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LIVRE DEUX – CHAPITRE DEUX

LA SYNTHÈSE DE LA DÉVOTION ET DE LA CONNAISSANCE

Premier paragraphe :

En dépit du nombre important d’idées métaphysiques qui se présentent au fil de ses pages, la Guîtâ n’est pas un traité de philosophie métaphysique, car elle ne contient pas de vérité métaphysique exprimée seulement pour elle-même. Elle cherche la vérité la plus haute pour la plus haute utilité pratique, non pour une satisfaction intellectuelle ni même spirituelle, mais comme la vérité qui sauve et nous ouvre le passage de notre présente imperfection mortelle à une immortelle perfection.

Dès lors, après nous avoir donné, dans les quatorze premiers versets de ce chapitre, une vérité philosophique directrice dont nous avons besoin, elle se hâte, dans les seize versets suivants, de l’appliquer immédiatement. Elle en fait un premier point de départ pour unifier les œuvres, la connaissance et la dévotion — car la synthèse préliminaire des œuvres et de la connaissance seulement a déjà été accomplie.

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Tout acte et tout devenir qui procèdent directement de cette force spirituelle sont un devenir divin et une action pure et spirituelle. Il s’ensuit dès lors que, dans l’action, l’individu humain doit s’efforcer de revenir à sa vraie personnalité spirituelle et de faire découler toutes ses œuvres du pouvoir de la Shakti divine de celle-ci, de développer l’action grâce à l’âme et à l’être intrinsèque le plus profond — et non au moyen de l’idée mentale et du désir vital — et de changer tous ses actes en une pure coulée de la volonté du Suprême, toute sa vie en un symbole dynamique de la Nature divine.

Mais il y a aussi cette nature inférieure définie par les trois gounas et dont le caractère est celui de l’ignorance, et l’action celle de l’ignorance   : mélangée, confuse, pervertie, l’action de la personnalité inférieure, de l’ego, de l’individu naturel et non de l’individu spirituel. C’est afin de nous retirer de cette fausse personnalité qu’il nous faut recourir au Moi impersonnel et devenir un avec lui. Alors, ainsi libérés de la personnalité de l’ego, nous pouvons trouver le lien qui unit l’individu vrai au Pouroushôttama.

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La Guîtâ a, dès le début, stipulé que la toute première condition de la naissance divine, de l’existence supérieure est la mise à mort du désir radjasique et de ses enfants, et cela signifie l’exclusion du péché. Le péché est ce qu’exécute la nature inférieure afin de satisfaire grossièrement ses tendances radjasiques et tamasiques, ignorantes, mornes ou violentes, en révolte contre tout haut contrôle et toute haute maîtrise de la nature par l’esprit.

Et pour nous débarrasser de cette grossière coercition imposée à l’être par la Prakriti inférieure en ses modes inférieurs, nous devons avoir recours au mode le plus élevé de cette Prakriti, le mode sattvique, qui, lui, recherche toujours une harmonieuse lumière de connaissance et une juste loi d’action. Le Purusha, l’âme en nous qui consent dans la Nature à la diverse impulsion des gounas, doit donner son accord à cette impulsion sattvique, à cette volonté et à ce tempérament sattviques en notre être qui recherchent une telle loi. C’est la volonté sattvique en notre nature qui doit nous gouverner, et non la volonté radjasique et tamasique.

Tel est le sens de toute haute raison dans l’action comme de toute culture éthique vraie ; la Nature en nous s’efforce d’évoluer de son action inférieure et désordonnée à son action supérieure et ordonnée, et sa loi est d’agir non point dans la passion et l’ignorance avec pour résultat le chagrin et l’agitation, mais dans la connaissance et la volonté éclairée avec pour résultat le bonheur, l’équilibre, la paix intérieurs.

Nous ne pouvons dépasser les trois gounas que nous ne commencions par développer en nous-mêmes le gouvernement du gouna le plus haut, le sattva.

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«   Ne parviennent pas à Moi, dit le Purushôttama, ceux qui font le mal, âmes dévoyées, en bas de l’échelle humaine ; car la connaissance leur est arrachée par la Mâyâ, et ils recourent à la nature d’être de l’asura.   »

[…]

Servir l’ego et le désir sans aspirer à une nature supérieure et à une loi plus haute, c’est avoir le mental et le tempérament de l’asura.

Page 380-381

Nous avons déjà vu qu’à cet effet la connaissance de soi, l’égalité, l’impersonnalité sont les premières choses nécessaires, et que c’est là le moyen de concilier la connaissance et les œuvres, la spiritualité et l’activité dans ce monde, le quiétisme toujours immobile du moi intemporel et le jeu éternel de l’énergie pragmatique de la Nature.

Mais la Guîtâ stipule à présent une autre nécessité, et plus grande, pour le karma-yogi qui a unifié son Yoga des œuvres et le Yoga de la connaissance. Ce ne sont pas seulement la connaissance et les œuvres qu’à présent on attend de lui, mais la bhakti également, la dévotion pour le Divin, l’amour et l’adoration et le désir de l’âme pour le Suprême.

Cette exigence, qui jusqu’ici n’a pas été expressément formulée, avait toutefois été amorcée lorsque l’Instructeur avait spécifié que le tournant nécessaire de son Yoga était la conversion de toutes les œuvres en un sacrifice au Seigneur de notre être avec pour sommet l’abandon de toutes les œuvres non seulement dans notre Moi impersonnel, mais, par l’impersonnalité, dans l’Être dont toute notre volonté et tout notre pouvoir tirent leur origine.

Ce qui était alors sous-entendu est désormais amené à la lumière, et nous commençons de voir plus complètement le dessein de la Guîtâ.

[...]

«   Par l’illusion des dualités, qui naît du souhait et de l’antipathie, toutes les existences dans la création sont fourvoyées   », dit la Guîtâ. C’est l’ignorance, c’est l’égoïsme qui ne peut voir le Divin partout et partout Le saisir, parce qu’il ne voit que les dualités de la Nature et s’occupe constamment de sa propre personnalité séparée, de ce qu’elle recherche et de ce devant quoi elle recule.

Pour échapper à ce cercle, la première nécessité dans nos œuvres est de nous débarrasser du péché de l’ego vital, du feu de la passion, du tumulte du désir de la nature radjasique, et cela doit se faire au moyen de l’impulsion sattvique stabilisante de l’être éthique. Lorsque cela est fait, [...] il est nécessaire de se hisser au-dessus des dualités et de devenir impersonnel, égal, un avec l’Immuable, un avec toutes les existences. Sur ce processus de croissance en l’esprit, se termine notre purification.

Mais tandis que cela s’opère, tandis que l’âme s’amplifie dans la connaissance de soi, elle doit aussi grandir en dévotion. Car elle ne doit pas seulement agir dans un vaste esprit d’égalité, mais sacrifier au Seigneur, à ce Divin en tous les êtres qu’elle ne connaît pas encore parfaitement, et qu’elle sera ainsi capable de connaître, intégralement, lorsqu’elle aura la vision ferme du moi unique partout et dans toutes les existences.

Une fois parfaitement acquises l’égalité et la vision de l’unité, une suprême bhakti, une dévotion pour le Divin, et qui inclut tout, devient l’entière et unique loi de l’être. Toute autre loi de conduite se fond en cette soumission.

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Mais en combinant la tranquille impersonnalité du moi unique avec la nécessité des œuvres de la Nature accomplies en sacrifice au Seigneur, nous échappons, grâce à cette double clef, à la personnalité égoïste inférieure et croissons en la pureté de notre personne spirituelle vraie. Alors, nous ne sommes plus l’ego enchaîné et ignorant dans la Nature inférieure, mais le libre jîva dans la Nature suprême.

Page 383-384

Je suis ce Purushôttama, qui suis par-delà le mutable et plus grand et plus haut que l’immuable même. Celui qui connaît que Je suis le Purushôttama, M’adore (a pour Moi la bhakti) et possède toute la connaissance selon toutes les voies de son être naturel.   » Et c’est cette bhakti d’une connaissance intégrale et d’un intégral don de soi que la Guîtâ commence à présent de développer.

Il faut noter en effet que c’est la bhakti avec la connaissance que la Guîtâ attend du disciple, et que toutes les autres formes de dévotion, si elle les considère bonnes en elles-mêmes, ne lui semblent pas moins inférieures ; elles peuvent être utiles sur le chemin, mais ne sont pas la chose qu’elle vise en la culmination de l’âme. Parmi ceux qui ont écarté le péché de l’égoïsme radjasique et qui marchent vers le Divin, la Guîtâ distingue quatre types de bhaktas.

Il y a ceux qui se tournent vers Lui, Le prenant pour refuge contre le chagrin et la souffrance dans le monde. Il y a ceux qui Le cherchent comme dispensateur du bien dans le monde. Il y a ceux qui viennent à Lui, poussés par le désir d’avoir la connaissance. Et enfin, il y a ceux qui L’adorent en toute connaissance. Tous ont l’approbation de la Guîtâ, mais ce n’est que sur le dernier qu’elle appose le sceau de son entier accord. Tous ces mouvements sans exception sont élevés et bons, mais la bhakti alliée à la connaissance les surpasse tous.

Nous pouvons dire que ces formes sont successivement la bhakti de la nature vitale-émotive et affective 1, celle de la nature pratique et dynamique, celle de la nature intellectuelle qui raisonne et celle de l’être intuitif le plus haut qui reprend tout le reste de la nature dans l’unité avec le Divin. En pratique, toutefois, on peut regarder les autres comme des mouvements préparatoires.

Car la Guîtâ elle-même dit ici que c’est seulement au terme de maintes existences qu’après être entré en possession de la connaissance intégrale et l’avoir élaborée en soi-même au fil de vies nombreuses, on peut enfin atteindre au Transcendant. La connaissance que le Divin est tout ce qui existe est en effet difficile à atteindre, et rares sur la terre sont les grandes âmes, capables de Le voir ainsi pleinement et d’entrer en Lui de tout leur être, dans toutes les voies de leur nature, par le vaste pouvoir de cette connaissance qui englobe tout.

1. La bhakti plus récente avec son amour extatique est, à sa racine, de nature psychique ; elle n’est vitale-émotive que dans ses formes inférieures ou dans certaines de ses manifestations plus extérieures.

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Très rare est la grande âme qui sait que Vâsudéva, l’Être omniprésent, est tout ce qui est. Les hommes sont égarés par des désirs extérieurs variés qui les distraient du fonctionnement de la connaissance intérieure. Dans leur ignorance, ils recourent à d’autres divinités, à des formes imparfaites de la déité qui correspondent à leur désir. Limités, ils établissent cette règle ou ce culte, qui satisfont le besoin de leur nature. Et en tout cela, c’est la contrainte d’une détermination personnelle, c’est cet étroit besoin de leur nature qu’ils suivent et prennent pour la vérité suprême — incapables encore de l’infini et de son ampleur.

Le Divin, sous ces formes, leur donne ce qu’ils désirent si leur foi est entière, mais de tels fruits, de telles gratifications sont temporaires, et il faut une piètre intelligence et une raison informe pour faire de leur poursuite un principe de religion et de vie.

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Mais ceux qui adorent le Divin transcendant et intégral embrassent tout cela et le transforment, exhaussent les dieux à leur zénith, la Nature à ses sommets, vont au-delà pour arriver jusqu’au Divin, réalisent et atteignent le Transcendant.

Néanmoins, le Divin suprême ne rejette nullement ces adorateurs-là sous prétexte de leur vision imparfaite. Car le Divin en Son être suprême transcendant, non né, indiminuable et supérieur à toutes ces manifestations partielles, ne peut aisément être connu d’aucune créature vivante.

Il est par Lui-même enveloppé en cet immense manteau de Mâyâ, cette Mâyâ de Son Yoga par quoi Il est un avec le monde et cependant au-delà du monde, immanent, mais caché, siégeant dans tous les cœurs mais sans être révélé à tous et à chacun.

L’homme dans la Nature pense que toutes ces manifestations dans la Nature sont toutes le Divin, alors qu’elles n’en sont que les œuvres, les pouvoirs et les voiles. Le Divin connaît toutes les existences passées et toutes les existences présentes et futures, mais Lui nul encore ne Le connaît.

Alors, si après les avoir ainsi désorientés avec Ses fonctionnements dans la Nature, Il devait ne pas les y rencontrer du tout, il n’y aurait nul espoir divin pour l’homme, ni pour aucune âme dans la Mâyâ. En conséquence, et suivant leur nature, comme ils L’approchent, Il accepte leur bhakti et y répond par l’amour divin et la divine compassion.

Ces formes, après tout, sont une certaine sorte de manifestation par laquelle l’intelligence humaine imparfaite peut entrer en contact avec Lui, ces désirs sont les premiers moyens par lesquels nos âmes se tournent vers Lui, et il n’est de dévotion sans valeur ni efficacité, quelles qu’en soient les limitations.

Chacune répond à la seule grande nécessité, la foi. «   Quelque forme de Moi qu’un adepte désire adorer avec foi, Je rends sa foi robuste et résolue.   » Par la force de cette foi en son culte et son adoration, son désir est accompli, ainsi que la réalisation spirituelle dont il est pour le moment capable.

En cherchant à obtenir tout son bien du Divin, il finira par rechercher tout son bien dans le Divin. En dépendant du Divin pour ses joies, il apprendra à établir toute sa joie dans le Divin. En connaissant le Divin dans Ses formes et Ses qualités, il parviendra à Le connaître comme le Tout et comme le Transcendant qui est la source de toute chose.

Ainsi, par le développement spirituel, la dévotion devient-elle une avec la connaissance.

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