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Poursuivons notre étude des moyens spirituels pour répondre à cette question, et au-delà, à celle plus vaste de l'existence du mal. Dans l'article précédent nous nous sommes attardés sur un chapitre entier de La vie divine ; cette fois, regardons plus près les réponses proposées dans Savitri, en particulier dans le Chant 2 du Livre 6, Les voies du destin et le Pourquoi de la douleur.

Pour situer le contexte, Savitri, fille du soleil s'est choisi pour compagnon, Satyavane, l'âme de la terre. Or, dans le Chant 1, Narad, le chantre céleste annonce le funeste destin : dans un an, Satyavane doit mourir. Nous le saurons plus tard, ce sera l'occasion pour Savitri d'aller chercher Satyavane dans la mort, et de le ramener. 

Note  de Satprem

Narad, le chantre céleste, le Voyant, occupe une place toute spéciale dans la tradition indienne : c’est un homme divinisé, l’annonciateur ou le précurseur de l’Homme Divin à venir. Il n’est pas “né dieu”, mais homme devenu dieu. Il a pris rang parmi les immortels et il peut à volonté se déplacer parmi les trois mondes, sur les sommets supraconscients et à travers notre monde physique et mortel, et les mondes subconscients ou “inconscients” qui recèlent les clefs de notre avenir. Il connaît donc les trois temps, passé, présent et à venir, et c’est lui qui annonce le Destin de Savitri et de Satyavane.

Lien vers le Chant 1 : Le Mot du Destin

Savitri

Livre Six  : Le Livre du Destin

Chant Deux : Les Voies du Destin et le Pourquoi de la Douleur

(Le dernier chant revu par Sri Aurobindo avant son départ en 1950)

Sri Aurobindo travailla toute sa vie sur Savitri, l'épopée de la victoire sur la mort, et comme le souligne Satprem : jamais tant de secrets n'ont été dits avec tant de beauté. C'est magnifiquement écrit et je ne peux recommander que de le lire en intégralité, mais ici nous ne partagerons que les passages les plus directement liés à notre sujet.

Lorsque les parents de Savitri, le roi Ashwapati et la reine apprennent le cruel destin réservé à Savitri, s'interrogent sur une possible échappatoire et protestent ; la reine notamment se fait l'écho de la poignante douleur de la terre, cette perpétuelle vallée de larmes, et interroge Narad sur le sens de nos interminables misères. 

Narad en vient à expliquer dans ce chant, non seulement le pourquoi de la Douleur, mais aussi en quelque sorte, ce qu'il nous est si difficile à comprendre avec notre mentalité superficielle, et que personne ne nous explique, ses véritables causes et sa nécessité.

Narad est resté silencieux, puis il a répondu.
Ajustant ses lèvres aux sons terrestres il a parlé,
Et maintenant quelque note du sens profond du destin
A pesé sur les frêles demi-mots du langage mortel.

Son front rayonnait de la solennité de sa vision,
Il regardait les tablettes de la pensée divine
Comme si les caractères d’une langue non écrite
Avaient laissé les inscriptions des dieux dans leur ampleur.

Nu dans cette Lumière, le Temps peinait,
Ses œuvres invisibles à découvert ;
Ses plans immenses, prescients, à perte de vue,
Inachevés et déroulés par le vol des âges
Étaient déjà tracés, la carte faite dans ce regard universel.

“Le soleil est-il donc un rêve parce qu’il y a la nuit ?
Caché dans le cœur des mortels l’Éternel vit :
Il vit secrètement dans la chambre de ton âme,
Là, une lumière brille, ni la douleur ni le chagrin ne peuvent entrer.

Une obscurité fait écran entre ton moi et lui,
Tu ne peux pas entendre ni sentir l’Hôte merveilleux,
Tu ne peux pas voir le soleil bienheureux.

Ô reine, ta pensée est une lumière de l’Ignorance,
Son brillant rideau te cache la face de Dieu.

Ta pensée illumine un monde né de l’Inconscience
Mais cache l’intention de l’Immortel dans le monde.

La lumière de ton mental te cache la pensée de l’Éternel,
Les espoirs de ton cœur te cachent la volonté de l’Éternel
Les joies de la terre te ferment la félicité de l’Immortel.

Ainsi a surgi la nécessité d’un dieu noir : l’intrus,
Le terrible maître d’école du monde, le créateur : la douleur.

Là où il y a Ignorance, là doit venir aussi la souffrance ;
Ton chagrin est un cri de l’obscurité à la Lumière ;
La douleur était le premier-né de l’Inconscience
Qui fut la base originelle muette de ton corps ;
Là, dormait déjà la forme subconsciente de la douleur :
Ombre dans l’ombre ténébreuse de la matrice première ;
Elle attend que la vie bouge pour se réveiller et être.

Sous la même coiffe que la joie est sorti le terrible Pouvoir.

Dans la poitrine de la vie il est né en cachant son jumeau ;
Mais la douleur est venue la première, alors seulement la joie pouvait être.

La douleur a labouré les premières friches de la somnolence du monde.

Par la douleur, un esprit a tressailli dans la glèbe,
Par la douleur, la Vie a remué dans les profondeurs subliminales.

Interné, submergé, caché dans l’hypnose de la Matière
Le rêveur, le Mental dormant s’est éveillé à lui-même ;
Il a fabriqué un royaume visible avec ses rêves,
Il a tiré ses formes des profondeurs subconscientes,
Puis il s’est retourné pour regarder le monde qu’il avait fait.

Par la douleur et la joie,
Brillants et ténébreux jumeaux,
Le monde inanimé a perçu la sensibilité de son âme
Sinon l’Inconscient n’aurait jamais subi le changement.

La douleur est le marteau des dieux
Qui brise la résistance aveugle du cœur mortel,
Sa lente inertie comme d’une pierre vivante.

Si le cœur n’avait pas été forcé de vouloir et de pleurer
Son âme serait restée gisante, contente, à l’aise,
Et jamais n’aurait songé à dépasser le départ humain
Et jamais n’aurait appris à grimper vers le Soleil.

Cette terre est pleine de labeur, bourrée de douleur ;
Les affres d’une naissance interminable la contraignent encore :
Les siècles finissent, les âges passent en vain
Et pourtant la divinité en elle n’est pas née.

L’Ancienne Mère fait face à tout avec joie
Elle appelle la blessure ardente, l’ivresse grandiose.

Car, par la douleur et le labeur vient toute création.

La terre est pleine du tourment des dieux ;
Sans trêve ils enfantent, harcelés par l’aiguillon du Temps
Et luttent pour accomplir l’éternelle Volonté
Et façonner la vie divine dans les formes mortelles.

Cette Volonté doit frayer son chemin dans les poitrines humaines
Contre le Malin qui se lève des gouffres
Contre l’ignorance de l’homme et sa rigidité obstinée
Contre les faux pas de sa volonté pervertie
Contre la profonde sottise de son mental humain
Contre l’aveugle récalcitrance de son cœur.

L’esprit est voué à la douleur jusqu’à ce que l’homme soit libre.

C’est le tumulte et la bataille, les pas lourds, la marche :
Un cri monte comme d’une mer gémissante,
Un rire désespéré sous les coups de la mort,
Un destin de sang et de sueur et de peine et de larmes.

Les hommes meurent pour que l’homme puisse vivre et Dieu puisse naître.

Un terrible Silence regarde le Temps tragique.

La douleur est la main de la Nature
Qui sculpte la grandeur des hommes :
Un labeur inspiré burine
Avec une cruauté céleste un moule rebelle.

Implacables dans la passion de leur volonté
Les démiurges de l’œuvre de l’univers
Lèvent les marteaux d’un labeur de titan ;
Ils façonnent leur espèce à coups de géant,
Leurs fils sont marqués de leur énorme empreinte de feu.

Quand bien même la formidable touche du dieu modeleur
Est une torture insupportable pour les nerfs mortels,
L’esprit brûlant grandit en intensité dedans
Et sent une joie dans chaque blessure de titan.

Celui qui veut se sauver lui-même vit calme et nu ;
Celui qui veut sauver la race doit partager sa douleur :
Il saura cela, celui qui obéit à la grandiose urgence.

Alors, à cet endroit Sri Aurobindo décrit de façon sublime le travail du Rédempteur, d'abord du Christ, et ensuite, probablement de lui-même, tout ce qu'il a dû subir dans son travail intérieur pour apporter aux hommes, cette Conscience-de-Vérité. Ces lignes sont vraiment très poignantes. Et puis, après avoir décrit le travail dévastateur de la Force adverse qu'il a dû affronter, il en vient à un propos plus général :

Une noire hostilité dissimulée habite
Dans les profondeurs de l’homme, au cœur caché du Temps,
Qui revendique le droit de ruiner l’œuvre de Dieu.

Un ennemi secret embusque la marche du monde ;
Il laisse une marque sur la pensée, sur les paroles, les actes ;
Il pose une tache et un défaut sur toutes les choses créées ;
Tant qu’il ne sera pas mis à mort, la paix est interdite sur la terre.

Il n’y a pas d’adversaire visible, mais l’invisible
Nous entoure, des forces intangibles assaillent :
Des contacts de royaumes étrangers,
Des pensées qui ne sont pas nôtres
S’abattent sur nous et contraignent le cœur égaré ;
Nos vies sont prises dans un filet ambigu.

Une Force adverse est née d’antan :
Envahisseur de la vie mortelle des hommes,
Elle leur cache le droit chemin immortel.

Un Pouvoir est entré pour voiler la Lumière éternelle,
Un Pouvoir s’oppose à l’éternelle volonté
Détourne les messages du Verbe infaillible,
Contorsionne le tracé du plan cosmique :
Un murmure à l’oreille pousse au malheur le cœur humain,
Il scelle les yeux de la sagesse, le regard de l’âme,
Il est l’origine de notre souffrance ici,
Il lie la terre aux calamités et à la douleur.

Tout cela, il doit le conquérir celui qui veut faire descendre la paix de Dieu.

L’ennemi caché qui loge dans la poitrine humaine
L’homme doit le vaincre ou manquer son haut destin.

C’est la guerre intérieure sans merci.

Ce passage est important pour notre question car il nous rappelle ce que nous avons vite tendance à oublier, notre problème n'est pas seulement Macron et la caste, la "noire hostilité" et "l'ennemi secret" est aussi en nous, et "tant qu'il ne sera pas mis à mort, la paix sera interdite sur la terre."

Dans le passage suivant, Sri Aurobindo continue de décrire l’extraordinaire travail du Rédempteur, et puis à nouveau en vient à des propos d'une nature plus générale, et c'est là que nous pouvons y trouver des conseils pour nous-mêmes :

Jusque là, la vie doit porter sa semence de mort
Et les plaintes du chagrin se feront entendre dans la Nuit lente.

Ô mortel, endure la loi de la douleur de ce grand monde ;
Dans ton dur passage par ce monde souffrant
Appuie ton âme sur la force des Cieux pour te soutenir,
Tourne-toi vers la haute Vérité, aspire à l’amour et à la paix
.

Un peu de félicité t’est prêtée d’en haut
Une note divine touche tes jours humains :
Fais de ton chemin quotidien un pèlerinage,
Car, par de petites joies et des chagrins tu marches vers Dieu.

Ne te précipite pas vers la Divinité par des routes dangereuses,
N’ouvre pas tes portes au Pouvoir abominable
Ne grimpe pas à la Divinité par le chemin du Titan
.

Contre la Loi, il dresse sa seule volonté,
En travers de son chemin il jette l’orgueil de sa puissance.

Aspirant à vivre près du Soleil immortel
Il escalade les cieux par une échelle de tempêtes.

Avec une vigueur de géant il lutte pour arracher de force
À la vie et à la Nature le droit des immortels ;
En rage, il prend d’assaut le monde et le destin et les cieux.

Il n’arrive pas au noble siège du créateur cosmique
Il n’attend pas la main tendue de Dieu
Pour le tirer de sa mortalité.

Il voudrait prendre tout sans rien laisser de libre,
Il enfle son petit moi pour venir à bout de l’infini.

Barrant les routes ouvertes des dieux
Il fait son propre fief de l’air et de la lumière terrestres ;
Monopolisateur des énergies du monde
Il domine la vie des hommes ordinaires.

Sa douleur et la douleur des autres sont ses moyens :
Il bâtit son trône sur la mort et la souffrance.

Dans la hâte et le fracas de ses actes grandioses,
Dans un tumulte et une orgie de gloire et d’ignominie,
Par l’énormité de sa haine et de sa violence
Par le tremblement du monde sous ses pas
Il défie en combat le calme de l’Éternel
Et il se sent la grandeur d’un dieu :
Le Pouvoir est son portrait du moi céleste.

Le cœur du Titan est une mer de feu et de force ;
Il exulte dans la mort des créatures et la ruine et la chute,
Il nourrit son énergie de sa propre douleur et de celle des autres ;
Dans le pathos et la passion du monde, il se délecte,
Son orgueil, sa puissance appellent la lutte et la tourmente.

Il se fait gloire des souffrances de la chair
Et il pare du nom Stoïque les stigmates.

Éblouis et aveuglés ses yeux toisent le soleil,
Le regard du chercheur se retire de son cœur
Il ne trouve plus la lumière de l’éternité ;
Il voit l’au-delà comme un vide dépourvu d’âme
Et il prend sa propre nuit pour un noir infini.

Sa nature glorifie le nu de l’irréel
Et il voit dans le Néant l’unique réalité :
Il voudrait marquer le monde de son unique personne
Obséder la rumeur du monde de son unique nom.

Ses moments sont le centre du vaste univers.

Il voit son petit moi comme Dieu lui-même.

Son petit je a avalé le monde entier,
Son ego s’est élargi à l’infini.

Son mental, ce battement dans le Rien originel,
Additionne sa pensée sur l’ardoise d’un Temps sans heure.

Sur une grandiose vacuité d’âme il édifie
Une énorme philosophie du Rien.

En lui, le Nirvana vit et parle et agit
Créant impossiblement un univers.

Un zéro éternel est son moi sans forme
Son esprit est le vide impersonnel absolu.

N’enfourche pas ce cheval, Ô âme grandissante de l’homme,
Ne jette pas ton moi dans cette nuit de Dieu
.

La souffrance de l’âme n’est pas la clef de l’éternité,
Et la rançon du chagrin n’est pas ce que les cieux demandent de la vie
.

Ô mortel, endure, mais n’appelle pas le coup,
Trop vite le chagrin et l’angoisse t’auront découvert
.

Trop énorme pour ta volonté est cette entreprise hasardeuse ;
Les forces de l’homme sont sauves seulement dans les limites ;
Et pourtant l’infinitude est le but de ton esprit ;
Sa félicité est là, derrière le visage en pleurs du monde.

Un pouvoir est en toi, que tu ne connais pas ;
Tu es le vaisseau de l’étincelle emprisonnée
.

Elle cherche à se délivrer de l’enveloppement du Temps
Et tant que tu l’enfermes en toi, son sceau est la douleur :
La Félicité est la couronne de Dieu, éternel, libre,
Délivré de l’aveugle mystère de la douleur de la vie :
La douleur est la signature de l’Ignorance,
Elle atteste du dieu secret nié par la vie :
Tant que la vie ne l’aura pas trouvé, la douleur ne peut jamais finir.

Le calme est la victoire du moi qui triomphe du destin.

Endure, et finalement tu trouveras ton chemin de Félicité.

La Félicité est la substance secrète de tout ce qui vit,
Même la douleur et le chagrin sont un vêtement de la joie du monde,
Elle se cache derrière tes pleurs et tes cris.

Parce que tes forces sont seulement un fragment de Dieu et non son tout,
Parce que tu es affligé par le petit moi
Ta conscience oublie d’être divine
Tandis qu’elle chemine vaguement dans la pénombre de la chair
Et ne sait pas supporter l’énorme choc du monde,
Alors tu cries et dis que la douleur est là.

L’indifférence, la douleur et la joie sont un triple déguisement,
C’est la parure du Danseur extatique sur les chemins,
Elles te cachent le corps de la félicité de Dieu.

La force de ton esprit te fera un avec Dieu,
Alors ton agonie se changera en extase
L’indifférence s’approfondira et deviendra le calme de l’infini
Et la joie rira nue sur les pics de l’Absolu.

Oh ! Divine consolation pour toutes nos misères, comme il est bon de l'entendre !

Mais Sri Aurobindo n'a pas encore vraiment répondu à cette poignante question : pourquoi tout ça ? Tous ces malheurs, depuis que le commencement du monde, toute cette souffrance, toute cette douleur ?

Ô mortel, toi qui te plains de la mort et du destin,
N’accuse personne du mal que toi-même as appelé ;
Ce monde tourmenté, c’est toi qui l’as choisi pour demeure,
Tu es toi-même l’auteur de ta douleur
.

Jadis, dans l’immortelle immensité du Moi,
Dans une Vastitude de Vérité et de Conscience et de Lumière
L’âme a regardé dehors du haut de sa félicité.

Elle sentait l’interminable bonheur de l’Esprit,
Elle se savait sans mort, sans temps, sans bornes, une,
Elle voyait l’Éternel, vivait dans l’Infini.

Puis, curieuse d’une ombre jetée par la Vérité
Elle s’est tendue vers quelque “autreté” du moi,
Elle était tirée par un Visage inconnu qui scrutait à travers la nuit.

Elle pressentait une infinitude négative
Un vide grandiose dont l’immense excès,
Imitant Dieu et le Temps perpétuel,
Offrait une base pour une naissance adverse de la Nature
Dans l’inconscience rigide et dure de la Matière
Et un abri pour la brillance d’une âme transitoire
Qui allume la naissance et la mort et la vie ignorante.

Un mental a surgi qui regardait fixement le Rien
Jusqu’à ce que se forment des images de ce qui ne pouvait jamais être ;
Il logeait le contraire de tout ce qui est.

Un Néant est apparu comme l’énorme cause scellée de l’Existence,
Son support muet dans un infini vide
Dont les abîmes doivent engloutir l’esprit :
Une Nature enténébrée vivait là et gardait la semence
De l’Esprit caché qui feignait de ne pas être.

La Conscience éternelle devenait la demeure
De quelque Inconscient tout-puissant vidé de son âme ;
Nul ne respirait plus l’air natif de l’esprit.

Étrangère dans un univers inanimé,
La Félicité était l’incident d’une heure mortelle.

Comme tirée par la grandeur du Vide,
Fascinée, l’âme s’est penchée sur l’Abîme :
Elle avait soif de l’aventure de l’Ignorance
Et de la merveille et de la surprise de l’Inconnu
Et des possibilités sans fin qui se cachaient
Dans les entrailles du Chaos et dans le gouffre du Rien
Ou qui guettaient au fond des yeux insondés du Hasard.

Elle était lasse de son bonheur invariable,
Elle a tourné le dos à l’immortalité :
Elle était tirée par l’appel du risque et le charme du danger,
Elle aspirait au pathos du chagrin, au drame de la douleur,
Au péril de la perdition, à l’échappée belle par un fil saignant,
La musique de la ruine et son ivresse et sa catastrophe,
La saveur de la pitié et les jeux de hasard de l’amour
Et la passion et la face ambiguë du Destin
.

Un monde de dures tentatives et de difficile labeur
Et de bataille au bord périlleux de l’anéantissement,
Un fracas de forces, une vaste incertitude,
La joie de la création dans le Rien,
D’étranges rencontres sur les routes de l’Ignorance
Et la compagnie d’âmes à demi connues,
Ou la grandeur solitaire et la force toute seule
D’un être séparé qui conquiert son monde :
Tout l’appelait à descendre de son éternité trop sûre.

Une énorme descente commençait, une chute gigantesque :
Car ce que l’esprit voit crée une vérité
Et ce que l’âme imagine devient un monde
.

Une Pensée jaillie de l’Éternel peut devenir
Un mouvement cyclique dans le Temps éternel,
Le signal de conséquences cosmiques
Et l’itinéraire des dieux.

Ainsi est venu, né d’un terrible choix aveugle,
Ce grand monde perplexe et mécontent,
Ce repaire d’ignorance, cette maison de Douleur :
Là se sont plantés les camps du désir, le quartier général du malheur
.

Un immense déguisement cache la joie de l’Éternel.

Souvent, quand nos épreuves semblent nous terrasser, nous nous interrogeons sur le sens de notre destin, et nous accusons bien vite et trop vite, un mauvais Karma.  Voici ce que répond Narad au Roi :

“Ô Ashwapati, les chemins semblent aller au hasard
Sur des rives où vos pas s’égarent ou courent
À des heures fortuites ou à un moment des dieux,
Et pourtant, le moindre de vos faux pas est prévu d’en haut.

Infailliblement, les tournants de la vie sont tracés
Et suivent le fleuve du Temps à travers l’inconnu ;
Ils sont conduits par un fil que gardent les calmes immortels
.

Ce hiéroglyphe annonciateur des aurores à venir
Exprime en symboles un sens plus sublime que la Pensée scellée ne le saisit,
Mais comment ma voix
Convaincra-t-elle le mental de la terre de ce haut scénario ?

Plus sage, l’amour des Cieux rejette la prière des mortels ;
Inaveuglé par le souffle de leurs désirs,
Inobscurci par les brumes de la peur et de l’espoir,
Il chemine au-dessus de la lutte de l’amour contre la mort ;
Il garde pour Savitri son privilège de douleur.

Dans l’âme de ta fille, une grandeur réside
Qui peut la transformer elle-même et le monde autour,
Mais pour aller à son but, elle doit traverser des rocs de souffrance.

Bien qu’elle ait été bâtie comme une coupe de nectar divin
Et cherche l’air céleste dont elle fut faite,
Elle aussi doit partager la nécessité humaine du chagrin
Et transmuer en douleur toute sa cause de joie.

Le mental des mortels est conduit par des mots,
Sa vue s’enferme derrière des murs de Pensée
Et ne regarde dehors que par des portes à peine ouvertes.

Il découpe la Vérité sans bornes en petits bouts de ciel
Et prend chaque bout pour tous les cieux.

Il regarde avec effarement la Possibilité infinie
Et donne le nom de Hasard à la fluidité du Vaste.

Il voit les lents résultats d’une Force de toute-sagesse
Qui trace une suite de pas et des séquences dans le Temps sans fin,
Mais ne sachant les relier, il imagine une chaîne insensée,
Ou la main morte d’une froide Nécessité ;
Il ne répond pas au cœur mystique de la Mère
Il n’entend pas le battement ardent de sa poitrine,
Seul il sent la carcasse rigide et glacée d’une Loi sans vie.

Cette éternelle volonté hors du temps qui s’exécute dans le Temps
À la cadence libre et absolue de la Vérité cosmique,
Il pense que c’est une machine morte ou un Destin inconscient.

Les formules d’un Magicien ont fait les lois de la Matière
Et tant quelles durent, tout est lié par ces lois :
Mais le consentement de l’Esprit est nécessaire pour chaque acte
Et la liberté marche du même pas que la Loi.

Tout peut changer ici si le Magicien le choisit.

Si la volonté humaine pouvait devenir une avec celle de Dieu,
Si la pensée humaine pouvait se faire l’écho des pensées de Dieu,
L’homme pourrait être omniscient et tout-puissant ;
Mais maintenant il marche dans le rayon ambigu de la Nature
.

Et pourtant, le mental de l’homme peut recevoir la lumière de Dieu,
La force de l’homme peut être mue par la force de Dieu,
Alors il est le miracle qui fait des miracles
.

Car c’est ainsi seulement qu’il peut être le Roi de la Nature.
 

C’est décrété, et Satyavane doit mourir ;
L’heure est fixée, le coup fatal est choisi.

Ce qui sera d’autre est écrit dans l’âme de Savitri.
Mais jusqu’à ce que l’heure révèle le fatidique scénario
L’écrit attend, illisible et muet.

Le Destin est la Vérité qui s’exécute dans l’Ignorance.

Ô Roi, ton destin est transaction faite
À chaque heure entre la Nature et ton âme
Avec Dieu pour arbitre prévoyant.

Le Destin est un solde inscrit dans le livre de la Destinée.

L’homme peut accepter son destin, il peut refuser.

Même si l’Un maintient l’invisible décret
Il inscrit ton refus sur ta page de crédit :
Car le sort fatal n’est pas une fin, pas un sceau mystique.

Ressuscité du tragique accident de la vie,
Ressuscité de la torture du corps et de la mort,
L’esprit se relève, plus fort de sa défaite ;
Avec chaque chute, ses ailes divines grandissent plus larges.

Ses splendides échecs se somment par une victoire.

Ô homme, les circonstances que tu rencontres sur ton chemin,
Bien qu’elles frappent ton corps et ton âme de joie et de chagrin,
Ne sont pas ton destin ;
Elles te touchent un moment et passent ;
Même la mort ne peut pas trancher la marche de ton esprit :
Ton but, la route que tu choisis, sont ton destin.

Jetant tes pensées, ton cœur, ton travail sur l’autel,
Ton destin est un long sacrifice aux dieux
Jusqu’à ce qu’ils t’ouvrent ton moi secret
Et te font un avec le Dieu qui t’habite.

Ô âme, intruse dans l’ignorance de la Nature,
Voyageuse armée vers les sommets sublimes que tu ne vois pas,
Le destin de ton esprit est une bataille et une marche sans répit
Contre d’invisibles Pouvoirs adverses,
Un passage de la Matière au Moi éternel.

Aventurière à travers le Temps aveugle et imprévoyant,
À marche forcée à travers une longue suite de vies,
Elle pousse son fer de lance à travers les siècles.

Dans la poussière et la fange des plaines terrestres,
Sur des frontières innombrablement gardées, des fronts dangereux,
En de terribles assauts, en de lentes retraites blessantes,
Ou défendant le bastion de l’idéal en ruine,
Ou luttant contre toutes chances en des postes solitaires,
Ou campée dans la nuit près des feux de bivouac
Attendant la lente sonnerie de l’aube,
Dans la faim et dans l’abondance et dans la douleur,
À travers les périls et à travers le triomphe et à travers la chute,
À travers les allées vertes de la vie et dans ses déserts de sable,
Sur les landes sauvages, sur les crêtes ensoleillées
En colonnes serrées avec l’arrière-garde en déroute
Conduite par le fanal de son avant-garde nomade,
Marche l’armée du dieu qui a perdu son chemin.

Tard, enfin, la joie ineffable se fait sentir,
Enfin il se rappelle son moi oublié ;
Il a retrouvé le ciel d’où il était tombé.

Longuement son indomptable ligne de front
Force les dernières passes de l’Ignorance :
Pressant par-delà les dernières limites connues de la Nature,
Explorant le formidable inconnu,
Par-delà les repères des choses visibles,
Il traverse une couche d’air miraculeuse
Grimpe le sommet muet du monde
Et se tient debout enfin sur la splendeur des pics de Dieu.

En vain, tu t’affliges que Satyavane doive mourir ;
Sa mort est le commencement d’une vie plus grande,
La Mort est l’opportunité de l’esprit.

Une vaste intention a rapproché deux âmes
Et l’amour et la mort conspirent à une même fin grandiose.

En vérité, taillée dans le danger et la douleur viendra la félicité du ciel,
L’événement imprévu du Temps, le plan secret de Dieu.

Ce monde n’a pas été bâti au hasard avec des briques de chance,
L’architecte de la destinée n’est pas un dieu aveugle ;
Un pouvoir conscient a tracé le plan de la vie,
Il y a un sens dans chaque tournant et dans chaque ligne.

Totale et haute est l’architecture
Bâtie par des maçons renommés ou jamais nommés
Dont les mains sans voir obéissent à l’Au-delà,
Et parmi les maîtres bâtisseurs, Savitri est là.

Deux autres passages de Savitri sont nécessaires pour regarder notre question sous tous ces aspects.

Voici le premier :

Non seulement il y a de l'espoir pour les divinités pures
Mais pour les dieux violents et obscurcis
Bondis de l'unique poitrine en rage de découvrir
Ce que les dieux blancs avaient manqué :
Ceux-là aussi sont saufs.
Les yeux d'une Mère sont sur eux et ses bras tendus
Désirent avec amour ses fils rebelles.

Livre 10 – Le Livre du double demi-jour
Chant 2 – L'Évangile de la Mort et la Vanité de l'Idéal

Lorsque nous regardons cette funeste caste, l'une des réactions les plus fréquentes est d'entre rempli de colère, de rage, d'indignation, or, ce passage extraordinaire, nous dit qu'aux yeux de la Mère divine, ceux-là aussi sont ces enfants, et pour ceux-là aussi, il y a de l'espoir. Si nous voulons toucher un peu cette Compassion infinie dont est capable le Divin, c'est peut-être ce passage qui le fait le mieux.

Et puis, à la suite de Satprem dans l'Agenda du 27 janvier 1962, nous pouvons nous demander Satprem ce que les dieux blancs avaient manqué, et d'une certaine façon, rendu nécessaire les titans noirs. Voici la réponse de Mère :

Qu'est-ce que tu voulais demander ? Ce que les « dieux blancs ont manqué » ? Mais Sri Aurobindo l'a écrit, en plein, ici, dans les aphorismes. Il a dit tout ça, il a pris toutes les choses l'une après l'autre : «Sans cela, il n'y aurait pas ça; sans cela, il n'y aurait pas ça..., etc. »

88 – Ce monde fut construit par la Mort afin qu'elle puisse vivre. Voudrais-tu abolir la mort ? Alors la vie périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la mort, mais tu peux la transformer en un mode de vie plus grand.

89 – Ce monde fut construit par la Cruauté afin qu'elle puisse aimer. Voudrais-tu abolir la cruauté ? Alors l'amour périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir la cruauté, mais tu peux la transfigurer en son contraire : un Amour et un Délice impétueux.

90 – Ce monde fut construit par l'Ignorance et par l'Erreur afin qu'elles puissent connaître. Voudrais-tu abolir l'ignorance et l'erreur ? Alors la connaissance périrait du même coup. Tu ne peux pas abolir l'ignorance et l'erreur, mais tu peux les transmuer en ce qui dépasse la raison.

91 – Si la Vie seule existait, sans la mort, il ne pourrait pas y avoir d'immortalité. Si l'amour seul existait, sans la cruauté, la foie ne serait qu'un tiède ravissement éphémère. Si la raison seule existait, sans l'ignorance, notre réalisation la plus haute ne dépasserait pas un rationalisme étroit et une sagesse mondaine.

92 – Transformée, la Mort devient la Vie qui est Immortalité ; transfigurée, la Cruauté devient l'Amour qui est extase intolérable ; transmuée, l'Ignorance devient la Lumière qui bondit par-delà la sagesse et la connaissance.

Mais je me souviens aussi, avant d'avoir rencontré Sri Aurobindo, quand j'avais lu « La Tradition » (parce que Théon appelait ça La Tradition, et c'était une histoire romantique, romanesque, enfin tout à fait épisodique, mais ma foi très suggestive, de la création du monde), c'est là que j'avais eu la première indication de ces quatre premières émanations de la Mère universelle, quand le Seigneur a délégué son pouvoir de création à la Mère. Et c'était identiquement la même chose que la tradition indienne ancienne, seulement c'était raconté d'une façon presque enfantine – tout le monde pouvait comprendre, c'était une image. C'était comme une image de cinéma, et c'était très vivant.

Elle fait donc ses quatre premières émanations. La première, c'était la Conscience et la Lumière (ça venait du Satchidânanda). La seconde, c'était justement l'Ananda et l'Amour. La troisième, c'était la Vie ; et la quatrième, c'était la Vérité. Alors, selon l'histoire, conscients de leur pouvoir infini, au lieu de rester branchés sur la Mère suprême et, à travers Elle, sur le Suprême, et de recevoir de Lui l'indication de l'action, c'est-à-dire de faire les choses en ordre, ils sont partis chacun indépendant pour faire ce qu'ils voulaient faire – ils étaient conscients de leur pouvoir et ils pouvaient et ils ont fait. Ils ont oublié leur Origine. Et c'est ce premier oubli qui a fait que la Conscience est devenue Inconscience, la Lumière est devenue Obscurité; le second, l'Ananda, est devenu souffrance, l'Amour est devenu haine; le troisième, la Vie, est devenue la Mort; et le quatrième, la Vérité, est devenue le Mensonge. Et ils ont été instantanément précipités dans ce qui est devenu la Matière. Selon Théon, le monde tel que nous le connaissons est dû à cela. Et ça, c'était le Suprême Lui-même dans sa première manifestation.

Mais l'histoire est très compréhensible, on attrape la chose comme cela. Extérieurement, pour les intellectuels, c'est très enfantin, mais quand on a l'expérience, on comprend très bien – j'ai compris immédiatement, senti la chose.

Et une fois que le monde est devenu comme cela, qu'il est devenu le monde vital dans son obscurité et que, de ce monde vital, ils ont créé la Matière, la Mère suprême voit (riant) le résultat de ses quatre premières émanations et Elle se tourne vers le Suprême dans une grande imploration : « Il faut sauver ce monde maintenant qu'il est dans cet état épouvantable ! On ne peut pas le laisser, n'est-ce pas, il faut le sauver, il faut lui rendre la conscience divine. Que faire ? » Alors le Suprême di t: « Jette-toi dans une nouvelle émanation, mais ESSENTIELLE, de l'Amour, dans la Matière la plus matérielle », c'est-à-dire plonger dans la terre (la terre était devenue un symbole et une représentation de tout ce drame). « Plonge-toi dans la Matière. » Elle a plongé dans la Matière et c'était la première source du Divin à l'intérieur de la substance. Et de là, de l'intérieur (comme c'est si bien décrit dans Savitri), Elle commence à soulever la Matière.

Mais en même temps qu'Elle plongeait dans la terre, il y avait une seconde série d'émanations, les dieux, pour les régions intermédiaires entre Satchidânanda et la terre. Et ces dieux (riant), on a pris bien soin qu'ils soient parfaits pour qu'il n'y ait pas d'ennuis ! Mais ils sont un peu... un peu trop parfaits, non ? Oui, un peu trop parfaits : justement ils ne font jamais de fautes, ils font toujours exactement ce qu'on leur dit de faire... bref, un petit peu de manque d'initiative. Ils en ont, mais...

En fait, ils n'étaient pas surrendered [ils n'avaient pas fait leur soumission] à la manière dont peut le faire un être psychique, parce qu'ils n'avaient pas de psychique. L'être psychique est le résultat de cette descente. Il n'y a que les hommes qui en ont. Et c'est ce qui fait que l'humanité est TRÈS supérieure aux dieux. Théon, lui, insistait beaucoup là-dessus : dans toute son histoire, les hommes sont très supérieurs aux dieux et ils ne doivent pas leur obéir – ils ne doivent être en rapport qu'avec le Suprême sous son aspect d'Amour parfait.

Je ne sais pas comment dire... Moi, tous ces dieux m'ont toujours paru (pas tels qu'on les décrit ici dans les Pouranas, c'est différent – pas tellement différent !) mais tels que les présente Théon, ils étaient un peu « à la guimauve » ! Voilà. Ce n'était pas qu'ils n'avaient pas de pouvoir – ils avaient beaucoup de pouvoir, mais il leur manquait cette flamme de l'être psychique.

 

[...]

J'ai vraiment touché d'une façon très concrète à la vérité de cette cause de la déformation du monde, comme cela, beaucoup mieux qu'avec toutes les histoires hindoues – beaucoup mieux.

Le Bouddhisme et toutes ces lignes de pensée ont été par le chemin le plus court : « C'est le Désir d'exister qui est responsable de toute la faute », si le Seigneur s'était dispensé d'avoir ce Désir, il n'y aurait pas eu de monde ! Mais c'est enfantin. C'est enfantin, c'est une vision vraiment trop humaine du problème, n'est-ce pas.

Le point de vue de la joie d'être est très supérieur en qualité, mais alors reste le problème : pourquoi est-ce devenu comme cela ? – Parce que toutes les choses étaient possibles, et que c'est UNE des possibilités. Ce n'est pas très satisfaisant, on dit : « Oui-oui, bien sûr, c'est comme ça, c'est un fait. » Les gens demandaient aussi à Théon : « Mais pourquoi est-ce arrivé comme cela ? Pourquoi est-ce...?» – « Quand vous serez de l'autre côté, vous le saurez. Attendez d'être de l'autre côté. Et faites ce qu'il faut pour être de l'autre côté, c'est plus urgent. »

Mais il y a une supériorité : sans ces êtres-là, sans cette déformation du monde, il manquerait beaucoup de choses. Ces êtres-là contenaient en puissance des éléments absolument uniques – ça se comprend puisque c'est le premier flot. Et c'était justement pour cela, ils étaient encore tellement le Suprême qu'ils se sentaient le Suprême, et puis voilà. Seulement voilà, ce n'est pas tout à fait suffisant – justement parce que déjà ils étaient divisés en quatre, et qu'une seule division suffit pour que tout aille de travers. On comprend très bien : ce n'est pas essentiellement mauvais, c'est le FONCTIONNEMENT qui est mauvais, ce n'est pas la substance, ce n'est pas l'essence. Ce n'est pas l'essence qui est mauvaise, c'est un défaut de fonctionnement.

Mais si on comprend...

Les mots sont tellement enfantins que si on raconte cela à des gens intelligents, ils vous regardent avec pitié, mais ça vous fait saisir le problème d'une façon si concrète ! Ça m'a beaucoup aidée.

Et le second :

Revenons encore une fois au Livre 6 de Savitri et à Narad et ce passage du chant 1 :

Alors le ton du chanteur a changé,
Une émotion et un émerveillement faisaient vibrer sa voix :
Il ne chantait plus la lumière qui jamais ne pâlit
Ni l’unité, ni la pure félicité immortelle,
Il ne chantait plus le cœur impérissable de l’amour,
Son chant était un hymne de l’Ignorance et du Destin.

Il chantait le nom de Vichnou (1), et la naissance
Et la joie et la passion du monde mystique,
Et comment les étoiles furent créées et la vie commença
Et les terres silencieuses s’animèrent avec le battement d’une âme.

(1) Le dieu créateur.

Il chantait l’Inconscient et son moi secret,
Son pouvoir tout-puissant sans savoir ce qu’il fait,
Qui modèle tout sans vouloir, sans penser ni sentir,
Son mystère occulte, infaillible et aveugle,
Et les ténèbres qui ont soif de l’éternelle Lumière,
Et l’Amour qui couve au fond des sombres abîmes
Attendant une réponse des cœurs humains,
Et la mort qui grimpe vers l’immortalité.

Il chantait la Vérité qui crie au fond de la Nuit aveugle,
Et la Mère de Sagesse cachée dans la poitrine de la Nature
Et l’Idée qui œuvre derrière cette Nature muette
Et le miracle de ses mains transmutatrices :
Il chantait la vie qui sommeille dans la pierre et dans le soleil
Et le mental subliminal dans la vie sans mental,
Et la conscience qui s’éveille dans les bêtes et dans les hommes.

Il chantait la gloire et la merveille qui doivent naître
Et le Suprême qui arrache enfin son voile,
Il chantait le corps devenu divin et la vie devenue félicité,
L’immortelle tendresse qui embrasse l’immortel pouvoir,
Le cœur qui sent directement les cœurs,
La pensée qui voit directement les pensées,
Et le délice quand toutes les barrières tombent,
Et la transfiguration et l’extase.

Alors, tandis qu’il chantait les démons se mirent à pleurer de joie
Voyant venir la fin de leur longue et terrible tâche
Et la défaite qu’ils avaient en vain espérée,
Et l’heureuse délivrance du destin funeste
Qu’ils avaient eux-mêmes choisi
Et le retour en l’Un d’où ils étaient venus
.

🌸

Quand nous regardons cette caste malveillante au pouvoir, parfois d'inspiration si manifestement, perverse, démoniaque, diabolique, nous avons dû mal à imaginer qu'ils ont eux-mêmes choisis cette terrible tâche, et qu'ils aspirent à la délivrance. L'aphorisme 132 de Sri Aurobindo est sans doute l'une des meilleures clefs de compréhension à la disposition de notre petit mental qui ne contente souvent des apparences. Ces passages de Savitri et cet aphorisme nous emmènent à une compréhension tellement plus profonde...

Quand je ne savais rien, j’abhorrais le criminel, le pécheur et l’impur, parce que j’étais moi-même plein de crimes, de péchés et d’impuretés ; mais quand je fus nettoyé et que mes yeux furent dessillés, alors je m’inclinai en mon esprit devant le voleur et le meurtrier, et j’adorai les pieds de la prostituée ; car je vis que ces âmes avaient accepté le fardeau terrible du mal et drainé pour nous tous la plus grande part du poison bouillonnant de l’océan du monde.

...et ils contiennent tellement d'Amour, un Amour tellement immense, tellement poignant, que cela en est presque douloureux, que cela donne envie de pleurer...

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