Extraits Lettres à Dilip (Octobre 1934)
9 octobre 1934
Dans cet Ashram, tous ne sont pas indifférents les uns envers les autres, et ni l’amitié et l’affection ne sont exclues du yoga. L’amitié avec le Divin est une relation reconnue dans la sadhana. Les amitiés entre sadhaks existent, et la Mère les encourage.
Seulement, nous cherchons à les établir sur une base plus sûre que celle, précaire, sur laquelle s’appuient la plupart des amitiés humaines. C’est précisément parce que nous tenons pour sacrés les liens d’amitié, de fraternité et d’amour, que nous voulons ce changement : parce que nous ne voulons pas les voir brisés à chaque instant par les mouvements de l’ego, souillés, gâchés et détruits par les passions, les jalousies, les traîtrises auxquelles le vital est sujet – c’est pour les rendre véritablement sacrés et sûrs que nous les voulons ancrés dans l’âme, basés sur le roc du Divin.
Notre yoga n’est pas ascétique : il a pour objectif la pureté, mais une froide austérité. L’amitié et l’amour sont des notes indispensables dans l’harmonie à laquelle nous aspirons. Ce n’est pas un rêve vain, car nous avons vu que même dans des conditions imparfaites, quand un peu de l’élément indispensable est présent à la racine même, la chose est possible. C’est difficile, et les vieux obstacles s’accrochent encore avec obstination. Mais aucune victoire ne peut être remportée sans une immuable fidélité au but et un long effort. Il n’existe pas d’autres moyens que de persévérer.
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17 octobre 1934
Il est parfaitement possible de changer sa nature. Je l’ai prouvé dans mon cas, car j’ai fait de moi l’exact opposé de ce que j’étais au début de ma vie. J’ai vu ce changement se produire chez de nombreuses personnes et j’en ai aidé nombres d’autres à le réaliser. Néanmoins, certaines conditions sont nécessaires.
Actuellement dans cet Ashram, il existe une résistance obstinée au changement de la nature, pas tant dans l’être intérieur, car non nombre de personnes acceptent ce changement, mais dans l’homme extérieur, qui répète ses mouvements habituels comme une machine et refuse de sortir de ses sillons. […]
Cependant, cela n’aurait pas d’importance – ce serait seulement une question d’un peu plus ou moins de temps – si les sadhaks admettaient sans réserve l’action divine. Mais les conditions qu’ils posent et celles d’en haut semblent radicalement différentes. D’en haut l’impulsion est de soulever toute chose au-dessus du niveau humain, et la demande des sadhaks (pas tous, mais nombre d’entre eux) est de garder tout au niveau humain. Or ce dernier est synonyme d’ignorance, de dysharmonie, de conflits, de souffrance, de mort, de maladie – un échec constant.
Je ne vois pas quelle solution il peut exister à une telle contradiction – à moins que ce ne soit le Nirvana. Mais la transformation est considérablement plus difficile que le Nirvana.
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18 octobre 1934
Vous pouvez être sûr que nous ne vous abandonneront jamais et que jamais cela ne nous viendrait à l’esprit. Vous dîtes avec raison que ce qui vous conduit à ces humeurs, c’est la Maya Asourique ou un aiguillon de l’Asoura – ce que nous appelons la Force hostile. Ce qui lui répond est une partie du vital humain qui est attirée par la souffrance, la mortification, la dépression et le désespoir, ou qui garde l’habitude de leur répondre.
Mais en soi, ce qui vous arrive vient du dehors en non de l’intérieur de vous. C’est, comme je vous l’ai dit plus d’une fois, une formation qui a été faite et qui se répète, comme en témoigne le fait qu’une fois qu’elle commence, elle tourne toujours dans la même ronde d’idées, de suggestions et e sentiments.
La première chose que vous devez faire est de la reconnaître pour ce qu’elle est. Ce n’était pas, par exemple « toute votre nature » qui vous a conseillé de ne pas écrire à la Mère, mais la suggestion de cette Force. Si vous identifiez ces choses comme des suggestions et comme une Force qui s’oppose à vous et à votre sadhana, il est plus facile de lui faire face et de réagir que si vous la voyez comme quelque chose qui vient de vous.
La deuxième chose est de chercher refuge dans votre moi le meilleur et le plus élevé contre cette partie vitale qui répond à ces suggestions. Vous de devez pas considérer cette partie comme vitre nature tout entière, mais seulement une partie de votre vital, qui a pris une importance exagérée.
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Correspondance (1934-1935) - Editions Banyan - Littératures de l'Inde
Sri Aurobindo et Dilip Kumar Roy, correspondance, spiritualité, yoga, conscience, doute, ashram, fils, ami, persévérance, compassion, joie, aide, volonté
https://www.editions-banyan.com/produit/sri-aurobindo-et-dilip-kumar-roy-correspondance-1934-1935/
26 octobre 1934
Je ne me souviens pas de ce que j’ai écrit à Krishnaprem, mais je ne pense que je faisais référence à lui et à ses « doutes » lorsque j’ai parlé d’une « négation catégorique péremptoire ».
Je ne peux pas dire grand-chose à propos des méthodes dont il parle pour se débarrasser de concepts dépassés. Chaque esprit a sa propre manière d’avancer. La mienne a été une sorte de réajustement ou de rectification de mes positions et je l’appellerais plutôt discernement, accompagné d’une modifications d’intuitions.
À un moment donné, j’avais accordé une trop grande place à l’« humanité » dans ma conception des choses, avec un certain nombre d’idées attachées à cette exagération et qui devaient être corrigées. Mais le changement n’est pas venu parce que j’ai douté de ce que j’avais conçu, mais parce que les choses sont apparues sous une nouvelle lumière, sans laquelle l’« humanité » a automatiquement reculer pour se mettre à sa juste place, et tout s’est modifié en conséquence.
Mais tout cela est probablement dû au fait que je suis paresseux par nature (en dépit de mes prouesses épistolaires actuelles) et préfère la méthode la plus facile et la plus automatique possible. Je soupçonne Krishnaprem d’être essentiellement la même que la mienne, simplement il l’applique dans un esprit plus diligent et consciencieux. Sa remarque au sujets des concepts qui sont des repères et non des moyens d’avancer semble l’indiquer.
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28 octobre 1934
Être ouvert, c’est simplement être si accordé à la Mère que sa Force peut agir en vous sans que son action soit rejetée ou entravée. Si le mental est fermé sur ses propres idées fixes et refuse de la laisser amener la Lumière est la Vérité, si le vital est s’accroche à ses désirs et n’admet pas la Mère, si le physique est enfermé dans ses habitudes de désir et son inertie et n’autorise pas la Lumière et la Force à entrer travailler, alors on n’est pas ouvert.
Il n’est pas possible d’être entièrement ouvert tout de suite dans tous les mouvements, mais une ouverture centrale ainsi qu’une aspiration ou un volonté dominantes doivent être présentes dans chaque partie (pas seulement dans le mental) pour n’admettre que l’« action » de la Mère. Le reste s’accomplira alors progressivement.