vite, pars, laisse-moi ta place", je me suis volatilisé (sans mon corps qui restait toujours par terre) : c'était mon âme qui partait et – de très haut, très haut –, j'ai vu que Douce Mère prenait, entrait dans mon corps, qui ne bougeait pas : tout à coup une armée de médecins en robe blanche se dirigent vers mon corps (Mère était toujours cachée dans mon corps) ; à peine ont-ils entouré le corps et ont commencé à voir, une terrible explosion les a fait sauter en l'air...
(Mère rit)
«...Je me suis réveillé au bruit de la détonation...
Vous avez reçu mon télégramme: "Diagnostic parfait." Ainsi, le groupe qui voulait m'éliminer du Vatican, chaque jour perd des forces, des armes, et ses intrigues sont neutralisées ; l'autre groupe, par contre, qui m'est favorable, voit avec plaisir ma transformation et, avec prudence, je commence à lui donner le message d'Aurobindo. Je vous ai dit que Monseigneur R est enthousiaste. Maintenant, sachant que Mère a répondu : "Oh! oui, c'est bien comme cela, il faut qu'il reste faire son travail. Il faut qu'il reste... C'est tout à fait vrai que je suis avec lui", je suis très tranquille, plein de désir d'être l'"instrument de ce grand travail divin".»
C'est bien. Il est bien, cet homme-là.
(Mère reste à contempler)
(…)
Dis à P.L. que j'apprécie beaucoup et que je suis avec lui. Je trouve que c'est très bien. L'autre...? (Mgr R)
En principe, c'est J qui devrait lui transmettre ta réponse.
(Mère entre dans une longue contemplation)
J'ai toujours la même impression... Tu sais, le début de quelque chose de très important.
🌸
Agenda du 24 juillet 1968
J'ai juste une petite question au sujet de P.L. Il écrit pour dire que dans vingt jours, ce sont ses vacances au Vatican et il demande s'il peut venir.
Je n'ai pas d'objections, s'il pense que cela n'a pas d'inconvénients là-bas.
Il dit aussi qu'il est probable que Mgr R viendra ici. Pour le moment, il a été appelé au Canada, mais il espère bien qu'au mois d'août, il pourra venir «prendre les bénédictions de Mère».
C'est bien. Ça m'intéressera de voir cet homme.1
1. Cet homme n'est jamais venu ; chaque fois qu'il a essayé, il est tombé gravement malade...
Il dit : «Les lectures actuelles de Mgr R sont les "Bulletins". Je lui ai dit que nous pouvons changer la face de l'Église et la remplir d'un contenu plus vrai, plus actuel, avec les idées de Sri Aurobindo. Il est convaincu...»
(Mère rit, amusée) C'est très bien!
🌸
Agenda du 5 octobre 1968
Il y a V qui a eu une autre vision. Il est allé au Vatican.
Au Vatican !... Dans son sommeil ?
Il ne dormait pas : il entendait le bruit du générateur électrique (de l'Ashram). C'était une vision à 5h30 du matin. Il s'est trouvé dans un immense hall avec des tapis rouges. Il y avait toutes sortes de gens là, et chacun se mouvait suivant son ordre. Et puis, dans un coin, assis dans un grand fauteuil, il y avait un homme coiffé d'un chapeau rouge, une sorte de mitre1, qui était en concentration.
1. V (un Indien) n'a jamais vu de mitre de sa vie et il ne sait pas ce que c'est, mais sa description correspondait exactement.
Il était concentré et il répétait quelque chose en faisant un certain geste de la main, comme s'il tournait quelque chose. Tout de suite, V a su que c'était lui. Un homme aux yeux bleus intenses, avec de longs cils, pas fort physiquement, mais d'aspect très puissant, un nez mince, pointu, une barbe clairsemée comme quelqu'un qui est mal rasé ou pas rasé depuis deux ou trois jours, environ 55 ans. Un homme qui donnait l'impression d'une grande ambition égoïste, dit V. Et il guettait P.L., et particulièrement ton symbole que P.L. porte autour du cou. Et il répétait quelque chose en faisant tourner le poignet de sa main.
Ah ! c'est cela ! c'est pour cela : P.L. est retourné là-bas. C'est depuis qu'il est retourné là-bas que les attaques sont revenues.
Oui, P.L., c'est le lien.
(après un silence)
Oui, c'est revenu.
Quelquefois, en l'espace de quelques secondes, ça vous tombe dessus à croire que l'on va devenir fou. Cette nuit, c'était terrible. Et toi, ça va mieux ?
Oui, c'est tout à fait parti, aussi subitement.
Quand tu m'avais dit cela la dernière fois, j'avais pris la chose... (geste d'arracher un invisible point noir dans l'atmosphère du disciple).
Je ne peux pas parler ; dès que je parle, je tousse. Mais si tu veux, on peut rester tranquille.
(méditation)
🌸
Agenda du 2 novembre 1968
Tu n'as rien ?
J'avais reçu une lettre de P.L. Mais ce n'est pas complet.
Qu'est-ce que tu veux dire ?
Je lui avais écrit une lettre en lui disant la vision de V, avec la description de ce personnage qui fait de la magie au Vatican, et je lui avais dit : «Regardez silencieusement si vous voyez que cela correspond à quelqu'un.» Il m'a dit : «Oui ! je sais qui c'est.»
Ah ! il a dit oui.
Oui, P.L. a dit : «Je sais qui c'est et je vais vous envoyer la photo.» J'attends la photo... Voici ce qu'il écrit : «La vision de V vient me démontrer l'exactitude du personnage décrit : il s'agit de Mgr Z., archevêque au sein du Secrétariat d'État du Saint Siège, ami intime du Saint Père et son collaborateur privé...
Oh!
«Je cherche la photo pour vous l'envoyer...
Oh ! mais c'est un homme dangereux.
Et il dit : «Cette vision m'arrive le jour même où l'on m'annonce que le Saint Père a donné instructions à ses collaborateurs les plus proches pour la formation d'un programme d'action qui puisse secouer la léthargie des millions de catholiques endormis dans la routine d'une pratique religieuse inconsciente.1 Voilà les noms les plus importants de ce comité : X, le cardinal d'Italie ; Y, le cardinal de France ; Z, le factotum du Pape, puis Mgr Z.…
1. C'est le commencement des grandes réformes de l'Église.
Celui-là.
«Et puis moi !... Ces réunions se feront "sub secreto specialissimo", formule qui correspond au "top-secret".»
Oh ! il va y être.
Oui, il va y être, c'est cela qui est extraordinaire !
C'est intéressant.
C'est tout à fait extraordinaire. Et il y a ce Mgr Z qui en sera. Après, la lettre continue :
«Peut-être vous rappelez-vous que l'on m'a annoncé une promotion au Vatican ; cette promotion faite pendant que j'étais à Pondichéry, a suscité les plus basses intrigues au point d'arrêter le titre et, paradoxe : on m'a confié les fonctions sans le titre... Ils ont décidé de me mettre à l'épreuve, et ceci pour une période d'au moins quatre ans... La lutte pour le pouvoir dans mon milieu est effrayante. Mais moi, je vois tout cela de si loin ! J'ai la sensation qu'il s'agit d'une autre personne, pas de moi, et cela met en embarras mon entourage, car je ne réagis pas à l'injustice (mais quelle injustice ! – s'ils savaient comme ce petit monde m'indiffère). Voilà le triste panorama.
Et vous vous rendez compte maintenant pourquoi la paix, la douceur du Samâdhi m'est si chère et intime de mon âme. Parfois, je me sens comme une feuille que le vent emporte ici et là, et tout mon effort s'ancre dans la lumière que Douce Mère a mise dans ma psyché. Vers elle, ma tendresse s'élève dès le premier moment de la journée, et alors je vois que ce que je fais n'a pas d'importance, mais la FAÇON est importante...»
(long silence)
Combien dit-il qu'il y a de catholiques?
Cinq cents millions, je crois.
!!! C'est la moitié de la population de la terre ?
Pas tout à fait, je crois, mais...
(Mère reste longtemps en méditation)
Tout de même, c'est une victoire que tu aies un homme dans ce gang.
Oui.
J'étais en train de regarder : qu'est-ce que l'on peut faire ? (Mère hoche la tête) Adopter son programme [du pape] ? Éveiller ces...?
Cinq cents millions.
Je ne vois pas ce que l'on peut faire.
À moins qu'ils ne construisent une chose mensongère, et alors ça n'aura pas de force...
La «réincarnation du Christ»? (Mère hoche la tête négativement)
Pour trouver quelque chose, il faudrait qu'ils s'écartent un peu de la tradition – ils ne peuvent pas.
(silence)
Il faudrait s'appuyer sur cette manifestation des forces supramentales... Seulement il n'est pas question de quoi que ce soit de ce genre dans la religion, n'est-ce pas. S'il avait été question d'une Force ou d'une Lumière ou d'un changement dans l'atmosphère annonçant la réincarnation du Christ, ils auraient pu marcher dans ce sens, mais il n'y a rien comme cela.2
2. Notons bien que cela ne dérange en rien Mère que l'on parle d'une «réincarnation du Christ» plutôt que d'une réincarnation de Sri Aurobindo – pourvu que les hommes aillent de l'avant.
Il y a des Écritures très vagues qui le disent. Mais c'est considéré comme de l'ésotérisme farfelu.
(silence)
Je ne sais pas si j'ai eu raison, mais j'ai quand même conseillé à P.L. de ne pas distribuer Sri Aurobindo comme cela et de rester tranquille.
Ça ne servirait à rien.
Ça servirait seulement à le mettre à l'index.
Oui.
(Mère reste en méditation)
C'est encore une période de transition.
(long silence)
On se demande ce qu'il faudra pour secouer tout cela?
(Mère entre à nouveau en méditation, puis tout d'un coup a un sursaut)
Il y avait dans ma main un vase contenant des «amour divin» (fleur de grenadier), et je voulais te le passer, et quand c'est arrivé au-dessus de mes genoux... Tu as vu ce mouvement ?
Oui.
C'est le vase qui est tombé sur mes genoux. Il n'est pas tombé par terre, il est tombé ici...
Qu'est-ce que ça veut dire ?
(long silence)
Je ne sais pas ce que ça veut dire.
En tout cas, j'ai le clair sentiment que l'on ne peut rien faire. Que l'on peut être témoin, mais aucune manifestation active. On ne peut rien faire.
C'est la même chose pour Sri Aurobindo en France. Je t'ai dit que j'avais envoyé la traduction du «Cycle Humain» ; l'éditeur a fini par me répondre que c'était bon pour les «maisons spécialisées dans ce genre de choses.» Un deuxième éditeur m'a dit la même chose. Alors j'attends la réponse d'un troisième…3
3. C'est seulement en 1973 et 1974 que les portes de la France s'ouvriront brusquement.
Oui, c'est cela. C'est cela exactement.
(silence)
On a le sentiment que ça bouge, mais c'est encore une action subconsciente. Toute action consciente extérieure ne ferait que du gâchis.
Rien à faire.
(silence)
Le Pouvoir va croissant-croissant-croissant, mais il ne veut pas, il ne veut aucune manifestation précise, extérieure – rien. Comme cela : cette action dans le silence.
🌸
Agenda du 25 décembre 1968
Enfin il y a une lettre de P.L. : «...Mon séjour en Espagne s'est prolongé plus que je ne supposais... Dites à Douce Mère que je continue ma lutte et mon effort, qu'elle me suit partout et que sa protection est mon soutien.
Je vais vous entretenir de mon expérience. Je suis allé passer un week-end au bord de la mer où j'ai un appartement très petit et très joli... Là, je médite et repasse tous les enseignements de Mère en me plongeant dans la lecture de "La Vie Divine" et des "Entretiens". J'ai mis à brûler un bâton d'encens.
Soudain, j'ai eu une sueur très copieuse dans tout le corps et une lutte atroce a commencé. Si je pouvais parler en termes religieux avant mes expériences ashramites, je dirais que toutes les tentations de St Antoine sont tombées sur moi pour me détruire, pour m'abattre spirituellement.
D'abord, un désarroi, une détresse très profonde, d'impuissance : à quoi sert ma vie ? Qu'est-ce que je fais? Pourquoi je vis ? Mes efforts tous inutiles... Après, c'était l'attraction de la femme, qui venait ridiculiser ma continence... Tout était mis en cause : les pourquoi et pourquoi faisaient éclater ma tête. Après, ce fut l'invasion du pouvoir : pourquoi as-tu renoncé à être évêque ? La gloire serait venue avec... Ensuite le désir de l'argent... Tout, dans un tour macabre et attirant à la fois. Enfin la solitude totale... abandonné par tous ; tous étant partis : mes amis, les appuis au Vatican, ma famille, vous, tous.
Combien de temps s'est-il passé ? Je ne le sais pas. Je crois cependant avoir entendu une toute petite voix... (mais j'étais si faible que je suis incapable de dire si c'était vrai), qui me disait : "Ne pleure pas, je suis avec toi. Si je suis avec toi, les autres sont de trop, et si tu es sans moi, les autres ne pourront pas t'aider..." Je suis resté dans le vide... Toute la nuit s'est écoulée... le matin, le soleil : tout était si beau ! En rentrant à la maison de Rome, on me disait que j'étais transformé ! Voilà.»
Ça, je lui ai dit [«je suis avec toi»].
Ils sont très forts occultement, ces gens.
J'ai senti pendant au moins deux jours de suite qu'il était dans une grande difficulté.
Je pensais que c'étaient «les autres» qui lui faisaient des difficultés...
Je ne lui ai pas dit avec ces mots-là [«Je suis avec toi»] parce que je ne dis jamais «je suis», mais la conscience était comme cela : «Le Seigneur est avec toi.» Seulement, je ne peux pas le dire en mots parce que, pour eux, dès qu'il s'agit de «Dieu», toute leur religion revient. C'était le FAIT de conscience que je mettais sur lui. Mais tu peux lui dire que c'était exactement ce que je voulais lui dire. Ça s'est traduit comme cela en lui parce que, en lui, je représente... l'autre côté de la vie.
C'est bien, c'est exactement ce que je voulais lui faire sentir.
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En conclusion :
En tant que disciples de Sri Aurobindo-Mère, nous savons leurs critiques envers les religions ; mais ça c'est très bien sur le plan individuel, quand on a une aspiration spirituelle, une vie intérieure, que l'on cherche le Divin hors de tous les carcans idéologiques et théologiques.
Mais sur le plan général, collectif, ces Agendas démontrent que la Mère s'est beaucoup occupée de la religion catholique. Si cette religion, au lieu de rester enfermée dans ses dogmes poussiéreux, s'ouvrait à l'idée d'une ÉVOLUTION SPIRITUELLE DE L'HUMANITÉ, [mon dieu... ce n'est pourtant pas si difficile à comprendre]... ce serait tout d'un coup, des centaines de millions de personnes qui pourraient être touchées... et participer plus consciemment à ce travail d'émancipation de l'humanité, par l'évolution de la conscience...
Alors on comprends aisément pourquoi Mère a répété à plusieurs reprises sont sentiment d'être en face d'un Commencement très important, très important pour toute la terre disait-elle.
À suivre avec l'année 1969...