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Extraits du 6e chapitre du Yoga de la Perfection de Soi

Autant le chapitre précédent fut un peu aride, autant celui-ci par son aspect concret nous parle davantage – nous avons un extraordinaire diagnostic des maux qui affligent notre libre compréhension des choses avec le remède nécessaire. Alors nous avons un espoir de sortir de l’affligeante ignorance dans laquelle nous sommes englués. Sans cela, il n'y aurait pas d'espoir... et à ma connaissance, je n'ai jamais rencontré un seul thérapeute, un seul praticien expliquer ces choses si fondamentales. 

Je partage ci-dessous quelques extraits, mais je recommande vivement le lecture de ce chapitre dans son intégralité. 

Chapitre 6 : page 135-144

[...] En attendant l’émergence d’un pouvoir supramental supérieur, la volonté intelligente doit être notre force d’exécution principale ; la purifier devient donc une nécessité absolument primordiale.

Une fois notre intelligence et notre volonté bien purifiées de tout ce qui les limite et leur communique un mouvement faux ou une direction fausse, elles peuvent facilement être perfectionnées. Elles peuvent apprendre à répondre aux suggestions de la Vérité, à se comprendre elles-mêmes et à comprendre les autres parties de l’être, à voir clairement et avec une fine et scrupuleuse exactitude ce qu’elles font, à suivre le vrai chemin sans erreur ni hésitation ni trop d’empressement, sans faux pas, sans dévier de leur but. Finalement, elles peuvent s’ouvrir et répondre aux discernements parfaits, aux intuitions, aux inspirations, aux révélations du supramental, et suivre un mouvement de plus en plus lumineux et même infaillible.

Mais cette purification ne peut s’effectuer sans un déblaiement préalable des obstacles naturels dans les parties inférieures de l’antahkarana ; et le principal obstacle naturel qui envahit toute l’action de l’antahkarana par les sens, les sensations mentales, les émotions, les impulsions dynamiques, l’intelligence, la volonté, est l’intrusion du prâna psychique et de ses revendications tyranniques.

C’est donc cela qu’il faut traiter ; son intrusion et sa domination doivent être éliminées, ses revendications refusées et lui-même tranquillisé et préparé à la purification.

Pour rappel, dans le chapitre précédent Sri Aurobindo explique que l'énergie (le prâna) fait le lien entre le physique et le mental et que le prâna physique sert à soutenir le fonctionnement du corps et que le prâna psychique sert à soutenir le fonctionnement du mental. Voyons la suite :

[...] L’action propre du prâna psychique est la possession et la jouissance pures, bhôga. Jouir de la pensée, de la volonté, de l’action, de l’élan dynamique, du résultat de l’action, des émotions, des sentiments, des sensations, et jouir aussi, par eux, des objets, des personnes, de la vie et du monde, telle est l’activité à laquelle ce prâna fournit une base psycho-physique. Une jouissance vraiment parfaite de l’existence ne peut venir que quand l’objet de notre jouissance n’est pas le monde en lui-même et pour lui-même mais Dieu dans le monde, quand ce ne sont pas les choses elles-mêmes mais l’Ânanda de l’esprit dans les choses qui constitue l’objet véritable, essentiel, de notre jouissance, les choses n’étant que des formes et des symboles de l’esprit, des vagues de l’océan d’Ânanda.

Mais cet Ânanda ne peut vraiment se manifester que lorsque nous arrivons à dégager et refléter dans nos divers éléments l’être spirituel caché, et sa plénitude ne peut s’obtenir qu’en s’élevant jusqu’au supramental.

En attendant, il existe une jouissance humaine des choses, juste, permise, tout à fait légitime, qui est d’une nature principalement sâttvique, pour employer le langage psychologique de l’Inde. C’est une jouissance éclairée, surtout dans le mental perceptif, esthétique et émotif, et accessoirement seulement dans l’être sensoriel nerveux et dans l’être physique, mais tous sont également soumis au gouvernement lucide de la buddhi, à une raison et une volonté justes, une juste réceptivité des impacts de la vie, un ordre juste, un sentiment juste de la vérité, de la loi, du sens idéal et de la beauté des choses et de leur usage.

Le mental extrait la pure essence, la pure jouissance, rasa (1) , et rejette tout ce qui est agité, trouble ou pervers. À cette acceptation du rasa clair et limpide, le prâna psychique doit apporter le sens complet de la vie et une jouissance qui emplisse tout l’être, bhôga, sans quoi l’acceptation et la possession mentales, rasa-grahana, ne seraient pas assez concrètes, elles seraient trop éthérées pour satisfaire tout à fait l’âme dans un corps. Cette contribution est sa fonction propre.

(1) Prononcer «   rassa   ».

Ainsi, nous avons déjà les indications suivantes : l'importance accordée à la volonté et notre droit légitime à la possession et à la jouissance, pour peu que celles-ci soit vécues de la bonne façon. Apprendre à utiliser notre volonté et la jouissance juste des choses est un premier pas. Dans les deux paragraphes suivants, Sri Aurobindo décrit de façon saisissante  les ravages causés par l’intrusion du désir et, après les explications sur le diagnostic, conclut avec le remède :

Ce qui s’oppose à la pureté, cet élément qui s’introduit dans notre nature et la pervertit est une forme de convoitise vitale. Au fond, la grande déformation que le prâna psychique impose à notre nature, c’est le désir. Or le désir s’enracine dans la convoitise vitale qui cherche à se saisir de ce que nous croyons ne pas posséder ; c’est l’instinct limité de la vie qui veut posséder et se satisfaire.

Il crée un sentiment de manque   : d’abord la simple convoitise vitale   : la faim, la soif, la luxure, puis les appétits de toutes sortes ; puis les convoitises psychiques du mental qui sont une affliction beaucoup plus grande et plus accaparante et qui s’infiltrent dans tout notre être — la faim qui est infinie parce que c’est la faim d’un être infini, et la soif à jamais inassouvie car elle est par nature insatiable.

Le prâna psychique envahit le mental-des-sensations et y introduit la soif sans trêve de sensations ;

il envahit le mental dynamique, convoite l’autorité, veut posséder, dominer, réussir à tout prix, satisfaire toutes ses impulsions ;

prenant possession du mental émotif, il cherche à satisfaire ses sympathies, à donner libre cours à ses antipathies, à son amour, à sa haine ;

il est cause des reculs et des paniques, de la frayeur et des tensions et des espoirs déçus, il impose les tortures de la douleur, les fièvres soudaines et les flambées de joie, vite éteintes ;

il pousse l’intelligence et la volonté intelligente à devenir leurs complices pour en faire des instruments déformés et boiteux dans leur propre domaine   : la volonté devient convoitise et l’intelligence avide, partiale et tâtonnante court après des opinions limitées et hâtives et des préjugés militants.

Le désir est à la racine de tous les chagrins, toutes les déceptions, toutes les afflictions, car, bien qu’il goûte la joie fiévreuse de la quête et de la satisfaction, il crée sans cesse une tension dans l’être ; cette quête et ce gain s’accompagnent d’un dur labeur, d’une faim, d’un conflit, d’une prompte sujétion à la fatigue, d’un sentiment de limitation et d’insatisfaction, d’un désappointement rapide face à toutes ses acquisitions, d’une stimulation malsaine et sans trêve, du trouble, de l’inquiétude   : ashânti.

Se débarrasser du désir est l’unique, l’indispensable et puissante purification du prâna psychique ; dès lors, nous pouvons remplacer l’âme de désir et son ingérence générale dans tous nos instruments par l’âme mentale de calme et limpide félicité qui prend possession de nous-mêmes, du monde et de la Nature, car c’est sur cette clarté cristalline que se fondent la vie mentale et sa perfection.

🌸

Le prâna psychique envahit et déforme toutes les opérations supérieures, mais son défaut est d’être lui-même envahi et déformé par la nature du fonctionnement physique du corps tel que la vie l’a élaboré en émergeant de la matière, car c’est lui qui a créé une séparation entre la vie individuelle incarnée et la vie universelle, et marqué cette vie individuelle du sceau de la limitation, de la faim, de la soif, du manque, de la convoitise pour ce qu’elle ne possède pas, et l’a changée en une longue recherche tâtonnante de la jouissance et en un besoin de possession contrarié et déçu.

On peut aisément régler et limiter ce fonctionnement dans le domaine purement physique, mais il s’étend démesurément dans le prâna psychique, et plus le mental se développe, plus il devient difficile de le refréner ; insatiable, inconstant, il crée inlassablement désordre et maladies. En outre, le prâna psychique s’appuie sur la vie physique ; il se limite à la force nerveuse de l’être physique et restreint ainsi les opérations du mental, contribuant à sa dépendance à l’égard du corps ; ainsi le mental succombe à la fatigue, à l’impuissance, à la maladie, la confusion, la démence, il devient de plus en plus fragile, et cela peut même aller jusqu’à la dissolution du mental physique. Au lieu d’être une puissance en soi, un instrument limpide de l’esprit conscient et libre, capable de gouverner, d’utiliser et de perfectionner la vie et le corps, le mental nous apparaît comme un mécanisme composite ; c’est principalement une mentalité physique limitée par ses organes et asservie aux exigences et aux obstructions de la vie corporelle.

Le remède :

On ne peut se débarrasser de cette infirmité que par une sorte d’opération psychologique pratique d’analyse intérieure qui nous fait percevoir la mentalité comme un pouvoir séparé ; on l’isole pour lui permettre de fonctionner indépendamment, ce qui nous permet en même temps de distinguer le prâna psychique du prâna physique et d’en faire, non plus un lien de dépendance mais un canal de transmission de l’Idée et de la Volonté de la buddhi, docile à ses suggestions et à ses ordres ; dès lors, le prâna devient un organe d’exécution passif de l’autorité directe du mental sur la vie physique.

Cette autorité, bien qu’anormale pour la position habituelle de notre action — dans une certaine mesure, elle se manifeste dans les phénomènes de l’hypnose, mais ceux-ci sont anormaux et malsains parce que c’est une volonté étrangère qui suggère et commande —, est non seulement possible mais doit devenir normale lorsque le Moi supérieur au-dedans prend le commandement direct de tout l’être.

Cependant, cette autorité ne peut s’exercer parfaitement que du niveau supramental, car c’est là que se trouvent l’Idée et la Volonté réalisatrices vraies ; le mental pensant, même spiritualisé, n’est qu’un député limité, encore qu’il puisse devenir très puissant.

Tectona grandis – Teck

Renoncement aux désirs

La condition essentielle de la réalisation.

Autres fleurs :

Absence de désir • Atalantia monophylla, Rutaceae

Renoncement aux désirs émotifs • Angelonia salicariifolia, Plantaginaceae; Alt. Scrophulariaceae

Renoncement aux désirs vitaux • Angelonia grandiflora, Plantaginaceae

Renoncement aux désirs vitaux • Angelonia salicariifolia, Plantaginaceae; Alt. Scrophulariaceae

Renoncement intégral aux désirs vitaux • Angelonia salicariifolia, Plantaginaceae; Alt. Scrophulariaceae

Travail désintéressé fait pour le Divin • Crinum, Liliaceae; Alt. Amaryllidaceae

Travail désintéressé fait pour le Divin dans le vital • Crinum, Liliaceae; Alt. Amaryllidaceae

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Dans le paragraphe suivant, Sri Aurobindo explique quelque chose de TRÈS importante sur cette fameuse volonté intelligente que nous connaissons encore fort peu :

On a souvent considéré que le désir était la vraie puissance motrice de l’existence humaine et qu’en le rejetant, on supprimait son ressort ; les êtres humains ne trouveraient de jouissance que dans la satisfaction du désir, et l’éliminer reviendrait à étouffer l’élan vital par un quiétisme ascétique. Mais en fait la véritable puissance motrice de la vie de l’âme est la Volonté ; le désir est seulement une déformation de la volonté dans le règne de la vie corporelle et dans le mental physique.

Ce que cherche l’âme quand elle se tourne vers le monde pour le posséder et en jouir, c’est essentiellement la joie ; c’est cela qu’elle recherche, et la jouissance que procure un désir satisfait n’est qu’une dégradation vitale et physique de cette volonté, de cette quête de la félicité. Nous devons absolument faire la distinction entre la volonté pure et le désir, entre la volonté intérieure de goûter cette joie et la convoitise ou la luxure superficielles du mental et du corps.

[...]

Mais si nous pouvons saisir la volonté pure, non déformée par le désir — qui, nous le découvrirons, est une force beaucoup plus libre, plus tranquille, plus régulière et efficace que la flamme tressaillante et enfumée du désir, vite fatigué et déçu —, si nous pouvons trouver la calme volonté intérieure de félicité qui n’est pas affligée ni limitée par le tourment de la convoitise, alors nous pourrons transformer le prâna, et, d’un tyran ennemi, de l’agresseur du mental qu’il est à présent, en faire un instrument docile.

Nous pouvons dire que cette volonté supérieure est elle aussi un désir, mais il faut alors supposer qu’il existe un désir divin autre que la convoitise vitale   : un désir de Dieu, dont ce phénomène inférieur est l’ombre, l’obscur reflet, et en lequel il doit être transfiguré. Il est préférable d’employer un mot différent pour des choses dont la nature et l’action intérieure sont entièrement différentes.

La fin du chapitre traite de la purification du mental émotif et du mental-des-sensations :

La première étape de la purification consiste donc à débarrasser le prâna de son élément de désir, et par suite de renverser la position ordinaire de notre nature en faisant de l’être vital et de son pouvoir dominateur et persécuteur, l’instrument obéissant d’un mental libre et détaché. Rectifier la déformation du prâna psychique facilite la purification des autres parties intermédiaires de l’antahkarana, et quand ce processus est achevé, elle peut même devenir absolue.

Ces parties intermédiaires sont le mental émotif, le mental-des-sensations récepteur et le mental des sensations actif ou mental des impulsions dynamiques. Ils sont reliés par un solide réseau interactif.

La déformation du mental émotif pivote autour de la dualité sympathie-antipathie, râga-dvesha, et celle des attractions et répulsions émotives. Toute la complexité de nos émotions et la tyrannie qu’elles exercent sur l’âme proviennent de l’habitude de répondre à ces attractions et à ces répulsions comme le veut l’âme de désir dans les émotions et les sensations.

L’amour et la haine, l’espoir et la peur, le chagrin et la joie, jaillissent de cette unique source. Nous apprécions, nous aimons, acceptons, espérons, nous nous réjouissons de tout ce que notre nature — première habitude de notre être — ou de tout ce que les habitudes acquises et souvent perverties — seconde nature de notre être — présentent à notre mental comme agréable, priyam ; par contre, nous haïssons, craignons, nous éprouvons répulsion, déplaisir ou chagrin pour tout ce qui nous est présenté comme désagréable, apriyam.

Cette habitude de la nature émotive entrave la volonté intelligente et en fait souvent l’esclave impuissante de l’être émotif, ou tout au moins l’empêche d’exercer librement son jugement et de gouverner la nature.

Cette déformation doit être corrigée. Si nous nous débarrassons du désir dans le prâna psychique et de son intrusion dans le mental émotif, cela devient plus facile. Dès lors, l’attachement, qui est l’entrave du cœur, se dénoue ; l’habitude involontaire du râga-dvesha persiste, mais n’étant plus obstinément renforcée par l’attachement, elle peut plus aisément être utilisée par la volonté et l’intelligence. Le cœur agité s’apaise, débarrassé de ses attractions et répulsions habituelles.

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Mais on pourrait croire que cette opération entraîne la mort de l’être émotif, comme pour le désir. Et certainement, il en serait ainsi si la déformation était éliminée sans être remplacée par le fonctionnement juste du mental émotif ; le mental entrerait alors dans un état neutre d’indifférence, un vide, ou dans un état lumineux d’impartialité paisible, sans mouvement ni vague d’émotion. Le premier état n’est nullement désirable ; l’autre serait la perfection d’une discipline quiétiste ; mais pour la perfection intégrale qui ne rejette pas l’amour ni ne fuit les mouvements variés de la félicité, ce ne peut être qu’une étape à dépasser, une passivité préliminaire que l’on accepte comme première base d’une activité juste.

L’attraction et la répulsion, la sympathie et l’antipathie sont un mécanisme nécessaire pour l’homme ordinaire, elles l’aident à se former un premier principe de sélection instinctive et naturelle parmi les milliers d’impacts flatteurs ou redoutables, utiles ou dangereux, du monde autour de lui. La buddhi part de ces matériaux, les travaille, essaie de corriger la sélection naturelle et instinctive par une sélection plus sagement raisonnée et délibérée, car il est évident que la chose plaisante n’est pas toujours la chose juste ni l’objet à préférer et à choisir, ni la chose déplaisante la chose mauvaise ou l’objet à éviter et à rejeter ; le plaisant et le bon, preyas et shreyas, doivent être clairement démêlés, et notre choix doit suivre la juste raison et non les caprices de nos émotions.

Or la raison nous aide à faire ce choix plus facilement quand la suggestion émotive se retire et que le cœur est au repos dans une passivité lumineuse. Alors, les vraies émotions du cœur peuvent faire surface, et nous voyons que derrière l’âme de désir tyrannisée par les émotions attendait depuis toujours une âme d’amour et de joie et de félicité lucides, une psyché pure qui était voilée par la déformation de la colère, de la peur, de la haine, de la répulsion, et ne pouvait pas embrasser le monde dans une joie et un amour impartiaux.

Le cœur purifié est alors délivré de la colère, affranchi de la peur et de la haine, de toute répugnance et de toute répulsion ; il ressent un amour universel, il peut recevoir avec une douceur et une clarté sans trouble toute joie que Dieu lui offre en ce monde. Pourtant il ne sera pas le mol esclave de l’amour et de la félicité, car il ne désire pas, ne cherche pas à s’imposer comme le maître de l’action.

Le processus de sélection nécessaire à l’action est laissé principalement à la buddhi et, quand la buddhi a été dépassée, à l’esprit dans la volonté, la connaissance et l’Ânanda supramentaux.

Le dernier paragraphe est consacré au mental-des-sensations.

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