Mourir à la mort
Parmi les expériences innombrables que Mère pu avoir autour de la mort, il en quelques-unes qui peuvent se résumer autour de ce qu'elle a appelé "mourir à la mort". L'expression revient trois fois dans l'Agenda, et c'est ce que nous allons voir maintenant. Je partage le texte en intégralité, même si tout n'est pas directement lié à notre sujet, car Mère dit des choses d'une extrême importance, si on prend le temps de lire bien attentivement... et chacune mériterait d'être méditée, si nous n'étions pas si pressé ou si encombré par toutes sortes d'occupations plus ou moins utiles...
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Agenda du 4 juillet 1962
L'autre jour, Pavitra m'a dit en passant : «Mais la science moderne ne nous suivrait pas et ne nous croirait pas», et la raison qu'il donne, c'est qu'il ne faut faire que des «hypothèses indispensables» et que nos hypothèses (ils prennent notre science pour des hypothèses parce qu'ils n'ont pas d'expérience), «vos hypothèses ne sont pas indispensables.» Je n'ai pas discuté, sinon je lui aurais dit : «Nous ne faisons pas d'hypothèses, le moins du monde; simplement nous... we state our expériences» [nous énonçons nos expériences]. Ils sont libres de ne pas nous croire, de croire que nous sommes à moitié fous ou des hallucinés – c'est leur affaire, ça les regarde –, mais nous ne faisons pas d'hypothèses, nous parlons de choses que nous savons et dont nous avons l'expérience.
Mais après cela, j'ai eu pendant quelques heures la vision de cet état d'esprit, et j'ai trouvé qu'il n'y avait pas du tout besoin de faire des hypothèses (parce que Pavitra parlait de l'«hypothèse» des différents états d'être), et c'est justement ce que je t'ai dit, que j'avais dépassé ce stade : je n'ai plus besoin des dimensions intérieures [Voir conversation du 24 mai 1962.]. Et j'ai vu (n'est-ce pas, je voyais cet état d'esprit matérialiste), je disais : «Ils sont obligés, justement par leurs expériences, d'admettre l'unité – en tout cas l'unité de substance –, et d'admettre l'unité suffit pour avoir la clef de tout le problème! »
Ça m'a de nouveau fait voir que peut-être, au fond, cette dernière expérience [du 13 avril] était pour me libérer de TOUTES les connaissances passées, et que... la Vérité peut être vécue sans avoir besoin de tout ça. Je n'ai pas besoin de toute cette terminologie, ni de celle de Sri Aurobindo, ni naturellement des autres ; je n'ai pas besoin de toutes ces classifications, je n'ai pas besoin de toutes ces expériences – j'ai besoin d'UNE expérience, celle que j'ai. Et que j'ai en toutes choses et en toutes circonstances : l'expérience de l'Unité éternelle, infinie, absolue, qui se manifeste dans le fini, le relatif et le temporel. Et ce processus de changement, à la recherche duquel je suis, de plus en plus ne me paraît pas être un problème ; après avoir paru être le dernier problème, ça ne me paraît pas un problème, parce que... mais ça, alors, ça ne peut pas se dire... – il Lui plaît d'être ainsi, Il est ainsi.
Et simplement, le secret est d'être dans le «il Lui plaît.»
De ne pas être seulement ce qui est objectivé, d'être aussi dans Ce qui objective.
C'est tout. Avec ça, je n'ai besoin d'aucune autre théorie.
(silence)
Et si c'est poussé à l'extrême, si l'identification est parfaite, c'est nécessairement la toute-puissance.
Au fond, ce n'est que la toute-puissance qui pourrait convertir le monde, convaincre le monde. Le monde n'est pas prêt pour l'expérience de l'Amour suprême – l'Amour suprême supprime tout problème, même le problème de la création : il n'y a plus de problèmes, je le sais depuis cette expérience [du 13 avril]. Mais le monde n'est pas prêt. Il lui faudra peut-être quelques milliers d'années pour être prêt. Mais le monde commence à être prêt pour la manifestation du Pouvoir suprême (ce qui semble indiquer que c'est ça qui se manifestera d'abord). Et le Pouvoir suprême viendrait d'une identification constante.
C'est cette constance qui n'est pas là définitivement – on est et puis on n'est plus, on est et puis on n'est plus. C'est ça qui retarde indéfiniment. C'est-à-dire qu'on fait justement ce que l'on dit aux gens de ne pas faire ! on a un pied ici et puis un pied là – ça ne va pas.
(silence)
Il doit y avoir des lois – des lois qui doivent être l'expression d'une Sagesse qui nous dépasse –, parce que ça a l'air de suivre une sorte de courbe, que je ne comprends pas parce que je suis dans la courbe ; c'est seulement quand c'est fini qu'on comprend la chose, quand on est au bout, mais je suis en plein milieu, peut-être au tout commencement...
(long silence)
On pourrait dire des choses assez jolies, mais qui n'expliquent rien, comme par exemple ceci, cette impression qu'il est nécessaire de mourir à la mort pour naître à l'immortalité.
Ça ne veut rien dire, mais ça correspond à quelque chose.
Mourir à la mort, c'est-à-dire devenir incapable de mourir parce que la mort n'a plus de réalité.
Ça, c'est quelque chose qui commence à – je ne peux pas dire «cristalliser» c'est beaucoup trop dur... c'est comme un souffle léger qui se concrétise.
(silence)
N'est-ce pas, il y a N.S qui est parti. C'est le résultat d'un accident (son cœur était en mauvais état et ça le préoccupait), enfin il est tombé ; probablement il s'est évanoui et, tombé évanoui, il s'est cassé la tête. Et il a eu une hémorragie cérébrale qui l'a rendu «inconscient» (tout cela, c'est la science moderne qui parle !). Au moment de l'accident, il est venu me trouver (pas dans une forme précise, mais un état de conscience que j'ai reconnu immédiatement). Et il est resté là, dans une confiance totale et une paix béatifique, SANS BOUGER – sans bouger dans aucun état d'être, n'est-ce pas, comme cela, absolument... (geste d'abandon), une confiance totale-totale : ce qui arrivera, arrivera, ce qui est, est ; sans discussion, sans même besoin de savoir. Et puis, une paix confortable, a great ease [une grande aise].
Ils ont essayé, lutté, fait des opérations, etc. – pas bougé, rien ne bougeait. Et puis, un jour, ils ont déclaré qu'il était mort (entre parenthèse, il paraît que, médicalement, quand le corps est mort, pendant quelques secondes le cœur continue des petites pulsations, et puis ça s'arrête et c'est fini). Pour lui, ces petites pulsations (qui ne suffisent pas à envoyer le sang) ont continué pendant une demi-heure. C'est-à-dire que c'est le genre de pulsations que l'on a quand on est en état de transe (ils semblent être d'une ignorance crasse, tous ! mais enfin, ça ne fait rien) et ils ont dit oooh ! même les docteurs ont dit «Ooh ! c'est un grand yogi parce que c'est seulement aux yogis que ça arrive.»...
Qu'est-ce qu'ils veulent dire ? je n'en sais rien ; moi, je sais que ces pulsations-là, qui ne suffisent pas à envoyer le sang dans le corps (ce qui fait que le corps est en état cataleptique) suffisent à garder la vie, et que c'est comme cela que tous les yogis peuvent rester des mois en transe. Mais enfin, je ne sais pas quel genre de docteurs c'est (probablement très modernes), mais c'est quelque chose qu'ils ne connaissent pas. Enfin, pour lui, ça a duré une demi-heure à leur connaissance (généralement c'est l'affaire de quelques secondes). Bon.
Et alors leurs remarques. Pendant tout ce temps-là, il était là, immuable. Tout d'un coup, j'ai senti une sorte de tremblement, j'ai regardé – il n'était plus là. J'étais occupée, je n'ai pas regardé l'heure, mais c'était dans l'après-midi, c'est tout ce que je sais. Puis on est venu me dire qu'on avait décidé de le brûler – et qu'on l'avait brûlé à ce moment-là.
Cet homme avait été extériorisé violemment par la brutalité de l'accident ; il devait être à ce moment-là en train de penser à moi, avec cet état de confiance. Il est venu, il n'a pas bougé – il n'a jamais su ce qui arrivait à son corps! Il n'a pas su qu'il était mort ! et si... Tout d'un coup, je me suis dit : «Cette habitude de brûler les gens est une chose d'une brutalité effroyable !» (on leur met le feu dans la bouche pour commencer). Il ne savait pas qu'il était mort et c'est comme cela qu'il a appris qu'il était mort ! par la réaction de la vie de la forme dans le corps.
Parce que la vie de la forme dans le corps, même quand le corps est tout à fait en mauvais état, ça prend au moins sept jours pour sortir – la vie de la forme prend sept jours. Et pour quelqu'un qui a fait des exercices yoguiques, cette vie est consciente.
Alors vous brûlez les gens quelques heures après que les docteurs ont déclaré qu'ils sont morts, et la vie de la forme est tout à fait vivante et, chez les gens qui ont fait du yoga, consciente. Voilà. Ça m'a un petit peu...
Tandis que dans l'état où il était, ça ne faisait aucune différence pour lui, être mort ou vivant – c'est ça qui était intéressant ! Il était dans un même état, béatifique, confiant, paisible, et tout doucement je l'aurais probablement mené au monde psychique, ou ailleurs, suivant l'indication reçue de ce qu'il devait faire. Il n'aurait jamais su qu'il était mort.1
Ça m'a ouvert une porte.2
Et c'est parce qu'on l'a brûlé que, tout d'un coup (Mère a comme un violent tremblement), il a été mis violemment en contact avec la destruction de la forme du corps.3 Ce doit être la vie de la forme qui se précipitait : projetée hors du corps de la façon la plus violente, elle a dû se précipiter sur lui ! Et alors naturellement…
1. Plus tard, Mère a ajouté ce commentaire : «C'est une expérience intéressante. Il aurait pu être psychiquement (psychiquement, n'est-ce pas, on est immortel), il aurait pu être sans savoir qu'il était mort... si on ne l'avait pas brûlé.»
2. Rappelons la conversation du 12 juin : «Je ne sais pas si je vis ou si je suis morte... Un genre de vibration de vie qui est tout à fait indépendant... Je ne peux pas dire «je vis», c'est tout autre chose.»
3. «Je veux parler d'une forme subtile, a précisé Mère, c'est la forme subtile du corps.»
(silence)
Tout d'un coup, je me suis dit : «Mais il continuait à être, à vivre, à avoir l'expérience, absolument indépendant de son corps, n'ayant aucun besoin du corps pour avoir son expérience.» Et avec ma protection et ma connaissance, j'aurais pu, ou le mettre dans un lieu de repos, ou alors le mettre en rapport avec un autre corps si c'était nécessaire, et puis c'était fini. Maintenant, naturellement, ça a fait un désordre et il faut attendre que tout ça soit calmé.4
4. Une semaine plus tard, Mère a ajouté : «Ça s'est arrangé : il est allé pour un temps (je pense que c'est seulement pour un temps) au domaine psychique pour se concentrer.»
Mais on peut mourir sans savoir qu'on est mort.
Et garder sa pleine conscience – il était tout à fait conscient, béatifique.
Je trouve ça important, une expérience importante.
Je n'ai dit à personne ce qui est arrivé au moment où on l'a brûlé, parce que ces gens seraient tout à fait misérables et malheureux. J'ai dit seulement qu'il était venu à moi. Alors ne raconte cela à personne. Il ne faut pas qu'on le sache. Non pas que ce soit irrémédiable, mais enfin c'est une expérience qui n'est pas agréable.
Mais c'est venu à moi comme pour me mettre en contact avec cette possibilité.
(silence)
Dans la conscience ordinaire, ce qui gêne beaucoup pour l'expérience, c'est que nous sommes beaucoup trop attachés à la forme physique telle que nous la voyons, et qui nous paraît être une réalité définitive de l'être.
J'essaye de faire comprendre cela aux gens par une démonstration ; c'est-à-dire qu'il est très rare que j'apparaisse aux gens sous une forme même similaire à celle que... j'allais dire «j'ai eue», physiquement. C'est toujours suivant ce avec quoi ils sont en rapport, ce qui est le plus intime avec eux – toutes sortes de formes. Et j'essaye de leur faire comprendre que ça, c'est aussi vraiment ma forme que ça (Mère touche son corps). Et à dire vrai, c'est beaucoup plus vraiment ma forme que ça. Quant à la forme vraie – la vraie Forme –, il faut être capable d'entrer en relation avec le Suprême pour pouvoir supporter de la voir. Et alors quand on dit : «Je veux vous voir, je vous vois», c'est leur identification avec l'aspect de moi qu'ils connaissent. Mais toute cette cascade de formes sont toutes tout aussi vraies ; et la plupart d'entre elles plus vraies que n'a jamais été ça [le corps], qui était toujours, oh ! lamentablement approximatif – pour ma conscience : une caricature. Pas même une caricature : aucune ressemblance.
Ça avait ses qualités (décidément, je parle toujours au passé ! c'est spontané), ça avait ses qualités, et c'est pour cela qu'il a été fait comme ça et choisi. Au point de vue utilité, c'était très nécessaire, mais au point de vue manifestation!...
Mais peut-être que si ça avait été vraiment expressif, quelque chose de tout à fait parlant, il y aurait eu plus d'hésitations à... à le laisser aller.
Il n'y a jamais eu un très grand attachement à cette forme. Il n'y avait d'attachement (même en soi-disant pleine Ignorance), il n'y avait d'attachement que pour la conscience; ça, il y avait quelque chose qui tenait très fort à cette conscience, qui ne voulait pas qu'elle soit détruite, qui disait : «C'est une chose précieuse.» Mais le corps... Non, ce n'est même pas un très bon instrument, même pas.
Seulement : modeste, plastique, ne s'affirmant pas, mais se modelant sur toutes les nécessités. Capable de se modeler sur tous les points de vue et de réaliser tout idéal qu'il concevait mériter d'être réalisé – ça, cette souplesse-là, c'était sa vertu. Et une grande modestie, en ce sens qu'il n'avait jamais l'idée de vouloir s'imposer à rien ni à personne. Tout à fait conscient de son incapacité, mais... capable de tout faire et de tout réaliser. Cette structure-là, c'est celle qui a été faite consciemment au moment de la formation, parce que c'était ça qui était nécessaire... Et rien n'est trop grand, rien n'est écrasant, parce qu'il n'y a pas la résistance d'une petite personnalité qui se sent toute petite – ça n'a aucune importance, mais LA CONSCIENCE. La conscience vaste comme l'univers, et plus. Et avec la conscience, la capacité de s'adapter – s'adapter, se modeler sur toutes les nécessités.
Et encore maintenant, le seul sentiment que j'ai de cette forme, c'est qu'elle est trop fixe. Ces très grandes révélations intérieures, ces très grands mouvements de conscience créatrice, eh bien, c'est tout le temps hampered par ça [entravé]. Ça essaye, ça essaye de son mieux, mais c'est encore régi par des lois d'une fixité lamentable ! lamentable. Combien de temps il faudra pour surmonter ça ?
Il ne faut pas être pressé.
(silence)
Quel genre de conclusions peut-on tirer de l'expérience de N.S ? Pratiquement, ça ouvre la porte à quoi ?
Ça dépend des cas.
Là, je les ai laissés décider parce que je ne m'occupe pas de ces affaires, mais j'avais suggéré qu'on le garde jusqu'au lendemain, et pendant la nuit j'aurais fait quelque chose. Ils étaient pressés – ils sont toujours pressés...
Je ne dis même pas de ne pas brûler, parce qu'il y a AU MOINS quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent où c'est la meilleure chose à faire.
Il n'y a qu'une chose, c'est que les hommes deviennent sages, et ils ne sont pas sages. Ils acceptent une loi, un principe, et puis il faut qu'ils le suivent aveuglément, parce qu'ils n'ont pas de sagesse.
Mais si j'avais pris la responsabilité (je n'ai pas pris la responsabilité volontairement, pour d'autres raisons), j'aurais dit : «Gardez-le jusqu'à demain matin», et dans la nuit, j'aurais fait quelque chose. Mais ça, c'est un cas sur des millions, n'est-ce pas. On ne peut pas ériger ça en principe.
Non, je voulais dire : quelles conclusions pour toi, pour ton expérience, peut-on tirer de cette histoire ?
Ah ! moi, mon expérience ! Mais c'est qu'on peut mourir sans savoir qu'on est mort ! On peut mourir (ce que les hommes appellent «mourir») sans savoir qu'on est mort, par conséquent ça n'a pas une importance capitale.
Les hommes disent : «Il est inconscient»; ils considèrent qu'il est devenu inconscient parce que rien ne se manifestait dans le corps, et le corps était réduit à un minimum de conscience (il y en avait une puisque ça a réagi !), mais tout à fait un minimum, quelque chose sans grand pouvoir de réaction parce que ce n'était pas un yogi parfait, c'était seulement un apprenti yogi.
Par exemple, un homme qui aurait fait un hatha-yoga, ç'aurait été tout à fait différent pour lui, ç'aurait été beaucoup plus sérieux. Mais je veux dire que N.S était là, à côté de moi, tout à fait conscient, qui pouvait passer à un autre mode de manifestation sans même passer par les affres de la mort – ce n'est pas du tout indispensable ! C'est ça mon expérience, que je trouve très importante, très importante.
C'est la première fois que ça arrive d'ailleurs, parce que tous les gens (comme I, par exemple), qui ont été projetés hors de leur corps violemment, par un accident, au bout d'un certain temps ils redeviennent conscients : ça se rassemble. Tandis que là, sa conscience n'a jamais été dispersée, il n'a jamais perdu conscience.
Son heure était venue – ça, je l'ai su au moment de l'accident, j'ai su que c'était son heure, c'est-à-dire qu'il devait quitter son corps. Son heure était venue mais on a arrangé les circonstances («on», tu sais, je dis «on» simplement pour ne pas dire...), «on» a arrangé les circonstances pour que ça puisse apporter son maximum d'utilité. Ça m'a fait comprendre beaucoup de choses... Pratiquement, n'est-ce pas, il faut avoir beaucoup d'expériences pour apprendre.
Mais pour avoir ces expériences, c'est-à-dire pour tirer profit de ces expériences, il faut déjà être de l'autre côté. Parce que j'ai appris bien des choses jusqu'à ce moment-là [13 avril], mais je les apprenais comme ça, c'est-à-dire en étant de ce côté-ci de la barricade. Maintenant je suis de l'autre côté de la barricade. Au moins en grande partie, pas totalement.
Voilà.
Alors continue ton livre. La prochaine fois, tu me liras la suite.
Ça ne va pas vite !
Ça ne fait rien. Mais vite, qu'est-ce que c'est que vite ! Moi je trouve... tiens, depuis le 13 avril, je trouve que les hommes sont toujours pressés pour rien. Ils se dépêchent toujours comme s'ils devaient attraper un train ! Mais pourquoi ??... C'est une des grosses erreurs – grosses erreurs. Pourquoi se dépêcher ? Il y a une espèce de vibration intérieure ; ça correspond à quelque chose qui vibre tout le temps, qui gâte tout.
Tout ce qu'ils font, ils le font vite, comme s'il y avait quelque chose qui les poussait – ils mangent vite, ils se meuvent vite, ils dorment vite, ils font leur toilette vite, ils parlent vite. Mais pourquoi ? Pourquoi être si pressé ?
C'est une expérience constante ! Et je suis obligée de me retenir pour ne pas dire : «Mais pourquoi vous pressez-vous ?»
Dès qu'on s'arrête de se presser, on commence à être dans une vibration plus vraie.
À samedi. Continue. C'est très bien, beaucoup mieux que tu ne crois !
🌸
En résumé, le point focal de la découverte tout à fait extraordinaire de Mère, révolutionnaire, c'est qu'il est possible de passer à un autre mode de manifestation sans même passer par les affres de la mort – ce n'est pas du tout indispensable ! C'est ça mon expérience, que je trouve très importante, très importante.
Voyons maintenant un autre Agenda.
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Développement organisé, tenace et méthodique de la conscience.
Agenda du 11 juillet 1962
(Il est à nouveau question de la conversation du 4 juillet :
«Il faut mourir à la mort pour naître à l'Immortalité.»)
Tu ne peux pas t'imaginer, quand j'ai dit ça, je venais de voir ça quelque part – quelque part dans une lumière éblouissante –, ça avait un sens merveilleux. Et naturellement, quand je l'ai prononcé, je me suis demandé pourquoi c'était... Ce n'était plus ça. C'était absolument merveilleux, ça expliquait... Ce n'est pas que ça expliquait tout mais c'était une révélation. Il a dû y avoir un défaut de transcription. Après, quand tu es parti, c'est revenu. J'ai regardé et je me suis dit : «Pourquoi ai-je dit que c'était si merveilleux !» Et j'ai compris, c'était quand je l'ai vu : c'était vu. J'ai vu ces mots, c'était plus éblouissant que les plus éblouissants diamants, et c'était plein d'un pouvoir de connaissance merveilleux, comme si ça contenait la clef des choses – quand je l'ai dit, c'est devenu presque plat. En tout cas, en comparaison, c'est tout à fait plat.
Ça t'a fait quelque chose quand j'ai dit cela ?
J'ai senti qu'il y avait quelque chose là...
C'était une merveille ! C'était un éblouissement ! Et quand je n'ai plus eu que le souvenir de l'éblouissement (je l'ai encore), que je n'ai plus eu cette révélation, je me suis dit : «Qu'est-ce qu'il y avait dans ces mots ? Qu'est-ce qu'il y avait donc dans ces mots : mourir à la mort ?»... Ce mourir à la mort, c'était admirable, mon petit ! Mais ce que j'ai dit n'est rien.
Quand tu l'as dit, j'ai eu l'impression qu'il y avait un secret là-dedans.
Oui-oui ! C'était le POUVOIR de la chose.
Et c'étaient les mots – exacts mots –, mais ces mots... il y avait autre chose là-dedans. C'est peut-être la transcription ?... Mais c'étaient ces mots-là pourtant.
C'est très intéressant.
Et maintenant, quand on essaye de comprendre, on trouve bien quelque chose, mais ce n'est rien.
Dès qu'on traduit, dès qu'on dit les choses avec le mental, c'est drôle, ça s'aplatit. On a l'impression que tout s'aplatit.
Oui, c'est fini, aplati-aplati – vidé.
Oui, il y a quelque chose qui est perdu, qui n'est absolument plus là... Il faudrait avoir un autre moyen d'expression.
Le silence, peut-être.
Mais non... je ne sais pas, j'imagine des ondes colorées ?
Peut-être. Ah ! ça, ce jour-là [13 avril], toute la création était des ondes colorées, mais pas des couleurs comme nous en avons ici, c'était... Ah ! ce jour-là...
Pendant certainement plus de deux heures, c'était absolument... le monde, toute la création me donnait la même impression qu'un enfant qui joue, la relation était comme cela. Et alors quel jeu !
Mais c'était ça : c'était souriant, c'était facile. Mais c'était très joli. C'était très facile.
Ça ne s'est jamais effacé, c'est resté toujours là (geste derrière la tête). À n'importe quel moment, je peux de nouveau être plongée là-dedans. Mais ça alors, oui, c'est une différence au moins aussi grande que le «mourir à la mort» ; c'est le même genre de différence qu'entre reprendre conscience de ce qui parle, et puis ça. Et c'est la même chose, ce «mourir à la mort» contenait tout le pouvoir de ça.1 Et c'était clair et c'était – c'était foudroyant de puissance. Et aussi cette impression : facile-facile. Il n'est pas question de difficile ni de facile : c'est spontané, c'est naturel, et c'est si souriant ! Et ce «mourir à la mort» était si plein d'une joie ! d'une joie !... N'est-ce pas, j'aurais dit : «Mais c'est évident ! mais vous ne voyez donc pas que c'est évident ! que c'est ça : il n'y a qu'à mourir à la mort et puis ça y est!»
1. Mère a ajouté : «C'est cela qui fait toute la différence : c'est le Pouvoir créateur.»
(silence)
En ce moment, la nuit, tout d'un coup je suis mise (pendant une courte partie de la nuit) comme à un travail qui est à faire avec les constructions mentales de l'un, de l'autre. Et alors j'ai l'impression d'être en présence d'un Mensonge formidable ! destructeur – et d'une contradiction totale avec, justement, cette Vibration créatrice qui se déroule indéfiniment.
Il y a des gens qui sont ici, des gens qui sont ailleurs (ça vient avec le nom), c'est-à-dire que c'est l'état mental (même le mental supérieur, pas quelque chose de très terre-à-terre), l'état mental de celui-ci ou de celle-là ou de... Ça vient individuellement. Et il y a une sorte de malaise qui prend mon corps, comme si j'étais en présence de... je ne sais pas, dans la vie ordinaire je dirais : «Va-t-en!» (Mère chasse vivement quelque chose). Mais là, ça m'est présenté pour que je fasse un certain travail (je connais la personne : il y en a qui sont ici, il y en a qui sont ailleurs – ce sont des gens avec qui je suis en rapport au point de vue du yoga). Alors je suis mise en présence de ces formations mentales et c'est tenu comme ça (Mère empoigne la chose à deux mains) pour que je ne m'en débarrasse pas. Puis, lentement (c'est certainement une très bonne occasion de devenir tout à fait fou !), j'amène la Vibration divine et je la tiens comme ça, sans bouger (Mère tient cette vibration à la poigne et l'enfonce comme une épée de lumière), sans bouger... jusqu'à ce que tout s'évanouisse dans le silence.
Je n'ai pas eu l'occasion (riant) de leur demander ce qui leur était arrivé !
Peut-être qu'ils n'ont pas été conscients immédiatement, mais très certainement, ça aura un effet.
Ça ne se passait jamais avant, c'est tout à fait nouveau. Avant, il y avait cette Puissance qui se traduisait à travers le mental supérieur, là-haut (ce que Sri Aurobindo appelle le Surmental) ; c'était là-haut, comme cela, et alors ça dissolvait, ça dispersait, ça changeait, ça faisait tout un travail, et sans difficultés, sans effort (geste au-dessus de la tête comme pour montrer un flot qui coule tranquillement et irrésistiblement), ce n'était rien. Ça, c'était mon action de chaque seconde, constante, partout, tout le temps, avec toutes les choses qui viennent.
Tandis que ça, c'est tout à fait nouveau – c'est tout à fait nouveau. C'est une sorte d'«imposition», presque comme une imposition sur le cerveau physique (je crois que ça doit servir à changer les cellules cérébrales), et alors il ne m'est permis qu'une seule chose : ça (Mère empoigne la construction mentale qui s'est présentée à elle), c'est comme cela en face de moi et ça ne me quitte pas, ça colle comme une sangsue, bouge pas. Et alors il faut amener la Vibration divine, suprême, cette Vibration que j'ai connue l'autre jour [13 avril], et puis tenir ça, comme cela, sans bouger (quelquefois ça prend longtemps)... jusqu'à ce que tout soit mis dans un silence divin.
(silence)
Je ne sais pas si c'est ce matin ou hier matin, quand je me suis levée le matin vers 4 h et demie, 5 h moins le quart... Tout de suite (comment dire ?) volontairement et comme une habitude, je pense à toi. Et alors j'ai demandé : «Est-ce qu'il faut faire ça avec Satprem aussi ?» [cette opération avec l'épée de lumière]. Je n'ai pas eu de réponse. Pour le moment, rien n'est venu encore.
Quand je pense à toi, ça va toujours dans une région très cristalline et très lumineuse – très cristalline, quelquefois avec des... un état où je peux communiquer sans heurts.
J'ai pourtant l'impression que c'est fermé.
Ce n'est pas fermé.
J'ai l'impression que je ne suis pas répandu comme cela (geste horizontal dans l'immensité).
Non, ce n'est pas comme cela (horizontal) : c'est comme cela (vertical). Non, ce n'est pas universel. Et plus ça descend, plus... Mais moi, je suis toujours en contact avec toi au-dessus de ta tête.
Ce n'est pas avec des cloisons – non, il n'y a pas de murs, ce n'est pas comme cela. C'est plutôt une concentration avec (comment dire ?) des irrégularités, en ce sens qu'il y a tout d'un coup une lumière très intense, des éclairs, et puis... ça s'atténue. Il y a des endroits qui sont très brillants et très réceptifs – qui reçoivent-reçoivent-recoivent ; il y a d'autres choses qui sont... pas endormies mais plus passives. Et ce n'est pas comme cela (horizontal) : c'est comme cela (vertical). Et puis toute l'activité est au-dessus de la tête – c'est très actif, très actif. Mais ce n'est pas enfermé dans des murs – très actif. De temps en temps, il y a un petit éclatement de lumière.
Je te vois toujours comme cela. Tu vis là, (geste au-dessus de la tête).
Tu as peu de contacts avec les réalités extérieures. Ta vraie vie est là. Ça descend un peu ici (Mère montre le haut du front) et c'est comme cela (geste au-dessus et autour de la tête). C'est plus grand que ton corps. Et ça, c'est très actif et très constant. Et puis de temps en temps, il y a comme une cascade – une cascade qui tombe (geste en perles), c'est brillant, c'est joli ! C'est comme des fontaines lumineuses. C'est TRÈS joli ! Ça tombe en pluie. Et puis alors, ici (haut du front), ça commence à bouger.
Ah! c'est bien, c'est intéressant.
Je n'ai pourtant pas l'impression que c'est la vraie vie. Ah ! non.
La vraie vie... ça viendra.
La vraie vie, c'est autre chose qui doit venir. C'est autre chose. La vraie vie, c'est Satprem. Ce sera pour plus tard. Il faut que ça, ça sorte, alors tu auras l'impression de la vraie vie. Ça viendra.
Et il ne faut pas être impatient, parce que quand on est impatient, on imite les choses. On imite les choses en soi, dans son expérience ; on imite la réalisation (on n'en sait rien, on le fait très sincèrement) mais c'est l'impatience qui fait cela.
Ça ne peut venir dans sa pureté simple que quand... c'est le Seigneur qui fait tout, décide tout, agit, réalise, vit, a l'expérience. Quand c'est tout Son affaire, qu'on n'a absolument rien à faire et qu'on ne sait même pas Où ON est – alors... alors ça vient dans sa pureté, mais pas avant.
Ça, c'est la différence, la différence radicale depuis la dernière expérience [du 13 avril] : il n'y a plus rien que le Seigneur ; le reste... qu'est-ce que c'est ? C'est seulement une habitude de parler (même pas une habitude de penser, c'est tout parti), une habitude de parler ; alors moins on parle, plus on est content. Autrement... plus rien. Et qu'est-ce qu'il peut y avoir d'autre ?? – C'est Lui qui voit, c'est Lui qui veut, c'est Lui qui fait.
Alors tout vient, spontanément, simplement, avec une si grande simplicité.
Ça viendra, mon petit, pas d'impatience.
Pour le moment, c'est en bonne voie. C'est très bien.
Au fond, c'est toujours une espèce de désir plus ou moins déguisé d'avoir la satisfaction de sa réalisation (Mère fait le geste de s'asseoir). Je le sais, n'est-ce pas : on veut se voir être, se voir progresser, se voir agir, se voir... (Mère rit)
Voilà, mon petit.
🌸
Rien à dire... c'est tellement touchant... passons au dernier Agenda !
Agenda du 14 juillet 1962
Mon petit, pour la première fois la nuit dernière, je t'ai vu, comme tu es, venir à moi, et je t'ai dit : «Oh! comme c'est bien !» Tu es venu comme cela (Mère fait un geste tout près de son visage) et tu me regardais. Je me suis dit : «Il est conscient!»
Tu n'étais pas conscient?
?...
Il était à peu près trois heures du matin.
Mais des visions, des visions symboliques dans le domaine mental, je t'ai vu très souvent, mais là, ce n'était pas ça: c'était le physique subtil, comme cela (même geste), et puis tu es venu comme une action délibérée, tu m'as regardée. Je t'ai dit : «Oh! comme c'est bien !»
J'ai eu un rêve de toi, mais j'ai l'impression que c'était quelque chose de fabriqué par le subconscient.
Non, alors c'est une transcription.
Un rêve bizarre, très bizarre. Il y avait une foule de gens qui t'attendaient, et puis tu devais apparaître – tu es apparue, tu es venue – et puis tu t'es évanouie tout d'un coup. Tu t'es évanouie parce que, je ne sais pas, tu étais malade physiquement ou quelque chose. Alors on t'a emportée. Il y avait une foule de gens qui attendaient pour te voir et qui me repoussaient en arrière (je me suis aperçu que j'étais vêtu en Sannyasin, entre parenthèses). Finalement, tout d'un coup, je suis allé près de toi (j'ai quitté toute cette foule), je suis allé tout près de toi et puis... tu m'as dit certaines choses. Lesquelles, je ne sais pas. Tu avais l'air toute petite – toute blanche mais toute petite et fatiguée, comme si justement tu venais de t'évanouir. Enfin tu vois, des choses comme cela...1
1. Vu maintenant, ce «rêve» ne nous a pas l'air du subconscient mais bien du physique subtil avec toute cette foule de gens qui assaillaient Mère sans cesse et la fatiguaient (et qui nous repoussaient d'ailleurs), mais EN Dépit de cette foule, nous avons traversé et nous sommes arrivé «tout près» de Mère – ce qui rejoint la vision de Mère. «Vêtu en Sannyasin», c'est-à-dire dépouillé des contingences.
Non, je ne dormais pas, j'étais en concentration, et c'est dans la concentration, pendant que j'étais tout enveloppée des forces, c'est A TRAVERS ÇA que tu es venu, c'était très bien ! Bon. Ça va venir, c'est bon signe. J'étais très contente, j'avais l'impression : «Ah ! quelque chose est en train d'arriver.»
Ça va venir.
*
* *
(Le disciple lit à Mère un passage de la dernière conversation, où Elle disait : «C'est la différence radicale depuis l'expérience du 13 avril : il n'y a plus rien que le Seigneur, le reste... qu'est-ce que c'est ? C'est seulement une habitude de parler (même pas une habitude de penser, c'est tout parti). Autrement... plus rien. Et qu'est-ce qu'il peut y avoir d'autre ?? – C'est Lui qui voit, c'est Lui qui veut, c'est Lui qui fait.»)
Il y a là-dedans, tu vois, la même vibration que dans le «mourir à la mort». C'est quelque chose... oui, je crois, on pourrait dire : c'est Sa Présence... c'est Son Pouvoir créateur, c'est... C'est une vibration spéciale ; tu ne sens pas, toi, comme quelque chose... quelque chose qui serait une super-électricité pure ?
Quand on touche Ça, on voit que c'est partout, mais on ne s'en aperçoit pas.
Mais quand tu as lu ces mots, tout d'un coup c'est venu... Ce doit être le Pouvoir du Seigneur dans les vibrations matérielles.
C'est intéressant, c'est à étudier.
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*
* *
(Puis, à propos de la dernière conversation, lorsque Mère disait que pour avoir l'expérience dans sa pureté simple, il ne faut «même plus savoir où on est.» Tandis que «on veut se voir être, se voir progresser, se voir agir, se voir...»)
C'est vraiment ça [ce sens d'une position individuelle où on est un être particulier, planté dans un espace particulier, qui se regarde être ou se sent être], qui est parti avec la dernière expérience [13 avril]. Ça me gênait beaucoup avant. Je me disais toujours : «Comment est-ce qu'on peut se débarrasser de ça ?»
Au fond, c'est aussi relié à ce «mourir à la mort», parce que, figure-toi, cette expérience du 12 au 13, pourquoi est-ce que je la vois toujours à ma gauche (Mère fait un geste à sa gauche) et assez loin, comme si j'avais fait de là à ici un trajet en plan, comme cela (geste horizontal), pour reprendre mon corps. Et que là (à gauche), je ne l'avais plus ! Là, je ne l'avais plu s: j'existais en pleine conscience, mais je n'avais plus mon corps – c'est cela qui me fait dire que mon corps était mort. Je ne l'avais plus... C'est loin, c'est loin d'ici, loin (pas dans le jardin !)... quelque part. Quelque part dans la conscience physique, à gauche, très loin. Et je suis venue en plan de là jusqu'ici pour m'apercevoir qu'il y avait encore un corps.2
Mais ce corps n'est plus mon corps : c'est un corps.
2. Lorsqu'on sort de son corps (et, nous le supposons, lorsqu'on meurt), l'impression est toujours d'un «déplacement au-dessus», ou d'un «déplacement au-dedans», c'est-à-dire dans une profondeur (ce qui revient au même, c'est simplement la traduction d'un changement de dimension), mais ce qui est frappant dans l'expérience de Mère, c'est ce déplacement en plan, c'est-à-dire qu'Elle n'a pas quitté le monde physique. Alors on est devant un étrange point d'interrogation : un monde physique dans le monde physique – un autre, ou le même, vécu différemment ? Un monde physique où la mort n'existe plus : on est mort à la mort. Le prochain monde ?
Seulement, petit à petit, la conscience reprend le contrôle, mais pas de la même façon. Et quand j'ai voulu comprendre, essayer de comprendre ce «mort à la mort», je me suis retrouvée là-bas (geste à gauche) et c'était comme si on me disait: «C'était ça, ton expérience.»
J'avais l'impression, là-bas, d'être beaucoup-beaucoup plus vivante qu'ici ! Beaucoup plus. Et encore maintenant, quand je veux avoir cette impression de puissance et d'intensité de vie, c'est toujours par là-bas, c'est-à-dire que quand je veux retrouver mon expérience [du 13 avril], je m'en vais toujours là-bas, à gauche.
Pourquoi à gauche ?...
(silence)
Oui, je me souviens cette nuit, j'ai dit : «Ah enfin! ça, c'est bien. Enfin ! nous y sommes.»
Ça va.se traduire [matériellement].
Et je te voyais comme cela, comme je te vois maintenant, exactement pareil, seulement avec une intensité de vibration de plus, quelque chose de plus vibrant – n'est-ce pas, le monde physique pour moi est tout le temps voilé, c'est comme si on avait mis un éteignoir dessus –, eh bien, l'éteignoir n'était pas là ; c'était exactement toi, les mêmes traits, la même expression, mais... intense. Intense, et tu me regardais (Mère fait un geste comme si le disciple la regardait sous le nez), comme si tu disais : «Ah ! tu es comme cela ?!» (Rires)
Alors j'étais très contente. Très contente : «Ah enfin ! nous y sommes», c'était ça, l'impression. Enfin nous y sommes.
Dans quelques jours, ça va se traduire – quelques jours, je ne sais pas ; là aussi, par là (geste à gauche), les jours, les mois ont un autre sens. Écoute, il y a des minutes (n'est-ce pas, je fais le tour de la chambre physiquement en répétant les Mots), il y a des tours – dix tours en une seconde ! pourtant, c'est toujours la même marche ; je crois que quelqu'un, physiquement, ne verrait aucune différence; eh bien, il y a de ces tours qui sont... dix, vingt, trente, une seconde ! Il y en a, après, un seul tour, oh ! c'est long, c'est long, ça n'en finit plus !
Et ça s'accompagne d'une perception automatique du temps – du temps des pendules –, assez curieuse (parce que tout est organisé à cause des allées et venues des gens qui m'entourent : à telle heure, telle chose; telle heure, telle chose), je n'ai pas besoin d'entendre la pendule : juste avant que la pendule sonne, je suis prévenue.
Et il y a une partie [du japa] que je répète d'une certaine façon, étendue, parce que le Pouvoir est plus grand (ce ne sont pas des méditations : ce sont des actions), une autre partie en marchant.
1er japa des prières de la conscience des cellules (1951 – 1959)
2e japa des prières de la conscience des cellules (1967)
Alors je reste étendue un certain temps, je marche un certain temps, et à heure fixe celui-ci s'en va, tel autre arrive, etc.; mais tout ça, ce ne sont pas des gens (je ne le leur dis pas), ce ne sont pas des gens : ce sont des mouvements du Seigneur. Et ça, c'est tout à fait intéressant, parce que ce mouvement du Seigneur a tel genre de caractère, cet autre mouvement du Seigneur a tel autre genre de vibration, et tout ça s'accorde très bien pour faire un certain ensemble.
Mais quand c'est l'heure, ça vient juste avant, exact : 6 heures, 6hl/2, 7h, 7hl/2, comme cela. Pas six, sept, avec des paroles, mais: c'est l'heure, l'heure, l'heure... Et en même temps que cela – qui est d'une exactitude pendulesque (!) une exactitude de pendule –, en même temps, j'ai cette autre notion du temps, qui n'est plus le même temps, qui est... Notre temps est une convention très rigide, mais c'est une formation vivante, qui a son pouvoir vivant dans le monde de l'exécution, ici. L'autre est... c'est le rythme de la conscience.
Alors, suivant l'intensité de la Présence (c'est-à-dire qu'il y a une concentration et une expansion), suivant cette pulsation-là, qui n'est pas régulière et mécanique, qui est variable, les tours ne prennent pas de temps du tout, ou ils prennent énormément de temps. Mais ça ne gêne pas l'autre, il n'y a pas de contradiction ; l'autre est sur un autre plan, c'est quelque chose de beaucoup plus extérieur ; mais il a son utilité et sa loi propre, et l'un ne gêne pas l’autre.3
Et petit à petit il devient prévisible...4
3. On sait, depuis la Théorie de la Relativité d'Einstein, qu'une telle expérience de relativité du temps est «physiquement» réalisable. Il suffit, par exemple, de considérer le temps à bord d'un engin spatial naviguant à une vitesse assez proche de celle de la lumière : le temps se «contracte», un même événement prendra moins de temps à bord de la fusée que sur terre. C'est ici la vitesse qui provoque cette contraction du temps.
Dans l'expérience de Mère (qui, rappelons-le, est tout aussi «physique»), c'est «l'intensité de la Présence» qui semble être à l'origine du changement de temps. C'est-à-dire que c'est la conscience qui provoque la contraction du temps.
Nous sommes donc en présence de deux expériences ayant des résultats physiques identiques mais formulées dans un langage différent. D'un côté on parle de «vitesse», et de l'autre de «conscience».
Mais qu'est-ce que la vitesse, après tout ?... (et la différence de «langage» est assez colossale dans ses implications, car il serait tout de même plus simple d'appuyer sur un bouton de «conscience» que sur un accélérateur qui doit passer à la vitesse de la lumière). La vitesse est une question de distance. La distance est une question de deux pattes ou de deux ailes : c'est par rapport à un phénomène limité ou à un être limité. Quand on dit : «à la vitesse de la lumière», c'est que l'on imagine nos deux pattes ou nos deux ailes qui vont très-très vite. Et tous les phénomènes de l'univers sont vus et conçus par rapport à ces deux pattes ou ces deux ailes ou cette fusée – ils sont une création de notre biologie bipède actuelle.
Mais pour un être (supramental, de la prochaine biologie) qui contient tout au-dedans de lui, qui est immédiatement partout, sans distance – où est la vitesse ?... Il n'y a de «vitesse de la lumière» que bipède.
Ils disent : la vitesse augmente et le temps se contracte. La prochaine biologie dit : la conscience s'intensifie et le temps se contracte ou n'existe plus – les distances sont abolies, le corps ne vieillit plus. Et toute la cage physique du monde s'effondre.
«Le temps est un rythme de la conscience», dit Mère. On change de rythme et le monde physique change. Serait-ce là tout le problème de la transformation ?
4. Interrogée plus tard sur cette phrase non terminée, Mère a dit : «J'ai arrêté parce que c'était une impression et pas une certitude. Nous en reparlerons plus tard.» Mère a-t-elle voulu parler d'un moment où Elle pourra vivre dans les deux temps simultanément ?
(silence)
De temps en temps, on touche à la Vibration de l'Amour du Suprême, l'Amour créateur, l'Amour qui crée, soutient, maintient, fait progresser, et qui est la raison d'être de la Manifestation (c'était la traduction de Ça, ces grandes pulsations), et Ça, c'est quelque chose de si formidable et de si merveilleux pour la formulation matérielle, corporelle, que c'est comme si on le dosait. De temps en temps, on vous en donne un petit peu pour que vous sachiez que Ça, c'est le bout (enfin, le bout du commencement !)
Mais il ne faut pas se précipiter, surtout pas de désir. Être bien tranquille. Plus on est tranquille, plus ça dure longtemps. Si on est trop pressé, ça s'en va.
Je vois qu'il faut, il faut quelque chose, une sorte de capacité et de solidité extraordinaires pour pouvoir supporter Ça sans éclater. Et c'est ça qu'on prépare, lentement.
Il ne faut pas être pressé.
(silence)
Hier, pendant un certain temps, «on» m'a mis en rapport avec la façon de penser des gens, comment les gens pensent... Et alors j'ai vu qu'il faut faire bien attention – il vaut mieux se taire ! parce que très facilement ils penseraient que c'est le grand déménagement ! N'est-ce pas : «On est vieux, il y a l'artériosclérose du cerveau, on devient un petit peu idiot, on retombe en enfance» – j'ai vu ça, c'était très amusant. J'ai vu, on m'a montré toute une façon de penser – ah ! et ils se croyaient intelligents, ils croyaient qu'ils savaient beaucoup!
Enfin...
(silence)
Même dans l'Inde.
Et je commence à croire...
C'est ce que je constate quand on me met en rapport avec le monde extérieur, l'Europe.
...Mais enfin, le vieux monde est un vieux monde, dans le vrai sens du mot vieux. L'Inde est bien plus vieille mais elle est plus vivante. Mais maintenant, ça me fait l'effet d'une pourriture ! Ils ont été pourris : tu sais, comme les fruits, comme quand on met un fruit pourri à côté d'un bon – l'Angleterre est venue, elle est restée trop longtemps. Ça a pourri beaucoup. Pourri beaucoup-beaucoup; c'est difficile de guérir de ça. Autrement, ce qui n'est pas pourri est très bien.
Mais là où il y a un petit quelque chose, comme il y a dans les petits enfants et dans les animaux, un petit quelque chose qui fait comme ça (Mère imite un oisillon qui passe le bec hors du nid et regarde autour de lui), qui fait presque cui-cui-cui, oh ! éveillé, veut savoir : en Amérique. Ils ont une croûte qui est dure comme une carapace d'automobile – il faut casser ça à coups de marteau –, mais dessous, il y a quelque chose qui veut savoir. Qui ne sait rien! rien, tout à fait ignorant, mais oh! qui veut savoir – et c'est ça qu'on peut toucher. Ils seront peut-être les premiers réveillés.
Quelques-uns dans l'Inde, mais un mouvement plus général là-bas [en Amérique].
Tiens ! eux, ils sont par là (Mère fait un geste à droite). Mais pourquoi sont-ils à droite ?... Ah ! sur la carte c'est comme cela! c'est de l'autre côté de cette mer ? oui? (Mère regarde du côté de la plage de Pondichéry) Ah ! c'est cela... Non, mais ça a affaire avec la droite – l'action. La droite, c'est l'action.
Ils sont bêtes ! Ils sont bêtes ! ils ne comprennent rien à rien, et pourtant... une flamme d'aspiration, tout d'un coup ça s'éveille. Et puis ils veulent savoir, ils veulent chercher, ils veulent trouver, ils veulent connaître, ils veulent... Ça fait comme ça (Mère clignote des yeux comme l'oisillon qui s'éveille), ça vibre et ça cherche.
Ils ont su rester très enfants.
Très enfants. Mais c'est charmant. C'est charmant.
(silence)
Tout ça, c'est pour la prochaine centaine d'années. Il va y avoir des changements.
(silence)
1900 ?... Eh bien, oui, c'est en 2000 que ça prendra une orientation claire. Tu seras encore là.
Je n'en sais rien!
Non, je ne parle pas de ce que l'on est quand on est «mort à la mort», je ne parle pas de ça. Je parle normalement, physiquement – combien de temps faut-il pour deux mille ?
Euh...
Pas beaucoup, quarante ans.
Trente-sept ans.
Oui, c'est rien ! C'est rien, c'est une minute – tu seras là de toutes façons, même sans mourir à la mort. Tu verras ça.
Oui, oui, c'est bientôt.
Toi aussi, tu seras là.
Ça, j'ai toujours été et je serai toujours, ça ne fait pas de différence.
(très long silence)
Il y a un moment où on se dira : «Tu te souviens, en telle année, on croyait qu'on faisait quelque chose !» (Mère rit)
Je me suis trouvée tout d'un coup, comme ça, projetée en avant : «Tu te souviens, là-bas (et c'est toujours à gauche – tiens, pourquoi ?...) tu te souviens, là-bas, oh ! on croyait qu'on faisait quelque chose, on croyait qu'on savait quelque chose !!»
C'est amusant.
(très long silence)
Oui, dans la conscience ordinaire, c'est comme un axe, et tout tourne autour de l'axe. Un axe qui est fixé quelque part, et tout tourne autour de l'axe – ça, c'est la conscience individuelle ordinaire. Et si ça bouge, on se sent perdu. C'est comme un grand axe (il est plus ou moins grand, il peut être tout petit), c'est planté tout droit dans le temps, et tout tourne autour. Ça s'étend plus ou moins loin, c'est plus ou moins haut, c'est plus ou moins fort, mais ça tourne autour d'un axe. Et maintenant, pour moi, il n'y a plus d'axe.
J'étais en train de regarder – il n'y en a plus, parti, envolé !
Ça peut aller là, ça peut aller là, ça peut aller là (geste aux différents points cardinaux), ça peut aller en arrière, ça peut aller en avant, ça peut aller n'importe où – il n'y a plus d'axe, ça ne tourne plus autour de l'axe. C'est intéressant.
Je pense que tu n'y comprends rien ! (Mère rit)
C'est une intéressante expérience. Plus d'axe.
🌸
Voilà ce que j'ai pu trouver sur ce "mourir à la mort". C'est très riche, il y a des choses très belles et très profondes, mais la mort est sujet si vaste, que nous sommes loin d'en avoir fait le tour. Dans un prochain article, je reviendrai sur autre expérience que Mère à résumé sous l'énigmatique appellation de "mourir en avant".