04 – La perfection de l’être mental
Extraits du 4e chapitre du Yoga de la Perfection de Soi
Ce chapitre m'a si impressionné que je l'ai lu trois fois et qu'il a enclenché une longue expérimentation nocturne. Et pourtant, les idées qu'il énonce s’enchaînent de façon si magistrale que je suis bien embarrassé pour en faire un résumé. Je vous invite donc vivement à le lire dans son intégralité.
Une fois encore, comment ne pas être stupéfait par l'extraordinaire densité de connaissance que nous offre Sri Aurobindo ? Il y a en effet plus de connaissance dans ces 12 pages que souvent dans un livre entier.
Chapitre 4 : page 109-121
Tachons tout de même d'attirer l'attention sur les idées essentielles. En introduction, l'idée principale tourne autour de ce mouvement de recul de la conscience par rapport au mental, à la vie et au corps.
Pour être en possession de son être avec une liberté et une maîtrise suffisamment réelles et complètes, l’homme doit d’abord découvrir en lui-même son moi le plus haut, l’homme réel, le Purusha suprême inaliénablement libre et souverain de par son propre pouvoir. Il doit cesser d’être l’ego mental, vital et physique, car cet ego est toujours le produit, l’instrument et le sujet de la Nature mentale, vitale et physique. Cet ego n’est pas notre moi réel, c’est l’instrument par lequel la Nature a développé la notion d’une existence individuelle limitée et séparée dans le mental, la vie et le corps. Ainsi l’homme agit comme s’il était une existence séparée dans l’univers matériel.
La Nature a élaboré certaines conditions habituelles limitatives pour servir de cadre à cette action ; l’identification de l’âme avec l’ego est le moyen que la Nature emploie pour persuader l’âme de consentir à cette action et d’accepter ces conditions. Tant que l’identification persiste, l’être est emprisonné dans la ronde habituelle de cette action restreinte, et tant qu’elle n’est pas transcendée, l’âme ne peut jouir librement de son existence individuelle, et encore moins se dépasser elle-même réellement.
Pour cette raison, l’un des mouvements essentiels du yoga consiste à se détacher du sens extériorisateur de l’ego qui fait que nous nous identifions à l’action du mental, de la vie et du corps, et à vivre intérieurement dans l’âme.
Cette libération est le premier pas vers la liberté et la maîtrise de l’âme.
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Quand nous nous retirons ainsi dans l’âme, nous constatons que nous ne sommes pas le mental, mais un être mental qui se tient derrière l’action du mental dans le corps, pas une personnalité mentale et vitale — la personnalité est une composition de la Nature — mais une Personne mentale, manomaya purusha. Nous prenons conscience d’un être au-dedans qui prend position dans le mental pour se connaître lui-même et connaître le monde et qui se conçoit comme un individu pour avoir l’expérience de soi et l’expérience du monde, pour agir intérieurement et extérieurement, tout en étant différent du mental, de la vie et du corps.
Ce sentiment d’être différent des actions vitales et de l’être physique devient alors très aigu ; le Purusha sent que son mental est enclos dans la vie et dans le corps, et pourtant il est conscient que même si la vie physique et le corps venaient à cesser ou à se dissoudre, il continuerait à exister en son être mental.
Mais le sentiment d’être différent du mental est plus difficile à percevoir et moins clairement délimité. Cependant, il existe ; il se caractérise par trois intuitions, ou l’une quelconque d’entre elles, en lesquelles vit le Purusha mental et par lesquelles il prend conscience de son existence plus vaste.
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1) Il a tout d’abord l’intuition de lui-même en tant qu’observateur de l’action du mental : c’est quelque chose qui se déroule en lui, et en même temps devant lui comme objet de sa connaissance. Cette perception de soi constitue le sens intuitif du Purusha-témoin, sâkshî. Le Purusha-témoin est une pure conscience qui observe la Nature et la voit comme une action qui se réfléchit sur la conscience, est éclairée par cette conscience mais demeure en elle-même autre que la conscience.
Soit dit en passant : voilà qui ressemble fichtrement aux pratiques dite de "Mingjue" dans le Zhineng Qigong, l'état de pure conscience. Continuons !
Pour le Purusha mental, la Nature est simplement une action — une action complexe faite de réflexion, de discernement et du jeu de la pensée, faite de volonté, de sensations, d’émotions, marquée par le tempérament et le caractère, par le sens de l’ego — qui opère sur un terrain d’impulsions vitales, de besoins et de désirs, dans les conditions imposées par le corps physique.
Mais le Purusha n’est pas limité par ces mouvements puisqu’il peut non seulement leur donner de nouvelles directions et une grande diversité, les raffiner et les élargir considérablement, mais agir également par la pensée et l’imagination dans un monde de créations mentales beaucoup plus subtiles et plus souples.
2) Le Purusha mental peut également avoir l’intuition de quelque chose de beaucoup plus vaste que son action dans l’existence présente : des domaines d’expérience dont cette action n’est qu’une ébauche, une façade ou une petite sélection superficielle. Par cette intuition, il arrive au seuil d’un moi subliminal dont les possibilités sont plus étendues que toutes celles que sa mentalité superficielle peut offrir à sa connaissance de soi.
3) La troisième intuition, et la plus grande, est la perception intérieure de quelque chose qui est plus essentiellement lui-même, quelque chose qui dépasse le mental autant que le mental dépasse la vie physique et le corps. Cette perception intérieure est l’intuition qu’il a de son être spirituel et supramental.
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Mais l’homme est spécifiquement un être mental. En fait, le mental est actuellement son état le plus élevé ; il s’y approche de son moi réel, plus facilement et plus largement conscient de l’esprit. Son chemin vers la perfection ne consiste pas à s’absorber dans l’existence extérieure et superficielle ni à prendre position dans l’âme de vie ni dans l’âme du corps, mais à insister sur les trois intuitions mentales qui lui permettront finalement de s’élever au-dessus des trois niveaux, physique, vital et mental.
Il peut essayer de vivre de plus en plus en tant que Purusha-témoin, observant l’action de la Nature sans s’y intéresser, sans y consentir, en restant détaché, en rejetant toute action, retiré dans la pure existence consciente. Telle est la libération du Sâmkhya. Il peut alors s’intérioriser dans cette existence plus vaste dont il a l’intuition, s’éloigner de la mentalité superficielle et entrer dans un « état de rêve » ou un « état de sommeil » qui lui donnent accès à des régions de conscience plus vastes et plus hautes. En pénétrant dans ces régions, il peut se défaire de l’être terrestre.
[...]
Mais si notre but n’est pas simplement d’être libres en nous détachant de la Nature, mais d’être parfaits en notre maîtrise, ce genre d’insistance ne suffit plus. Nous devons observer notre action mentale, vitale et physique dans la Nature, trouver les nœuds de son esclavage et les points de libération possibles, découvrir les clefs de son imperfection et trouver celle de la perfection.
Et alors Sri Aurobindo commence à nous faire toucher du doigt le principe même du mécanisme. Cela en devient presque bouleversant parce que cela touche au cœur même de notre sujétion...
Quand l’âme observatrice, le Purusha-témoin, se retire de l’action de sa nature pour l’observer, il s’aperçoit qu’elle opère par sa propre impulsion, par le pouvoir de son mécanisme, par la force de continuité du mouvement : continuité de l’action mentale, continuité de l’impulsion de vie, continuité du mécanisme physique involontaire.
À première vue, tout semble être l’action récurrente d’une machine automatique, bien que la somme de cette action aboutisse constamment à une création, un développement, une évolution. Le Purusha était pour ainsi dire saisi par cette roue, attaché à elle par le sens de l’ego, emporté dans les tournoiements de la machine.
Un déterminisme mécanique complet ou une série de déterminismes naturels auxquels il avait prêté la lumière de sa conscience, tel est l’aspect naturel de sa personnalité mentale, vitale et physique dès qu’elle est regardée de ce point de vue détaché et stable et non plus par une âme emprisonnée dans le mouvement et s’imaginant qu’elle fait partie de l’action.
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Et donc de notre libération potentielle...
Mais si nous regardons plus loin, nous nous apercevons que ce déterminisme n’est pas aussi complet qu’il y paraît ; l’action de la Nature continue de se dérouler, mais elle est ce qu’elle est parce que le Purusha y consent.
Le Purusha observateur voit que son être conscient soutient et en quelque sorte remplit et imprègne l’action. Il découvre que, sans lui, elle ne pourrait pas continuer, et que chaque fois qu’il retire son consentement avec persistance, l’action habituelle s’affaiblit graduellement, se relâche, puis cesse.
Il doit y avoir un temps pour tout car c'est une idée dont j'étais familier, que j'avais lu plusieurs fois, et essayé de mettre en pratique à de nombreuses reprises, en vain. Ça à l'air complètement idiot, mais c'est comme si j'avais essayé de la mettre en pratique, de l'extérieur, et que cette fois, j'avais enfin réussi à entrer à l'intérieur de l'idée. Je ne sais comment dire. Quand nous sommes avec une idée qui nous intéresse, encore faut-il trouver/comprendre le mot d'emploi.
Maintenant, ce n'est qu'une toute première expérimentation, à peine une ébauche, et il faut beaucoup-beaucoup-beaucoup expérimenter avant de maîtriser un phénomène. Pour les gens, tout cela est peut-être de la psychologie, de la philosophie, alors que pour moi, les implications sont très pratiques car si nous arrivions a bien comprendre comment mettre en pratique ce point du Purusha qui consent ou ne consent pas, alors nous aurions l'une des clefs des plus puissantes pour transformer nos vies.
Souvent, je me suis demandé comment transformer nos lectures en expérience. Et souvent, je me suis demandé, quand nous avons une expérience, comment la laisser se dérouler, se répandre, s'élargir, s'approfondir.
Toute sa mentalité active peut ainsi être réduite à une complète immobilité. Certes, il existe encore une mentalité passive qui persiste mécaniquement, mais elle peut également être immobilisée dès que le Purusha se retire en lui-même et renonce à l’action. L’action vitale continue néanmoins dans les parties les plus mécaniques, mais on peut aussi la tranquilliser jusqu’à arrêt complet.
Et Sri Aurobindo de déboucher sur la délicate question du libre arbitre qu'il résout d'une façon magistrale :
Il semble donc que le Purusha ne soit pas seulement le support (bhartri) mais, d’une certaine manière, le maître de sa nature, Îshvara. C’était la conscience de ce pouvoir de consentement et la nécessité de son assentiment qui l’avaient amené à se concevoir, avec son sens de l’ego, comme une âme ou un être mental doté d’un libre arbitre déterminant tous ses devenirs.
Cependant, le libre arbitre semble imparfait, presque illusoire, puisque, en fait, la volonté même est un mécanisme de la Nature et que chaque volonté séparée est déterminée par la série des actions passées et par la somme des conditions créées par cette série — bien que cette volonté semble s’engendrer elle-même, virginalement créatrice à chaque moment, puisque le résultat de la série, la somme, se traduit à chaque moment par une situation nouvelle, un déterminisme nouveau. Tout le temps, à l’arrière-plan, par son consentement et par son autorisation, le Purusha participait à l’action de la Nature.
Il ne semble pas capable de la gouverner entièrement mais seulement de choisir entre certaines possibilités bien définies, car il existe en elle un pouvoir de résistance qui vient de son élan passé, et plus fortement encore un pouvoir de résistance qui vient de la somme des conditions fixes qu’elle a créées et qu’elle lui présente comme un ensemble de lois permanentes auxquelles il doit obéir. Il ne peut pas changer radicalement ce procédé de la Nature, il ne peut pas accomplir librement sa volonté au sein du mouvement naturel actuel, ni, tant qu’il prend position dans le mental, être en dehors ou au-dessus de la Nature de façon à exercer un contrôle vraiment libre.
Il y a dualité de dépendance : elle dépend de son consentement, et il dépend de sa loi et des méthodes ou des limites de son action — le déterminisme est nié par le sens du libre arbitre, le libre arbitre annulé par le fait du déterminisme naturel.
Il est certain qu’elle est son pouvoir, et pourtant il semble lui être soumis. Il est le Purusha qui autorise (anumantri), mais il ne semble pas être le seigneur absolu, Îshvara.
Syzygium jambos – Jambosier – Blanc à blanc verdâtre
Maîtrise
Sachez ce que le Divin veut et vous aurez la maîtrise.
Une maîtrise absolue, un Îshvara réel existe cependant. Il en est conscient et il sait que s’il le découvre, il obtiendra la maîtrise et, au lieu d’être seulement le témoin passif qui autorise, ou l’âme qui soutient la volonté de la Nature, il pourra dès lors utiliser et déterminer puissamment et librement les mouvements de la Nature.
Mais cette maîtrise semble appartenir à une autre position (1) que le mental. Parfois, il s’aperçoit qu’il se sert de cette maîtrise, mais comme un canal ou un instrument : elle vient à lui d’en haut. Il est donc clair qu’elle est supramentale, que c’est un pouvoir de l’Esprit plus grand que cet être mental qu’il se sait déjà être au sommet et au centre secret de son être conscient. S’identifier à cet Esprit doit donc être le chemin d’accès à la maîtrise et à la souveraineté.
(1) En anglais « poise », qui signifie à la fois position, état, équilibre.
Il peut le faire passivement, en devenant une sorte de réflecteur et de récepteur dans sa conscience mentale, mais alors il n’est qu’un réceptacle, un canal ou un instrument, et non celui qui possède le pouvoir ou y participe.
Il peut parvenir à l’identité par absorption de sa mentalité en l’être spirituel intérieur, mais alors l’action consciente s’éteint dans une transe d’identité.
Pour être le maître actif de la nature, il doit évidemment s’élever à une position supérieure, supramentale, où deviennent possibles, non seulement une identité passive mais une identité active avec l’esprit qui gouverne.
Trouver le moyen de s’élever à cette position plus vaste et de se gouverner lui-même, svarât, est une condition de sa perfection.
Soit ! Une connaissance qui ne se transforme pas en expérience et en réalisation nous laisse sur notre faim, mais tout de même, savoir qu'une possibilité existe est une aide inestimable. Continuons avec le paragraphe suivant :
La difficulté de l’ascension vient de l’ignorance naturelle. Il est le Purusha, le témoin de la Nature mentale et physique, sâkshî, mais il ne se connaît pas lui-même ni ne connaît la Nature complètement, jñâtri. La connaissance du mental est éclairée par sa conscience ; il est celui qui connaît mentalement ; mais il s’aperçoit que ce n’est pas une connaissance réelle, que c’est seulement une recherche partielle et une découverte partielle, une utilisation restreinte aux fins de l’action, une réflexion incertaine et dérivée venue d’une lumière plus grande au-delà, qui est la connaissance réelle. Cette lumière est la perception de soi et la perception globale de l’Esprit.
Il peut parvenir à cette perception essentielle de lui-même sur le plan mental de l’être, en la réfléchissant dans l’âme du mental ou en s’absorbant en l’esprit, de même qu’il peut y arriver par une différente réflexion ou absorption dans l’âme de la vie et dans l’âme du corps. Mais pour avoir réellement cette perception globale et que celle-ci devienne l’âme de son action, il doit s’élever jusqu’au supramental.
[...]
Tirer le mental vers le haut jusqu’à ce qu’il entre en l’être de la connaissance supérieure, puis tirer celui-ci à son tour jusqu’au Moi de béatitude de l’Esprit, ânandamaya purusha, est la méthode suprême pour atteindre cette perfection.
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Mais nulle perfection ne peut être atteinte, et celle-ci encore moins, sans un changement très radical de la nature actuelle et sans abroger la majeure partie de ce qui semble être la loi établie du réseau naturel complexe de l’être mental, vital et physique. La loi de ce réseau a été créée dans un but défini et circonscrit, pour soutenir, conserver, posséder et développer temporairement l’ego mental dans un corps vivant, pour sa jouissance, son expérience, ses besoins et son action temporaires. Elle sert à d’autres usages qui résultent de ceux-là, mais ceux-là constituent l’objet immédiat et l’utilité fondamentale qui déterminent tout. Pour arriver à une utilité plus haute et être un instrument plus libre, ce réseau doit être partiellement brisé, dépassé, transformé en l’harmonie d’un fonctionnement plus vaste.
[...]
Thevetia peruviana – Oléandre jaune
Mental purifié
Le mental prêt à se soumettre au Divin.
Telle est la première difficulté que le Purusha doit résoudre ; l’action mélangée et confuse de la Nature — une action sans connaissance de soi claire, sans mobile distinct, sans instrument solide, simplement une tentative pour réaliser tout cela avec un succès d’ensemble d’une efficacité relative et certains effets d’adaptation surprenants dans quelques directions, mais aussi toutes sortes de misères et d’insuffisances.
Cette action mélangée et confuse doit être rectifiée ; la purification est un moyen essentiel pour arriver à la perfection de soi.
Toutes ces impuretés et ces insuffisances créent des limitations et des esclavage de toutes sortes ; mais il est deux ou trois nœuds d’esclavage principaux, l’ego étant le nœud principal d’où tous les autres découlent.
Il faut se débarrasser de ces entraves ; la purification n’est pas complète tant qu’elle n’entraîne pas la libération.
En outre, quand une certaine purification et une certaine libération ont été effectuées, il reste encore à persuader les instruments purifiés de se convertir à la loi d’une utilité et d’un dessein supérieurs, à un ordre d’action vaste, réel, parfait.
Par cette conversion, l’homme peut arriver à une certaine perfection dans la plénitude d’être, au calme, au pouvoir et à la connaissance, même à une action vitale élargie et à une existence physique plus parfaite. L’un des résultats de cette perfection est une félicité d’être vaste et parfaite, Ânanda.
Ainsi, la purification, la libération, la perfection et la joie d’être sont les quatre éléments constitutifs du yoga, shuddhi, mukti, siddhi, bhukti.
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Alors, sans avoir l'air d'y toucher, Sri Aurobindo nous entraîne vers la fin du chapitre d'une prodigieuse beauté :
Mais cette perfection ne peut pas s’acquérir et elle ne peut pas être sûre ni aussi vaste qu’elle peut l’être si le Purusha s’arrête à l’individualité.
Le refus de s’identifier à l’ego physique, vital et mental ne suffit pas ; dans l’âme aussi, il doit se former une individualité vraie et universalisée au lieu d’une individualité séparatrice.
Dans la nature inférieure, l’homme est un ego qui fait intellectuellement une séparation tranchante entre lui-même et toutes les autres existences : pour lui, l’ego est le moi, tout le reste est non-moi, est extérieur à son être. Toute son action part de cette conception de soi et du monde, et se fonde sur elle. Mais en fait, cette conception est erronée.
Quelle que soit l’intensité avec laquelle il s’individualise dans sa conception mentale et dans son action mentale ou autre, il est inséparable de l’existence universelle : son corps est inséparable de la force et de la matière universelles, sa vie inséparable de la vie universelle, son mental inséparable du mental universel, son âme et son esprit inséparables de l’âme et de l’esprit universels.
L’universel agit sur lui, l’envahit, le domine, le façonne à chaque moment ; par ses réactions, l’homme agit sur l’universel, l’envahit, essaye de s’imposer à lui, de le façonner, de repousser ses assauts, de le gouverner et de s’en servir comme d’un instrument.
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Ce conflit est la traduction de l’unité sous-jacente, et celle-ci revêt l’aspect d’une lutte du fait de la nécessité de la séparation originelle : les deux parts que le mental avait taillées dans l’unité se précipitent l’une sur l’autre pour rétablir l’unité, chacune essayant de s’emparer de l’autre parcelle et de l’absorber. L’univers semble toujours essayer d’engloutir l’homme, l’infini de reprendre le fini, et celui-ci se tient sur la défensive ou même répond par l’agression.
Oh ! C'est si magnifiquement dit que nous avons l'impression que ce conflit est une querelle d'amoureux...
Mais en réalité, à travers cette lutte apparente, l’être universel élabore son dessein en l’homme, bien que la clef de ce dessein et la vérité de cette élaboration soient perdues pour le mental conscient superficiel de l’homme et gardées obscurément dans un subconscient sous-jacent, perçues seulement d’une façon lumineuse dans une unité supraconsciente qui gouverne tout.
De même, l’homme est poussé vers l’unité par une impulsion constante à étendre son ego en s’identifiant autant qu’il le peut à d’autres ego et à toutes les parcelles de l’univers qu’il peut réduire à son service et posséder physiquement, vitalement et mentalement. De même que l’homme vise à la connaissance et à la maîtrise de son être, de même il vise à la connaissance et à la maîtrise de la Nature environnante, de ses objets, ses instruments, ses êtres.
D’abord, il essaye d’y arriver par une possession égoïste ; mais à mesure qu’il se développe, l’élément de sympathie issu de l’unité secrète grandit en lui et il arrive à l’idée d’une coopération et d’une unité de plus en plus larges avec les autres êtres, d’une harmonie avec la Nature universelle et avec l’être universel.
Nous ne pouvons prétendre avoir compris si nous n'avons pas compris. Et je n'ai jamais bien compris les appels à l'unité. J'ai compris qu'à Auroville, la construction du Matrimandir avait été un moyen TRÈS PUISSANT pour créer ce sentiment d'unité. Mais en l'absence d'un but extérieur très fort, les moyens extérieurs semblent insuffisants et je me demande comment il est possible de créer une unité réelle avec les autres, sans avoir soi-même réalisé l'unité avec soi-même, l'unité avec la vérité de son être, l'unité avec le Divin.
Or, dans ce texte extraordinaire, Sri Aurobindo nous donne un moyen ; ou en tout cas, il nous met sur la voie de cette unité réelle.
Le Purusha-témoin dans le mental s’aperçoit que l’infirmité de son effort, et en fait toute l’infirmité de la vie de l’homme et de sa nature, proviennent de la séparation et du conflit qui en résulte : du manque de connaissance, du manque d’harmonie, du manque d’unité.
Il est essentiel pour lui de sortir de l’individualité séparatrice, de s’universaliser, de devenir un avec l’univers.
Cette unification n’est possible que par l’âme, quand l’âme de notre mental devient une avec le Mental universel, quand l’âme de notre vie devient une avec l’âme de la Vie universelle, l’âme de notre corps une avec l’âme universelle de la Nature physique.
Quand cette unification a lieu, et selon sa puissance, son intensité, sa profondeur, sa totalité et sa permanence, des effets considérables se manifestent dans l’action naturelle, notamment une sympathie immédiate et toujours plus profonde, une fusion du mental avec les autres mentalités, de la vie avec les autres vies ; la tendance séparatrice du corps diminue, le pouvoir d’intercommunication mentale directe et d’interaction efficace, entre autres, suppléent alors aux communications indirectes et inadéquates qui jusqu’à présent constituaient la majeure partie des moyens conscients utilisés par le mental dans un corps.
C'est déjà là un accomplissement sublime, mais Sri Aurobindo ne s'arrête jamais en chemin et va jusqu'à l'aboutissement ultime des choses :
Néanmoins, le Purusha s’aperçoit que dans la nature mentale, vitale et physique en elle-même, un défaut demeure, une infirmité, une action confuse qui vient des réactions inégales et mécaniques des trois modes ou gunas de la Nature. Pour transcender cela, il doit non seulement s’universaliser mais s’élever aussi jusqu’au supramental et au spirituel, être un avec l’âme supramentale du cosmos, un avec l’esprit universel.
Il arrive alors, en lui-même et dans l’univers, à la lumière et à l’ordre plus vastes d’un principe supérieur qui est l’action même du Satchidânanda divin. Il est même capable d’imposer l’influence de cette lumière et de cet ordre non seulement à son être naturel mais, selon le rayon, l’étendue d’action de l’Esprit en lui, au monde dans lequel il vit et à ce qui l’entoure. Il est svarât, conscient et maître de soi, mais il commence aussi, par cette unité et par cette transcendance spirituelles, à être conscient et maître du monde d’existence qui l’entoure, samrât.
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Par ce développement de soi, l’âme s’aperçoit qu’elle a accompli sur ce plan mental tout l’objet du yoga intégral : l’union avec le Suprême en son essence et dans son individualité universalisée.
Aussi longtemps que le Purusha participe à l’existence du monde, cette perfection doit nécessairement rayonner de lui — car tel est l’inévitable résultat de son unité avec l’univers et avec ses êtres — et elle rayonne par une influence et une action qui aident tous ceux qui sont capables de s’élever ou d’avancer vers la même perfection, et, pour le reste, par une influence et une action qui aident — comme seul peut le faire l’homme qui est maître de lui-même et se gouverne —, à conduire spirituellement l’espèce humaine vers ce même accomplissement ou vers quelque image d’une vérité divine plus haute dans son existence personnelle et collective.
Il devient une lumière et un pouvoir de la Vérité à laquelle il s’est élevé et un moyen d’ascension pour les autres.
Une démonstration tout à fait concrète de l'Unité.
Et c'est par cette connaissance de l'Unité qu'on a la clef.
Agenda du 26 septembre 1964