Lettre à Dilip du 30 août 1933

Pour une fois, une lettre de Sri Aurobindo à Dilip dans son intégralité, avec seulement une mise en page plus aérée pour faciliter la lecture en ligne.

30 août 1933

Répondre à l’unique question de votre dernière lettre nécessiterait tout un Mahabharata – car vous soulevez d’un coup tout le problème de la vie ainsi que tout le problème du yoga. Mais vous avez plus de foi que vous ne l’imaginez, sinon vous ne seriez pas aussi dur à propos du Divin. 😀 Je ne pensais pas, d’ailleurs, à ce genre de formation quand je parlais de Durgadas, mais à des formations d’une fausse valeur dans le Yoga.

Les doutes sont un obstacle, parfois un sérieux obstacle, mais les fausses valeurs dans le Yoga que le sadhak ne veut pas corriger représentent un danger.

Ce que je peux dire à propos des doutes, c’est qu’on ne peut pas s’en libérer aisément aussi longtemps qu’on juge au moyen du seul intellect ou d’après les apparences, sans faire appel à ce qui se trouve derrière ces apparences.

Le fait même qu’une personne vienne au Yoga confirme qu’il doit exister quelque chose d’autre que les apparences, une Vérité plus grande et plus profonde derrière. C’est une confirmation qu’il se trouve à l’arrière un Quelqu’un ou un Quelque Chose de Divin, et s’il en est ainsi, alors la vie ne peut tout simplement pas signifier seulement ce qu’elle semble être à la surface. La signification superficielle ne peut pas être ignorée – je ne l’ai jamais ignorée et la Mère non plus – l’énigme, l’obscurité, la souffrance, l’étroite emprise de l’Asoura – mais ce n’est ni la totale ni l’ultime vérité de l’existence. C’est celle-là qu’il faut atteindre en y faisant porter tout son effort et non s’attarder toujours sur les aspects superficiels.

🌸

Je dois vous rappeler que j’ai été moi-même un intellectuel et n’étais pas étranger au doute – la Mère et moi avons tous deux un côté de notre mental aussi positif et axé sur les résultats concrets que n’importe quel Russell, si ce n’est davantage. Nous n’aurions jamais pu nous satisfaire des idées et des phrases brillantes qu’un Rolland ou un autre prennent pour l’or de la Vérité. Nous connaissons bien la différence entre une expérience subjective et une force dynamique, dirigée vers l’extérieur et réalisatrice.

Aussi, bien que nous ayons la foi – et quel être a jamais fait quoi que ce soit de grand dans le monde sans avoir foi en sa mission ou en la Vérité qui travaille derrière lui ? – nous ne nous basons pas seulement sur la foi, mais sur un grand fondement de connaissance que nous avons toute notre vie développé et mis à l’épreuve.

Je crois que je peux dire que j’ai expérimenté jour et nuit pendant des années et des années, plus scrupuleusement qu’aucun scientifique sa théorie ou sa méthode sur le plan physique.

C’est pourquoi je ne suis pas inquiet de l’aspect du monde autour de moi ni déconcerté par la fureur souvent victorieuse des Forces adverses, dont la rage augmente au fur et à mesure que la Lumière s’approche de plus en plus du champ de la terre et de la Matière.

🌸

Si je crois en la probabilité et pas seulement à la possibilité, si je me sens pratiquement certain de la Descente supramentale – je ne fixe pas de date – c’est parce que j’ai mes raisons pour le croire, pas seulement une vague foi. Je sais que la descente supramentale est inévitable – j’ai foi, au vu de mon expérience, que le moment peut être et doit être maintenant et non à une époque ultérieure.

🌸

Mais même si je savais que c’est pour plus tard, je ne dévierais pas de mon chemin, ne serais pas découragé ni ne me relâcherais dans mon labeur. Autrefois, j’aurais pu l’être, mais pas après tout le chemin que j’ai parcouru. Quand on est sûr de la Vérité, ou même quand on croit que la chose qu’on poursuit est la seule solution possible, on ne stipule pas un succès immédiat, on chemine vers la Lumière, prenant l’aventure comme une chose qui vaut la peine et affrontant tous ses risques. Néanmoins, comme vous, c’est maintenant et dans cette vie que je veux l’obtenir et non dans une autre vie ou dans l’au-delà.