Le changement commence par l'acceptation
Dans l'article précédent, je partageais ce passage de l'Agenda du 25 septembre 1965, mais cette fois-ci je voudrais revenir sur l'idée d'acceptation :
N'est-ce pas, il y a des millions de manières de s'enfuir ; il n'y en a qu'une de rester, c'est vraiment d'avoir du courage et de l'endurance, d'accepter toutes les apparences de l'infirmité, les apparences de l'impuissance, les apparences de l'incompréhension, l'apparence, oui, d'une négation de la Vérité. Mais si l'on n'accepte pas, ce ne sera jamais changé ! Ceux qui veulent rester grands, lumineux, forts, puissants, et patati-patata, eh bien, qu'ils restent là-bas, ils ne peuvent rien faire pour la terre.
Agenda du 17 décembre 1960
Mais il y a tant d’hommes qui sont satisfaits de leur mensonge, de leur laideur, de leur étroitesse, de toutes ces choses. Ils sont satisfaits. Quand on leur demande d’être autrement... Ce domaine dans lequel je suis en investigation maintenant, oh !... Je passe des nuits entières à visiter certains endroits, avec des gens que je connais ici matériellement (à l’Ashram), et que je retrouve là-bas. Il y en a tant qui sont parfaitement satisfaits de leur... de leur infirmité, de leur incapacité, de leur laideur, de leur impuissance.
Et ils protestent quand on veut les faire changer ! Encore la nuit dernière, je suis descendue là-dedans... C’était tellement gris et terne et... ouf ! et banal, sans vie. Quand on leur dit cela, ils vous répondent : « Mais non ! c’est très bien comme cela, c’est vous qui vivez dans des rêves ! » Enfin, on en sortira.
Ah ! tant que cela vous paraît tout à fait naturel, on ne peut pas en sortir. C’est cela le malheur, c’est quand on est résigné. On voit cela : quand on revient en arrière à des états de conscience précédents, on voit que tout cela vous paraissait, sinon tout à fait naturel, du moins presque obligatoire – n’est-ce pas, « c’est comme ça », « il faut prendre les choses comme elles sont ». Et on ne pense même pas ; on prend les choses comme elles sont, on s’attend à ce qu’elles soient comme elles sont ; c’est l’étoffe de chaque jour qui se répète inlassablement. Et tout ce qu’on apprend à faire c’est à tenir, tenir, à ne pas se laisser ébranler, à passer à travers tout ça ; et on a l’impression que c’est sans fin, c’est interminable, presque éternel (c’est seulement quand on comprend ce qu’est l’éternel qu’on voit que cela ne peut pas être éternel, autrement...).
Eh bien, cet état-là est très dangereux, cet état d’endurance : cette endurance qui ne se laisse bouleverser par rien. Et c’est pourtant indispensable, parce qu’il faut tout accepter avant de pouvoir rien transformer.
C’est ce que Sri Aurobindo avait toujours dit : d’abord il faut tout accepter – accepter comme venant du Divin, comme la Volonté divine ; accepter sans dégoût, sans regret, sans chagrin, sans aucun énervement. Accepter avec une égalité parfaite. Et c’est seulement après cela que vous pouvez dire : maintenant nous allons travailler pour que ça change.
Mais travailler pour changer avant d’avoir atteint à l’égalité parfaite, c’est impossible. C’est cela que j’ai appris pendant ces dernières années.
Et pour chaque détail c’est comme cela. D’abord : « Que Ta Volonté soit faite », et puis, après, « La Volonté de demain » : ça, ça disparaîtra. Mais d’abord accepter.
C’est pour cela que c’est long. Parce que ceux qui acceptent facilement ils sont... ils se laissent comme encroûter, ensevelir là-dedans : ils ne bougent plus. Et ceux qui voient l’avenir, qui voient ce qui doit être, ceux-là ont de la difficulté à accepter : ils renâclent, ils protestent, ils regimbent – et alors ils n’ont pas de pouvoir.
/image%2F7051723%2F20250317%2Fob_d550e5_changement-des-mouvements-faux-en-mouv.jpg)
Je trouve cet Agenda très important, car comprendre comment le changement est possible n'est pas si facile : probablement que nous avons toutes sortes d'idées très compliquées dans la tête. Mère nous explique le processus avec une extraordinaire simplicité.
Prenons tout le temps nécessaire pour chacune des deux étapes. Est-ce que, quelque soit ce que nous voyons en nous, quelque soit ce qui se passe, nous sommes vraiment dans une totale acceptation, "sans dégoût, sans regret, sans chagrin, sans aucun énervement... avec une égalité parfaite" ? Alors seulement nous pouvons "travailler pour que ça change" nous dit Mère.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Comment faire ? L'indication la plus constante laissée par Mère tout au long de l'Agenda est l'offrande au Divin. Je n'en donnerai que deux exemples.
On ne voit pas vraiment ce qu’on peut faire... Enfin, c’est toi qui «fais», bien sur, mais on ne voit pas vraiment ce qu’on peut faire pour changer les choses.
Moi non plus !
J’ai tout à fait l’impression que je ne «fais» rien du tout, moi, rien du tout. La seule chose que je fais, c’est ça (geste d’offrande vers le haut), tout le temps ça – n’est-ce pas, ça, de partout : dans les pensées, dans les sentiments, dans les sensations, dans les cellules du corps, tout le temps : «A Toi, à Toi, à Toi. C’est Toi, c’est Toi, c’est Toi...» C’est tout. Et puis rien d’autre.
C’est-à-dire le consentement de plus en plus total, de plus en plus intégral et de plus en plus comme ça (Mère fait le geste de se laisser porter). C’est là qu’on a l’impression qu’il faut être tout a fait comme un enfant. (Agenda du 12 novembre 1960)
🌸
Au fond, dans les hommes, c'est cette espèce de volonté de pureté, de Bien (qui se traduit dans la mentalité ordinaire par le besoin d'être vertueux) qui est le grand obstacle au vrai don de soi. C'est à l'origine du Mensonge, et surtout c'est la source même de l'hypocrisie : le refus d'accepter de prendre sur soi sa part du fardeau des difficultés. Et c'est cela que Sri Aurobindo a touché dans cet aphorisme, tout droit, d'une façon très simple.
N'essayez pas d'être vertueux. Voyez à quel point vous êtes uni, UN avec tout ce qui est anti-divin, prenez votre part du fardeau, acceptez d'être, vous-même, impur et mensonger, et, comme cela, vous pourrez prendre l'Ombre et la donner. Et dans la mesure où vous êtes capable de la prendre et de la donner, alors les choses changeront. (1)
N'essayez pas d'être parmi les purs. Acceptez d'être avec ceux qui sont dans l'obscurité, et dans un amour total, donnez tout ça. (Agenda du 21 janvier 1962)
1. Lorsque nous avons publié partiellement cette conversation dans le Bulletin de l'Ashram, en avril 1962, Mère nous a fait modifier (malgré nos protestations) cette phrase : au lieu de «N'essayez pas d'être vertueux», Elle a mis : «N'essayez pas d'avoir l'air vertueux», et Elle a ajouté : « Il y a un inconvénient. Les gens ne comprennent jamais rien, ou plutôt ils comprennent à leur manière. Ils prendraient ça pour un encouragement à faire des bêtises, à être mauvais, à avoir de mauvais sentiments, et ils diraient : « Nous sommes les préférés du Seigneur ! »... Tu le souviens, il y a une lettre de Sri Aurobindo comme cela, à des gens qui voulaient faire sortir tout ce qu'il y a de mauvais en eux – il leur a dit que ce n'était pas du tout la manière ! » (Voir en addendum deux lettres de Sri Aurobindo sur la psychanalyse.)
🌸
Pour ne pas éluder les questions délicates, nous pouvons nous interroger comment cette acceptation s'articule avec le rejet des mouvements faux préconisés par Sri Aurobindo. Sans doute, cela ne se situe pas au même niveau. Peut-être que le rejet intervient après l'acceptation, mais c'est un peu étrange de rejeter quelque chose que l'on a au préalable accepté. Quelqu'un partagera peut-être sa compréhension dans les commentaires.
Et puisque cet Agenda évoque la nécessité préalable d'une égalité parfaite, cet Agenda du 2 décembre 1960 nous fait une magistrale description de ce que cela peut-être, une sorte de modèle pour guider notre aspiration et notre volonté.
(Après une méditation avec Mère)
Une sorte d’unification se fait (en toi), n’est-ce pas, comme si cela faisait plus un tout régulier dehors-dedans. Je ne sais pas comment expliquer cela, un sentiment de quelque chose qui est plus unifié, plus organisé – égal. Pas des endroits plus développés et d’autres moins, des endroits plus lumineux et d’autres moins : c’est beaucoup plus égal, et même égal dans la vibration, une sorte de... vraiment d’égalité dans l’ensemble des mouvements, de la réponse, des vibrations, de la lumière.
Et cette espèce de poudroiement que je vois, de la lumière nouvelle, elle est beaucoup plus généralisée. C’est comme si tout, tout... c’est vraiment un travail d’égalisation qui s’est fait: de stabilité, d’égalisation. Et ce poudroiement de lumière dorée, il est venu partout autour de toi avec, dans ton japa, toujours cette même lumière bleue avec des intensités de forces dedans: les deux sont là.
Comme une égalisation de la conscience, comme si tous les éléments qui était moins réceptifs avaient commencé à s’ouvrir, et comme si ça faisait un ensemble beaucoup plus homogène.