1. Sortir de son corps
Sortir de son corps est presque devenu un sujet "à la mode" ; j'ai rassemblé quelques Agendas qui évoquent le sujet. Les premiers extraits évoquent le "départ" de Sri Aurobindo et comment sa conscience est entrée dans le corps de Mère.
Agenda du 10 mai 1958
Après, quand il est parti et qu’il m’a fallu faire le yoga moi-même, pour être capable de tenir sa place physique j’aurais pu prendre l’attitude du Sage. Je l’ai fait puisque, à ce moment-là, au moment où il est parti, j’étais dans un état de sérénité sans égal. Quand il m’a dit en sortant de son corps et en entrant dans le mien : «Tu continueras, tu iras jusqu’au bout du travail», à ce moment-là j’ai imposé à ce corps une sérénité: la sérénité d’un détachement total. J’aurais pu rester comme cela.
Agenda du 19 octobre 1960
C’est cela qui m’irrite parfois: pourquoi ne pas avoir la maîtrise ? On DEVRAIT avoir la maîtrise. Avec de la conscience, on devrait pouvoir être maître de son corps.
Oui, c’était justement cela, cette chose extraordinaire que Sri Aurobindo avait. Il ne faisait pas d’effort... Mais pour lui-même il ne l’a pas fait !
Mais ça, ça a été une chose impensable pour des êtres humains.
Il voulait s’en aller.
N’est-ce pas, il avait décidé de s’en aller. Et il ne voulait pas que nous sachions qu’il le faisait exprès parce qu’il savait que si, un seul moment, je savais qu’il le faisait exprès, j’aurais réagi avec une telle violence qu’il n’aurait pas pu partir!
Et il a fait cette chose... n’est-ce pas, de supporter tout cela comme si c’était une inconscience, une maladie ordinaire, simplement pour ne rien nous laisser savoir – et il est parti au moment où il fallait qu’il s’en aille. Mais...
Et je ne pouvais même pas penser qu’il était parti quand il était parti, là, en face de moi, tellement c’était loin... Et puis après, quand, sortant de son corps, il est entré en moi et que j’ai compris tout ça... C’est fantastique!
Fantastique.
C’est... c’est absolument, absolument surhumain. Il n’y a pas un être humain qui aurait été capable de faire une chose pareille. Et quelle – quelle maîtrise de son corps, absolue, absolue !
Mais pour donner aux autres... il vous enlevait les maladies comme ça (Mère fait un geste comme pour prendre la maladie du bout des doigts, tranquillement, et la sortir du corps). Cela t’est arrivé une fois, n’est-ce pas? Tu m’as dit que je l’avais fait pour toi – mais ce n’était pas moi : c’était lui qui l’avait fait... Il vous donnait la paix mentale comme ça-(Mère fait le geste d’effleurer son front). N’est-ce pas, ses actions étaient absolument... Sur les gens, cela avait tout le caractère de la maîtrise totale... Absolument surhumain.
Un jour, il te dira tout cela lui-même [1].
Maintenant je le sais.
C’est for-mi-dable...
[1]. En effet, Il est venu nous le dire quinze ans plus tard, quand nous écrivions Le Matérialisme divin.
Agenda du 29 juillet 1967
...quand Sri Aurobindo a quitté son corps, je suis restée plusieurs fois, plusieurs jours de suite, pendant une ou deux heures debout à côté de son lit, et je sentais – je sentais matériellement – ce qui sortait de son corps entrer dans le mien. Au point que je me souviens d'avoir dit : «Eh bien, si quelqu'un nie la survie, j'ai la preuve qu'elle est.»
Agenda du 16 septembre 1967
Et quand il est parti, il y a toute une partie – la partie la plus matérielle de la descente du corps supramental jusqu'au mental – qui visiblement sortait de son corps comme cela et entrait dans le mien, et c'était tellement concret que je sentais la friction des forces passant à travers les pores de la peau... Je me souviens d'avoir dit là, à ce moment-là : «Eh bien, n'importe qui ayant cette expérience-là peut prouver au monde, par cette expérience, la survie.» C'était... c'était aussi concret que si c'était matériel. Et alors, après cela naturellement, c'était dans le champ de la conscience...
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Agenda du 25 octobre 1958
Comment se fait-il que les gens ne soient pas conscients de cette identification, qu’Ils ont pourtant dans une partie de leur être ?
Tu comprends, entre la conscience extérieure et la conscience la plus profonde, il y a véritablement des trous – ce sont des «joints» d’état d’être qui manquent et qu’il faut construire, et puis ils ne savent pas comment faire. Alors, la première impression quand ils entrent là-dedans, ils sont affolés ! Ils ont l’impression qu’ils tombent dans la nuit, dans le néant, dans le non-être !
J’avais un ami danois, un peintre, qui était comme cela. Il voulait que je lui apprenne à sortir de son corps ; il avait des rêves intéressants et il pensait que cela vaudrait la peine d’aller là consciemment. Je l’ai donc fait «sortir» – mais cela a été une épouvante !... Quand il rêvait, il y avait bien une partie de son mental qui restait consciente, active, et il existait une sorte de jonction entre cette partie active et son être extérieur, alors il se souvenait de certains de ses rêves, mais ce n’était qu’un phénomène très partiel.
Et sortir de son corps, cela veut dire qu’il faut passer graduellement par tous les états d’être, si on le fait systématiquement. Eh bien, déjà au physique subtil c’était presque inindividualisé, et dès que l’on s’en allait un peu plus loin, il n’y avait plus rien ! Ce n’était pas formé, ce n’était pas existant.
Alors ils s’assoient (on leur dit de s’intérioriser, de rentrer au-dedans d’eux-mêmes), et puis ils ont une angoisse ! – Naturellement ils ont l’impression qu’ils... qu’ils disparaissent : il n’y a rien ! il n’y a pas de conscience !
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Voilà qui est intéressant ! Cela voudrait dire que nous devrions appeler la Conscience divine pour qu'elle nous remplisse tout partout, à ras bord, qu'il n'y ait plus de trous.
Parmi toutes les grâces possibles, tous les pouvoirs divins possibles, toutes les réalisations divines possibles... je me suis souvent dit que... le fin du fin, et dont même Sri Aurobindo et Mère parlent rarement, c'est LA PLÉNITUDE ! Ils parlent de la paix, du psychique, de la transformation, de la sincérité, du supramental, de la conscience, du Divin, de l'ananda et de toutes sortes de choses, mais cette idée de PLÉNITUDE revient assez rarement.
Il semblerait qu'elle soit inhérente au psychique et inhérente au Supramental...
Sans la PLÉNITUDE, il me semble qu'il y aura toujours une partie de l'être qui, par définition, sera insatisfaite parce qu'il n'y a qu'une chose qui peut nous satisfaire, c'est le sentiment d'être comblé !
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Ne peut s'obtenir que par la conversion.
Agenda du 7 novembre 1961
Il y a aussi ce que Théon et Madame Théon disaient (ils ne parlaient jamais de «Supramental», mais ils disaient la même chose que les Védas : le monde de Vérité qui doit s’incarner sur la terre et créer un nouveau monde ; même ils reprenaient la vieille phrase des Évangiles : «Une nouvelle terre et de nouveaux cieux [1]», la même chose que les Védas d’ailleurs).
II Pierre 3.13
Madame Théon avait eu cette expérience et c’est elle qui m’a, pas positivement appris, mais indiqué comment faire : elle sortait de son corps, puis elle était consciente dans le monde vital (avec beaucoup d’états intermédiaires, mais cela, c’était quand on voulait faire des investigations) ; du vital, on sortait dans le mental (on sortait du corps vital consciemment ; on laissait son corps vital, qu’on voyait, et on sortait dans le mental) ; puis on laissait son corps mental et on sortait dans... ils employaient d’autres mots, une autre classification ; enfin les mots étaient différents (je ne me souviens plus) mais l’expérience est identique. Et successivement, comme cela, elle sortait douze fois de son corps – douze corps l’un après l’autre. Elle sortait d’un corps et entrait dans la conscience du nouveau plan où elle se trouvait (elle était extrêmement «formée», n’est-ce pas, c’est-à-dire individualisée, organisée) et elle avait toute l’expérience de l’entourage et de ce qui se trouvait là, elle pouvait le décrire – et ainsi de suite, douze fois.
J’ai fait la même chose. J’arrivais même à le faire avec beaucoup de dextérité : je pouvais m’arrêter à n’importe quel plan, faire ce que j’avais à y faire, circuler là, voir, étudier, puis dire, noter ce que j’avais vu.
Mais ma dernière étape, ce qui était juste avant le Sans-Forme (Théon employait presque la terminologie juive, du Suprême qui est sans forme : il l’appelait le «Sans-Forme», la dernière étape (de là on passait au Sans-Forme, c’est-à-dire qu’il n’y avait plus de corps à laisser : on était en dehors de la forme, même de toutes les formes de pensée – toutes les formes possibles étaient finies), et ça, il l’appelait le «pathétisme.» Un mot très barbare mais qui était très expressif.
Dans ce domaine-là, on avait l’expérience de l’unité totale – l’unité dans quelque chose qui était l’essence de l’Amour ; l’Amour étant une manifestation plus... il appelait toujours cela «dense» (il y a toutes sortes de «densités» différentes, et l’Amour était une expression plus dense de Ça). Ça, c’était le sens de l’Unité parfaite – unité parfaite, identité – et Ça n’avait plus du tout aucune forme qui corresponde aux mondes inférieurs. C’était une Lumière ! une lumière presque parfaitement blanche, mais avec quelque chose qui ressemblait à un rose-doré (les mots sont grossiers). Cette Lumière-là et cette Expérience-là étaient vraiment merveilleuses – c’est inexpressible avec des mots.
Et alors, une fois que j’étais là (lui, disait qu’il ne fallait pas passer de l’autre côté parce qu’on ne revenait pas), mais une fois là, j’ai voulu passer de l’autre côté, et alors je me suis trouvée, d’une façon tout à fait inattendue et stupéfiante, en présence de ce qu’on pourrait appeler le «principe», un principe de la forme humaine: ça ne ressemblait pas à l’homme en ce sens que ça n’avait rien de ce que nous voyons, mais c’était une forme qui se tenait debout, juste à la frontière entre le monde des formes et le Sans-Forme, et c’était comme un étalon [2]. A ce moment-là, on ne m’avait jamais parlé de cela et Madame Théon ne l’avait jamais vu – personne n’avait rien vu et rien dit. Mais j’ai senti que j’étais en train de découvrir un secret.
[2]. Par «étalon», Mère n’entend évidemment pas quelque centaure mais un modèle ou un archétype.
Après, quand j’ai rencontré Sri Aurobindo et que je lui ai parlé de cela, il m’a dit : «C’est sûrement le prototype de la forme supramentale.»
Je l’ai revu plusieurs fois ensuite, plus tard, et ça a été prouvé. Mais naturellement, tu comprends, une fois qu’on a passé la frontière, il n’y a plus de «montée» et de «descente»; c’est seulement au départ, pour sortir de la conscience terrestre jusqu’au mental supérieur, c’est là qu’on a l’impression de s’élever. Mais une fois qu’on a dépassé cela, il n’y a plus cette notion de s’élever: c’est une sorte de transformation intérieure qui se produit.
Et de là, je redescendais, reprenant mes corps l’un après l’autre – on a vraiment l’impression de la friction; que l’on reprend un corps et on rentre.
Quand on est tout en haut là-bas, on est en état cataleptique.
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Quelques remarques :
1. Théon lui a dit qu'il ne fallait pas passer de l'autre côté, Mère l'a fait quand même !
2. Nous avons tous entendu des témoignages de gens qui sortent de leur corps, soit par accident, soit naturellement. Marc Auburn parle beaucoup de cela. Mais, j'ignore pour les autres, mais je n'ai jamais entendu quelqu'un parler de sortir 12 fois de son corps en toute conscience.
3. Dans le Livre 2 de Savitri, Le Livre du Voyageur des Mondes, il est 15 chants. Si l'on retire le chant 1 qui est le chant d'introduction sur L'Échelle des Monde, il en reste 14. 14, ce n'est pas 12. Je me suis souvent demandé si des érudits de Savitri ont réussi à trouver des correspondances entre ces chants, et la classification établie par Sri Aurobindo : ce chant correspond à l'inconscient, celui-ci au subconscient, celui-ci, au mental physique, celui-ci au vital physique, celui-ci au vital mental, celui-ci au mental ordinaire, ceux-ci aux mental supérieur, illuminé, intuitif, au surmental, au subliminal, etc...
Agenda du 20 avril 1963
La seule chose que j'aie faite depuis le moment où j'ai médité avec toi, c'est l'élargissement, parce que, au commencement, c'était assez limité [1].
1. Mère nous avait dit une fois que nous étions dans une sorte de «cube blanc».
Et c'est extrêmement difficile d'avoir cette paix blanche avec l'ampleur ; Sri Aurobindo disait (parce que je lui parlais de toutes ces expériences), il me disait toujours qu'avoir ce silence plein, concret et blanc, pur, tout à fait pur, avec L'immensité... There are not many who can have it [il n'y en a pas beaucoup qui peuvent l'avoir]. Mais je dois dire que j'ai beaucoup-beaucoup élargi ton silence. Maintenant on ne se sent plus enfermé – je n'aime pas me sentir enfermée ! On ne se sent plus enfermé : ça va se déployant.
C'est bien. Non, ne te plains pas de ce que tu as, il y en a qui travaillent des vies pour avoir ça.
L'autre, c'est une capacité innée de sortir de son corps, une capacité spontanée de sortir de son corps. La transe telle que tu l'entends, concrète, tout à fait matérielle, pour l'avoir il faut pouvoir sortir-entrer-sortir-entrer (à volonté). Et alors comme les gens prennent beaucoup de mal généralement pour sortir, ils ne savent plus rentrer ! Alors ils se trouvent dans des situations ridicules.
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Agenda du 10 juillet 1963
Non... J'étais à contempler ce que tu disais... C'est vrai, on voit les choses à l'envers.
Oui, c'est ça ! c'est tout à fait ça !
En ce moment, je suis en train de vivre cette expérience à chaque minute, avec tout-tout, tous les gens et les choses qui m'entourent, à chaque MINUTE. C'est tout à fait intéressant.
Tiens, c'est comme ce que Pavitra m'a dit hier : il avait toujours l'habitude de sortir de son corps dans son aspiration et de monter très haut – je lui avais dit cent fois de ne pas le faire, que ce n'était pas bon (pour lui ; pour un autre, je dirais de le faire). Il n'avait jamais compris, et chaque fois qu'il méditait, brrt ! il sortait de son corps.
Alors l'autre jour, il m'a dit : «Ah! maintenant j'ai compris ! je cherchais toujours Mère là-haut, et puis tout d'un coup, je n'ai plus rien trouvé. Alors je me suis concentré ici (dans le corps) et puis j'ai trouvé Mère immédiatement», et il a ajouté : «C'est parce que Mère est ici maintenant !» (Mère rit) Je ne lui ai rien expliqué, mais c'était tellement ça !
Je ne lui ai rien dit, mais j'ai souri comme si c'était une découverte qu'il avait faite !
On cherche à entrer en rapport avec quelque chose qui EST LÀ !
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Hier ou avant hier, j'écoutais Sraddhalu expliquer que la Mère envoyait une suggestion dans la conscience des gens, ou une force pour faire telle ou telle chose, et que les sadhaks avaient l'impression que... cela venait d'eux.
Voilà cependant un Agenda qui peut nous déconcerter : puisqu'avec un tel il est bon de faire comme ceci et qu'avec un autre, il est bon de faire comme cela, comment savoir ce qui est bon pour nous ?
Dans ce yoga, à chaque pas, nous devons apprendre à nous référer au dedans à notre être psychique, ou au-dessus à la Conscience divine. Discernement, discernement...
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Agenda du 20 novembre 1963
On nous donne tout – tout. Toutes les difficultés à vaincre, toutes (et plus nous sommes capables, c'est-à-dire plus l'instrument est complexe, plus les difficultés sont multiples), toutes les difficultés, toutes les occasions de les vaincre, toutes les expériences possibles, et réduites dans le temps et dans l'espace de façon à pouvoir être innombrables.
Et ça a ses répercussions et ses conséquences sur la terre tout entière (je ne m'occupe pas de ce qui se passe dans l'univers parce que, pour le moment, ce n'est pas mon travail) ; mais il est certain (parce que cela a été dit et je le sais) que ce qui se passe sur la terre a ses répercussions dans l'univers tout entier.
Assise là, tu vis la vie de chaque jour dans son insignifiance habituelle, son manque d'importance, son manque d'intérêt... et c'est un champ merveilleux d'expériences ! d'expériences innombrables, et non seulement innombrables mais des plus variées possibles, depuis les plus subtiles jusqu'aux plus matérielles, sans sortir de son corps. Seulement, IL FAUT Y ÊTRE REVENU. On ne peut pas avoir l'autorité sur son corps sans l'avoir quitté.
Quand le corps n'est plus vous, du tout : c'est quelque chose qui a été ajouté et plaqué sur vous ; quand c'est comme cela et qu'on le regarde d'en haut (un «haut» psychologique), alors on peut y redescendre en maître tout-puissant.
Il faut commencer par sortir, puis on redescend.
Voilà.
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Comme dit Asselineau : quand il y a quelque chose que l'on ne comprends pas, c'est qu'il y a quelque chose à comprendre.
Mère nous dit que nous pouvons être assis et avoir des expériences innombrables sans sortir de son corps.
Et la phrase suivante sous-entend qu'il faut avoir quitté son corps : Seulement, IL FAUT Y ÊTRE REVENU. On ne peut pas avoir l'autorité sur son corps sans l'avoir quitté.
Est-ce qu'elle veut dire que pour avoir ces expériences innombrables il faut avoir préalablement quitté son corps ? Ce n'est pas clair !
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Trois jours après la publication de cet article, un ami me renvoie à un Agenda qui éclaire magnifiquement notre sujet. Bien que le début de cet Agenda parle d'autre chose, je l'ai laissé dans son intégralité car c'est très intéressant.
Agenda du 5 septembre 1962
(Avant de lire à Mère son manuscrit sur Sri Aurobindo, le disciple lui demande de rectifier les erreurs possibles car il parle de choses dont il n'a pas l'expérience directe :)
Il y a des choses dont je n'ai pas l'expérience.
Moi non plus, je n'ai pas toutes les expériences.
Eh bien, écoute alors !...
(Riant) J'en ai un certain nombre, mais...
Au fond, après quelques milliers de naissances, on doit avoir toutes les expériences, si on se donne la peine de se souvenir. Ce serait l'avantage de la réincarnation ; on ne peut pas tout faire en une vie, mais avec plusieurs milliers de vies, on peut passer par tous les états.
Il faudrait se souvenir.
Naturellement, au début, on se souvient très peu, très peu. À mesure qu'on avance, on se souvient davantage (je parle de l'expérience de l'être psychique).
De l'expérience de l'être psychique – je ne parle pas naturellement de ce que peut savoir la Mère universelle parce que ça, c'est une autre catégorie ! Je parle d'expérience purement terrestre. Eh bien, il y a peu de choses qui me paraissent... Au fond, il n'y en a pas qui me paraissent étrangères, inconnues. L'état d'esprit, ça oui ! Depuis toute petite, j'étais ahurie par la façon dont les gens pensent et sentent – ça me paraissait monstrueux. Mais les circonstances de la vie, les événements de la vie, tout ça, c'est plus ou moins du rabâchage.
Les choses qui m'ont laissé des impressions aiguës, tu sais, comme ça (Mère fait un geste poignant), qui vous font dire : «Ah! non, ça suffit comme ça, pas encore, il y en a assez !», ce sont celles des vies de souveraine – oh ! impératrice, reine et ces choses-là. Ce sont des impressions douloureuses. De toutes les impressions, ce sont les plus douloureuses. Et je me souviens d'une façon aiguë d'une résolution prise dans ma dernière vie d'impératrice, j'ai dit : «Ça, jamais plus ! J'en ai assez, je n'en veux plus ! J'aimerais mieux être (même pas «j'aimerais mieux»: c'était un choix positif), je VEUX être un être obscur, dans une famille obscure, enfin libre de faire ce que je veux !» Et c'est la première chose dont je me sois souvenue cette fois-ci : «Oui, c'est une famille obscure, un être obscur, dans un milieu obscur, pour faire ce que je veux, libre de faire ce que je veux – pas une troupe de gens qui sont là à me regarder et à guetter tout ce que je fais et à me faire des règles pour ce que je dois faire.» Ça n'a pas duré longtemps ! (Mère rit)
Ce qui veut dire qu'on n'échappe pas à sa destinée ! Seulement, ici, ce n'est pas officiel, il y a tout de même une grande marge de liberté.
C'est la première chose que j'ai dite à Sri Aurobindo, je lui ai dit : «C'était la résolution de mon être psychique (mon être psychique a été dans telle personne – je sais qui c'est) et quand je suis partie, il a dit d'une façon absolue : je-n'en-veux-plus.»
Le reste, ça m'est égal, ça n'a pas laissé une impression si... aiguë.
Enfin maintenant, lis-moi ton texte. Peut-être que je pourrais savoir si c'est vrai ou pas vrai!
Mais au fond, tout est vrai. À condition d'admettre tout le reste en même temps.
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(Le disciple lit un passage de son manuscrit relatif aux maladies et il parle notamment des «maladies yoguiques» qui peuvent provenir d'un décalage intérieur, quand les diverses parties de la conscience ne sont pas également développées.)
Ce ne sont pas des maladies de la même nature que les autres, en ce sens que GÉNÉRALEMENT (je ne dis rien d'une façon absolue), généralement on ne leur trouve pas de virus ou de bactéries pour origine, mais une sorte de désordre – comment appellent-ils donc cela ? Ils ont un mot magnifique maintenant... Tu sais, une incapacité de supporter quelque chose, un manque d'harmonie...
Allergie ?
C'est ça. Et puis des maladies de désordre colloïdal (le sang, par exemple, est un liquide colloïdal) : quand les relations entre les éléments cessent d'être ce qu'elles sont normalement, naturellement. Ce sont deux causes de maladie nouvellement admises. Et ça, c'est généralement (je ne dis pas d'une façon absolue) mais généralement le résultat de ce que tu appelles un «décalage intérieur», c'est-à-dire quand les différentes parties de l'être ne sont pas au même niveau de développement – ça produit des choses de ce genre.
À très peu d'exceptions près, on ne trouve pas de germes, de microbes, de bactéries, à l'origine de ces maladies-là. Très souvent, elles sont classées avec les «maladies mentales», les «maladies nerveuses», etc., et elles proviennent de ce décalage intérieur.
[Que se passerait-il si, en intériorisation, on se mettait à l'écoute de notre sang ? de la conscience du sang ? Parce que toute chose a sa propre conscience... et qu'avec la volonté, l'aspiration, on posait l'intention que tous les éléments qui composent le sang s'harmonisent...]
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(Puis le disciple lit un passage relatif au «physique subtil» et à l'extériorisation ; il cite notamment l'expérience de D qui, s'étant extériorisé pour la première fois, n'arrivait plus à rentrer dans son corps parce qu'il essayait de rentrer par les jambes ! Voici l'histoire :
«J'étais allongé sur ma chaise longue, en concentration, quand tout d'un coup je me suis retrouvé chez mon ami Z qui était en train de faire de la musique avec plusieurs autres. Je voyais tout très clairement, plus clairement même que dans le physique, et je me déplaçais très vite, sans obstacle. Je suis resté là un bon moment à regarder ; j'ai même essayé d'attirer leur attention, mais ils n'étaient pas conscients. Puis, soudain, il y a quelque chose qui m'a tiré, comme un instinct : «Il faut que je rentre.» J'avais une sensation de mal à la gorge. Je me souviens que pour sortir de leur chambre, qui était fermée, à part une petite ouverture en haut, ma forme s'est comme vaporisée (parce que j'avais encore une forme, mais ce n'était pas comme de la matière, c'était plus lumineux, moins opaque) et je suis sorti comme une fumée par une fenêtre ouverte. Puis je me suis retrouvé dans ma chambre, près de mon corps, et j'ai vu que j'avais la tête de travers, rigide, contre le coussin, et que je respirais avec difficulté ; j'ai voulu rentrer dans mon corps – impossible. Alors j'ai pris peur. J'entrais par les jambes et puis, arrivé à hauteur des genoux, c'est comme si je glissais dehors ; deux, trois fois comme cela ; la conscience montait, puis elle glissait dehors, comme un ressort. Je me disais : «Si seulement je pouvais renverser ce tabouret (il y avait un petit tabouret sous mes pieds), ça ferait du bruit et je me réveillerais !» Rien à faire. Et je respirais de plus en plus mal. J'avais une peur terrible. Soudain, je me suis souvenu de Mère et j'ai appelé : «Mère ! Mère !» et je me suis retrouvé dans mon corps, réveillé, avec un torticolis.»)
(Mère rit beaucoup)
C'est D qui m'a raconté cette histoire.
D, oh ! quel âne ! il ne sait pas par où on rentre ! Mais il ne m'a jamais raconté ça ! je le lui aurais dit.
Il faut sortir par là [le cœur] – on peut sortir par le sommet du crâne mais c'est plus difficile. Il faut sortir par là [le cœur] et il faut rentrer par là [le cœur]. C'est tout naturel, c'est la première chose qu'on vous apprend quand vous voulez vous extérioriser. Il faut concentrer toute la conscience là [cœur], et puis sortir par là. Et il faut rentrer là et garder le lien.
Mais c'est intéressant, c'est très intéressant.
[Bien sûr que c'est intéressant ! C'est un sujet que je connais pas du tout, je n'en ai absolument pas l'expérience, et j'aurais juré qu'il fallait sortir par le sommet de la tête. Et puis, je n'avais strictement aucun souvenir de cet Agenda, pourtant je passe une bonne partie de ma vie à fouiller dedans...]
Non, il ne m'a jamais raconté ça ! Essayer de rentrer par les pieds !!
Il y a des gens qui essayent par la tête : c'est un petit peu difficile. C'est un petit peu difficile et il faut savoir. Mais le cœur, c'est tout à fait naturel.
Tiens-tiens !... Elle est intéressante, son histoire.
Oui, et elle fera comprendre aux gens ce que c'est.
Oui, c'est très amusant.
Je n'ai jamais réussi à sortir de mon corps consciemment.
C'est un don.
Quelquefois, par là [le crâne], j'ai comme des vibrations qui sortent.
Ça, c'est autre chose.
Qu'est-ce que c'est ? Parfois j'ai l'impression d'un arrachement : quelque chose qui vibre intensément et qui m'arrache, comme si j'étais arraché par là [le sommet du crâne].
[Ah ! Moi aussi j'ai des sensations qui ressemblent à cela. Des dizaines et des dizaines de fois j'ai eu cette sensation qu'à partir du sommet de la tête, ça tirait des fils vers le haut, parfois si fort, que je me retrouvais les épaules, surtout l'épaule droite au niveau des oreilles.]
C'est l'ouverture sur le mental supérieur.
Ça fait partie plutôt de la méthode koundalinî. Ce n'est pas l'expérience de l'extériorisation : c'est l'ouverture mentale sur les domaines supérieurs.
Mais ça arrive quelquefois juste au moment où je m'endors.
C'est comme cela que tu entres en contact. Ça, c'est indispensable.
Mais ça, ça vient du yoga. Ça peut être préparé à travers des existences, ou ça peut se faire en une existence si on est prêt. À vrai dire, c'est la partie importante : n'est-ce pas, dépasser la calotte ici, tu sais, qui vous ferme (c'est une espèce de fermeture là, [sommet du crâné]), il faut annuler ça. La capacité de faire ça est une preuve que l'on est arrivé au moment où on est prêt pour le yoga – le «yoga», enfin le yoga de Sri Aurobindo.
Les autres choses, extériorisation, etc., c'est inné, comme il y a des gens qui sont nés artiste, des gens qui sont nés peintre, des gens qui sont nés aviateur. C'est une combinaison de la Nature. J'ai connu des filles qui étaient de la dernière stupidité, mais qui s'extériorisaient d'une façon admirable et qui avaient toute la conscience de leurs expériences dans le physique subtil ou bien dans le mental, dans le vital matériel (c'est plus souvent dans le vital matériel que dans le physique subtil quand on n'est pas développé). Et elles vous racontaient tout ce qu'elles voyaient. Mais incapables de yoga.
Je te dis, ce sont des fantaisies de la Nature.
C'est bien dommage qu'elle n'ait pas de fantaisie pour moi!
Mais ce n'est pas indispensable pour le yoga.
Évidemment, mais enfin quand même...
Seulement, pour les gens matérialistes, ça a beaucoup de poids parce que ça les met en présence de quelque chose qui leur paraît «surnaturel» (!)
Oui, c'est intéressant surtout pour cela: ça leur montre que la conscience peut exister en dehors de ce corps.
C'est ça. Mais pour soi-même, ce n'est pas du tout indispensable.
[Ah ! Voilà ! Ça a le mérite d'être clair : ce n'est pas indispensable pour le yoga, c'est un amusement, une façon d'aller en promenade, et c'est en contradiction avec tous ces Agendas qui nous expliquent que c'est sur terre et dans le corps que le travail doit se faire.]
Non. Mais j'aimerais bien quand même...
Ça t'amuserait !
Eh bien, oui ! Non seulement ça m'amuserait, mais j'aurais l'impression que la conscience se développe.
Pas toujours.
Si on n'a pas ça là-haut [l'ouverture au-dessus de la tête], on ne profite pas. Ces petites dont je te parle (j'en ai connu trois qui étaient comme cela ; pas une seule : trois), eh bien, elles ne progressaient pas. Elles ne progressaient pas. Elles voyaient peut-être de mieux en mieux, mais elles ne faisaient pas de progrès intérieurs, du tout.
Mais enfin, personnellement, à quoi tient le fait, par exemple, que je n'ai jamais d'expériences ?
Mais non ! ce n'est pas vrai que tu n'as pas d'expériences. Ce n'est pas vrai. Je sais que ce n'est pas vrai, tu en as – je les vois, tes expériences.
Mais moi, je ne les vois pas, alors !
C'est que tu ne te souviens pas.
La raison (il y a beaucoup de raisons), c'est ce que je t'ai déjà dit : il suffit d'un tout petit degré de l'être qui n'est pas développé. Ça dépend de l'atavisme évidemment, de la façon dont le corps a été bâti, du milieu dans lequel on est né, de l'éducation que l'on a reçue, de la vie que l'on a menée. Mais surtout de l'intérêt que l'on a eu dans sa vie au point de vue supérieur ; et il est évident que tes énergies ont été concentrées justement pour supprimer ce couvercle-là [sommet du crâne] et pour entrer en rapport avec la Source de la Vérité, beaucoup plus que pour avoir des expériences d'ordre mediumnique, beaucoup plus. Et pour ce que tu es venu faire, c'était INFINIMENT plus important. Les petites expériences comme ça, s'extérioriser, etc., c'est des petits amusements sur le chemin. J'ai toujours pris ça comme cela.
Oui, douce Mère, c'est très bien. Mais on n'est pas encouragé extérieurement. J'ai l'impression que rien ne se passe – tous les matins je me réveille, il n'y a rien. Dans mes méditations, il n'y a rien – il n'y a jamais rien ! Il y a seulement la certitude que c'est la seule chose à faire.
Tu ne vois pas, il y a la Lumière qui ne bouge pas là-haut, mon petit ! (Mère regarde au-dessus de la tête du disciple) Il y en a des milliers qui donneraient tout le reste pour ça !
La vérité, c'est qu'on n'est jamais content de ce que l'on a...
Mais il ne se passe rien !
... et qu'on veut toujours ce qu'on n'a pas. Parce que nous somme construits pour une perfection intégrale et qu'à moins qu'elle ne soit intégrale, nous ne sommes pas satisfaits.
Ce qui peut te consoler, c'est que ça te viendra, en temps voulu.
Ça viendra, oui??
Oh ! oui. Oh ! oui ! ça peut te venir tout d'un coup, un jour.
J'ai l'impression qu'il ne se passe rien, c'est cela qui est décourageant.
Mais oui ! mais moi aussi, pendant très longtemps je croyais qu'il ne se passait rien !
Je n'ai pas eu de ces joies des expériences – jamais. Elles ne sont jamais venues que quand c'était nécessaire. Il ne m'est jamais rien arrivé que ce qui était absolument indispensable pour mon travail. Et tu comprends, il faut savoir exactement son travail, être conscient de la Volonté divine pour savoir ce que je viens de te dire, et alors il se passe de nombreuses années avant que ça ne vous arrive.
Je me souviens, après avoir eu beaucoup-beaucoup d'expériences et beaucoup-beaucoup de réalisations, quand je suis arrivée ici, l'une des premières choses que j'ai demandée à Sri Aurobindo, c'est : «Pourquoi suis-je si médiocre ?... Tout ce que je fais est médiocre, toutes mes réalisations sont médiocres, ce n'est jamais quelque chose de remarquable, d'exceptionnel : c'est comme ça, moyen. Ce n'est pas en bas, mais ce n'est pas là-haut – tout est comme ça, moyen.»
Et c'était mon impression. Je faisais de la peinture: ce n'était pas de la mauvaise peinture, mais enfin c'était comme beaucoup d'autres peuvent en faire ; j'ai fait de la musique, ce n'était pas de la mauvaise musique, mais on ne pouvait pas dire : «Oh ! quel génie musical !» J'écrivais : c'était tout à fait ordinaire ; j'avais des pensées qui étaient un peu supérieures à celles de mes camarades, mais enfin qui n'avaient rien d'exceptionnel; je n'avais pas de qualités philosophiques, etc. Tout ce que je faisais était comme ça : mon corps était habile, mais il n'était pas merveilleux ; je n'étais pas laide, je n'étais pas belle – n'est-ce pas, tout comme ça, c'était médiocre-médiocre-médiocre-médiocre. Alors il m'a dit : «C'était indispensable.»
Bon, alors je me suis tue, tenue tranquille – très vite, en quelques semaines j'ai compris.
Mais j'avais eu cette sensation toute mon enfance ! toute mon enfance. J'étais une bonne élève, mais enfin je n'étais pas un génie ! etc.
[Enfin bon, elle était tout de même capable de comprendre les mathématiques de son frère de 2 ans son aîné et qui était à polytechnique...]
Depuis très jeune, il y a une chose qui m'a toujours frappé : j'ai toujours voulu être conscient. Alors ce qui me fait enrager, c'est que je ne suis pas conscient – ça m'enrage.
Mais c'était aussi, pendant très-très longtemps, l'unique chose qui me paraissait valoir la peine d'être vécue – la Conscience. Quand j'ai rencontré Théon et que j'ai compris le mécanisme, j'ai compris aussi pourquoi, là, je n'étais pas consciente. Je crois que je te l'ai dit, j'ai passé dix mois d'une année à travailler entre deux couches – deux couches de conscience – parce que le contact n'était pas établi.
[Est-ce que nous serions capable d'une telle persévérance ?]
Il y avait tout un ensemble de choses que je n'avais pas spontanément parce que le contact n'était pas établi, et Mme Théon m'avait dit : «C'est parce que, entre telle chose et telle chose, il y a une couche qui n'est pas développée.» J'étais très consciente de toutes les gradations (Théon avait expliqué ça d'une façon très simpliste, ce qui fait qu'il n'y avait pas besoin, justement, d'être un génie pour comprendre ; il avait fait une quadruple division et chacune de ces divisions était divisée en quatre, et chacune en quatre, ce qui faisait d'innombrables divisions de l'être ; mais avec ça, qui est une simplification mentale, on pouvait faire des études psychologiques approfondies de son être), et alors, par étude et élimination, j'étais arrivée à découvrir qu'entre ça et ça (deux niveaux de la conscience de Mère), il y avait une couche qui n'était pas suffisamment développée, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas de conscience.
Alors pendant dix mois, je n'ai travaillé que là-dessus – absolument sans résultat. Ça m'était égal, je continuais. Et puis (je me disais : «Eh bien, peut-être qu'il me faudra une cinquantaine d'années pour arriver à quelque chose, je ne sais pas»), puis je suis partie (j'étais à Paris), je suis partie à la campagne. Je me suis couchée sur l'herbe, et tout d'un coup, avec le contact de la terre et de l'herbe, pfft ! ça a été comme un éclatement au-dedans, le lien s'est établi, et la pleine conscience, et toutes les expériences qui s'ensuivaient. Alors je me suis dit : «C'est bon, ça sert à quelque chose !»
[Nous ne sommes même pas conscient de toutes ces couches en nous, mais ce n'est peut-être pas nécessaire : nous pouvons appeler la Conscience à nous remplir complètement, et le travail se fera...]
Et je suis sûre que c'est comme cela, que le travail se fait lentement, d'une façon imperceptible, comme le poussin se forme dans l'œuf : vous voyez la coquille – vous ne voyez que la coquille –, vous ne savez pas ce qui est dedans, et vous ne savez pas si c'est un œuf ou un poussin (naturellement, si vous avez des instruments pour voir au travers, vous pouvez savoir, mais je parle d'une façon ordinaire), et puis tout d'un coup, le bec fait pic ! et puis tchm ! et le poussin est dehors – c'est comme ça.
Pour le contact avec l'être psychique, c'est exactement la même chose. Vous pouvez pendant des mois et des mois, quelquefois des années, être assis devant une porte close, pousser-pousser-pousser ; sentir, sentir la pression de la poussée (ça fait mal !)
[Oh ! Je suis content... 😊 pas que cela fasse mal... parce que c'est une sensation que j'ai souvent eu en me concentrant dans la poitrine pour établir le contact, et j'en arrivais à me dire que je m'y prenais sans doute comme un manche, parce que, chaque fois que nous lisons des choses sur le psychique, c'est la paix, la douceur, la joie, toutes sortes de trucs très sympas...et je n'avais aucun souvenir que cela puisse être... désagréable.
Ce n'est pas le psychique qui est douloureux, c'est la résistance. Devant cette fameuse porte, il doit y avoir quelque chose, je ne sais pas ce que c'est, et qui dit : on ne passe pas. Et plus l'intensité de l'aspiration augmente plus l'intensité de la résistance, donc de la douleur augmente.
Et effectivement, dans ces moments-là, on ne sait pas trop quoi faire : c'est un rapport de force dont, apparemment, on sort toujours perdant... tant que la porte ne s'ouvre pas. C'est effectivement, comme le souligne Satprem... assez décourageant : on ne sait plus quoi faire, ni comment faire !
Ce qui est décou-rageant aussi, ce n'est pas qu'il n'y a pas d'expérience car on sent quand une force travaille en nous – on le sent même très bien – mais comme cette Force travaille en silence, sans nous expliquer, on ne comprends pas grand chose : si ce n'est qu'elle travaille sur tel centre ou dans telle partie du corps, ce qui n'est pas souvent agréable.
Par contre, au lieu de nous en plaindre, nous pouvons DÉCIDER de ne plus être malheureux : dès que le chagrin se présente, se dire fermement : "non merci je n'en veux pas, dehors !"]
et on n'a rien, on n'a aucun résultat ; et puis tout d'un coup, on ne sait pas comment ni quoi, on s'assoit, et puis ploff ! tout s'ouvre, tout éclate, tout est prêt, tout est fait – c'est fini, on émerge dans une pleine conscience psychique, on devient intime avec son être psychique. Et puis tout change – tout change –, toute la vie change, complètement, n'est-ce pas, c'est un renversement total de toute l'existence.
Au fond, si on peut ne pas se faire de soucis, ou s'énerver, ou se déprimer (se déprimer, c'est pire que tout) mais pas s'énerver, pas s'impatienter, pas se dégoûter – être tranquille, et puis dire : «Quand ça viendra, ça viendra», mais avec une obstination qui ne bouge pas. Faire ce que l'on a senti qu'il fallait faire, et continuer, continuer même si c'est absolument inutile.
Mais si j'avais une méthode seulement !
Il y a des méthodes. Les livres sont pleins de méthodes – je ne recommande pas parce que c'est la méthode de celui qui a écrit le livre, ou qui l'a entendue. Il faut se trouver sa méthode.
On peut avoir des indications, on peut trouver sa méthode.
[Ah ? C'est bon à savoir.]
Mais il faut... Tiens, c'est la même chose que pour le japa. Le japa est donné, n'est-ce pas, on le reçoit (à moins qu'on ne le trouve soi-même, mais ça, c'est plus difficile et ça demande déjà un autre genre de réalisation), mais on reçoit son japa, on le reçoit avec le pouvoir de le faire – mais il faut apprendre à le faire, non ? Pendant très longtemps, on ne réussit pas complètement, ou il vous arrive toutes sortes de choses (au beau milieu, on ne se souvient plus, ou on s'endort, ou bien on est fatigué, ou on a mal à la tête – toutes sortes de choses –, ou bien même les circonstances extérieures ne vous aident pas), eh bien, c'est la même chose, on s'est dit : «Je ferai ça», et on fera ça, même si... Il faut être absolument comme une mule, aller comme ça – tout est contre mais on continue. On a dit qu'on fera ça, on le fera. Il n'y a pas de résultats : ça m'est égal. Tout est un obstacle : ça m'est égal. J'ai dit que je le ferai, je le ferai... J'ai dit que je le ferai, je le ferai. Et aller comme ça.
Premier japa de la conscience des cellules
Deuxième japa de la conscience des cellules
C'est la même chose dans ton cas. Ça dépend de ce que l'on veut faire. Rien que ce que je t'ai dit, par exemple pour le sommeil ou pour le repos, ce doit être suffisant. Là-dessus tu établis ta propre discipline – ou des mots dits, ou des gestes faits, ou des idées reçues. On se fait sa propre discipline. Et une fois qu'on a choisi sa propre discipline, on continue.
Moi, c'est ça, mon expérience.
Obstinément. Il faut être obstiné – obstiné-obstiné-obstiné. Il y a la résistance de l'inconscience et de l'ignorance, avec tout le pouvoir, justement, de l'inconscience et de l'ignorance – c'est obstiné, immuable –, mais c'est la même chose que les rochers et la goutte d'eau. C'est une question de temps. La goutte d'eau passera à travers le rocher. Ça prend longtemps mais elle réussira, parce qu'elle tombe comme ça, une à une ; d'abord elle glisse (au début elle glisse), finalement elle fait un trou, et on a une rivière en bas, immense, qui coule. C'est un exemple merveilleux que la Nature nous donne, merveilleux. C'est ça, c'est la goutte d'eau sur le rocher que l'on doit faire.
L'eau, c'est l'énergie vitale. Le rocher, c'est l'inconscience.
Voilà, mon petit.
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(Au moment de partir, Mère fait une remarque à propos de quelqu'un, et comme le disciple a l'air de ne pas bien croire ce qui lui est dit – nous ne voulions pas croire à ces laideurs, nous ne les notions même pas –, Mère ajoute :)
...Parce que tu n'es pas encore dans ce domaine où je vais ! C'est ailleurs.
Pas plus haut, pas plus dedans: ailleurs. Une autre façon de voir.3
3. Nous avons l'impression que cet «ailleurs», qui n'est pas «plus haut» ni «plus dedans», correspond à ce déplacement en plan dont Mère parlait : l'autre Matière.
[Voilà un autre sujet tout aussi exaltant sur lequel je reviendrai un de ces jours : Mère a souvent parlé du faux corps et du vrai corps, de la fausse matière et de la vraie matière...]